Des arguments juridiques ont été avancés pour expliquer que le projet a de fortes chances de finir dans les tiroirs. La proposition de loi criminalisant le colonialisme reste toujours «bloquée» au bureau de l'APN. Après avoir transité par le circuit traditionnel, commission juridique de l'APN, le gouvernement et le bureau de l'APN, l'initiative à l'actif d'un groupe de députés algériens portant criminalisation du colonialisme en Algérie, aura encore de beaux jours à passer au Palais Zighoud-Youcef. Après le «mutisme» du gouvernement, qui n'a pas pris la peine de s'exprimer sur le document, la proposition de loi stagne toujours au niveau du bureau de l'Assemblée populaire nationale. Du point de vue juridique, elle poursuit son cours dans un cadre légal. Son sort sera décidé à l'APN. Mais, selon les juristes proches du dossier, cette proposition a de fortes chances de finir dans les tiroirs. La raison principale du blocage évoquée au Palais Zighoud-Youcef est liée au fait que cet avant-projet de loi contient des articles qui interfèrent dans les prérogatives de la politique extérieure de l'Etat algérien. Or, la politique étrangère du pays et les relations internationales restent une mission des Affaires étrangères, surtout du chef de l'Etat, et elles ne peuvent être régies par un texte de loi. Mieux encore, la Constitution algérienne est très explicite sur cette question. L'article 77, dans son 3e paragraphe de la Constitution algérienne définit clairement que la politique extérieure du pays est une prérogative du président de la République. «Outre les pouvoirs que lui confèrent expressément d'autres dispositions de la Constitution, le président de la République jouit des pouvoirs et prérogatives suivants: Il arrête et conduit la politique extérieure de la nation», stipule la Loi fondamentale du pays. Selon la même source, cet argument est légal du point de vue juridique. Car, explique-t-elle, la proposition faite par les députés est en contradiction, dans quelques-uns de ses articles, avec la Constitution algérienne. C'est ce qui a poussé d'ailleurs, la commission juridique à supprimer l'article 18, prévu initialement dans le projet. Cet article stipule: «L'avenir des relations entre les deux pays restera tributaire de la soumission de la France aux exigences du peuple algérien qui consistent en la repentance, la demande de pardon et l'indemnisation des dommages matériaux et moraux causés aux Algériens durant la période coloniale 1830-1962». Les articles 3, 4 et 5 constituent une véritable bombe qui risque de désintégrer les relations algéro-françaises. L'article 3 stipule que «la repentance de la France de ses crimes commis en Algérie entre 1830 et 1962 constitue un droit légitime pour le peuple algérien». Concernant les articles 4 et 5 ils parlent d'«actes criminels», «crimes de guerre», «crime contre l'humanité» «torture» et «génocide». De l'autre côté, les Accords d'Evian ne peuvent en aucun cas gêner l'application ou la mise en oeuvre de ce projet. L'article 132 de la Constitution stipule que «les traités ratifiés par le président de la République, dans les conditions prévues par la Constitution, sont supérieurs à la loi». Cela signifie que le droit international, Convention de Genève paraphée par l'Algérie en 1963 portant sur les crimes de guerre, crime contre l'humanité et génocide, prime les accords bilatéraux et même les lois de la République. Il devient clair, ainsi, que le droit international est au-dessus des Accords d'Evian. Ce même argument est jugé faible par la Fondation 8 Mai-1945 qui est un fervent défenseur du projet. Dans un communiqué transmis à la rédaction de L'Expression, et signé par le président Boukherissa Kheireddine, l'association atteste que les Accords d'Evian ne constituent «en aucune manière un frein ou un obstacle pour légiférer sur le crime contre l'humanité ou l'incrimination du colonialisme». Le même communiqué refuse l'autre argument relatif au Code pénal. Cette fondation estime que cet argument «n'est que subterfuge supplémentaire, camouflé pour ménager le chou et la chèvre et offrir ainsi à la France la possibilité de persister à entretenir son esprit colonialiste...», lit-on encore. Afin d'étayer son point de vue, M.Boukherissa avance l'argument du procès de Nuremberg qui demeure, selon lui, «un exemple incontournable dans le traitement de ce genre de situation. Il approuve et applique à la lettre dans ces procédés l'incrimination du crime contre l'humanité, le crime de guerre et contre la paix, sans avoir recours au Code pénal d'un pays ou d'un autre...». Entre les avis de juristes, de présidents d'association et de députés, la thèse politique a, semble-t-il, bien prévalu.