«A nous deux, Paris!» Rastignac (dans la Comédie humaine de Balzac) 20h00, heure de Paris, le 6 mai, Patrick Poivre d'Arvor nous annonce l'élection de Nicolas Sarkozy comme 6e président de la Ve République. Ce qui était pratiquement connu depuis l'annonce du premier tour est devenu une réalité. Il n'y eut pas pour les socialistes de miracle, les urnes ont parlé et le peuple a tranché. Malgré son échec, Ségolène Royal pose des jalons, pour compter aux législatives, elle a posé des jalons dimanche 6 mai, après l'annonce de sa défaite à la présidentielle, pour compter dans les élections législatives du mois de juin, en affirmant: «Je continue avec vous et près de vous». Elle a capitalisé sur la dynamique créée autour de sa campagne, se déclarant prête à assumer. «Mon engagement et ma vigilance seront sans faille au service de l'idéal qui nous a rassemblés et nous rassemble et qui va, j'en suis sûre, nous rassembler demain pour d'autres victoires». Il est hors de doute que cette admiratrice de Mitterrand, au point d'adopter sa gestuelle et ses petites phrases: «Sarkozy est un homme du passé et du passif», aura fort à faire avec les «éléphants du PS» qui lui feront payer cher sa liberté de parole et certaines libertés par rapport à la ligne du parti. Cependant, au vu de la personnalité de cette candidate malheureuse, il est à parier qu'elle se battra et qu'en 2012, elle sera au rendez-vous de la nouvelle présidentielle La France vient, par cet acte d'intronisation de Nicolas Sarkozy, d'opérer un virage radical à droite. Ce que l'on pressentait, depuis les 18% de Jean-Marie Le Pen, en mai 2002, est devenu une réalité. La droitisation de la société française se confirme. Reste à savoir si ce vote, par delà les promesses difficiles à tenir, est un vote sur les valeurs ou sur les conditions de subsistance. La grande innovation, dirions-nous, de Sarkozy, c'est de jouer sur les deux tableaux. A la fois sur le temporel par un libéralisme débridé bâti sur un certain nombre de contrevérités laissant croire que les heures supplémentaires, c'est le remède contre le chômage et sur le spirituel puisqu'il convoque tout à la fois le christianisme avec les bâtisseurs des Eglises, les Croisés dont le rêve se poursuit par l'épopée coloniale et ses faits de gloire dont il ne faut surtout pas se repentir et l'âme de la France avec, naturellement, son identité. Nous y reviendrons. Un vrai battant S'il faut reconnaître une qualité à Nicolas Sarkozy, parmi tant d'autres, en dehors de celle de toujours se battre, c'est qu'il a su psychanalyser les Français. Dans un siècle qui a perdu à l'échelle planétaire ses repères, il est vrai que la mondialisation et l'unipolarité du monde ont exacerbé les différences à la fois sociales, économiques et identitaires. Il est vrai aussi que les décolonisations imposées, d'une façon ou d'une autre, à la France ont laissé, chez une partie des Français, un esprit de «revanchards», fruit d'une amertume pour le paradis de l'empire perdu. A titre d'exemple, pendant plus de trente ans, Jean-Marie Le Pen a entretenu fiévreusement, le flambeau de cette France nostalgérique dont la plaie ne veut pas se refermer. Vient alors, Bayard «le chevalier sans peur et sans reproche», Sarkozy enfourche le dada de Le Pen et «enveloppe» cela, concomitamment, avec d'autres «valeurs» tirées, celles-là, du temporel avec l'aide massive des conseillers libéraux sans état d'âme. Pour la première fois, Jean-Marie Le Pen, qui n'arrête pas de dire que le peuple français choisira l'original à la copie, s'est fait déposséder de son fonds de commerce. Les délais rapprochés des élections législatives, le mois prochain, font qu'il n'arrivera pas à rattraper son retard, d'autant que Sarkozy en sera encore à sa «période de grâce» qui dure nous dit-on, cent jours. On comprend alors la double déception de Jean-Marie Le Pen pour avoir été pillé au premier tour et pour constater impuissant que «ses électeurs» ne l'ont pas suivi, non seulement, ils sont allés voter, mais de plus, ils l'ont fait massivement pour Sarkozy. Il aura ces mots sans appel, le 6 au soir: «Le peuple de France a le président qu'il mérite». Si les immigrants italiens, polonais, arméniens ou portugais ont pu être, à leur arrivée en France, l'objet de discours infamants et de mesures discriminatoires d'une grande brutalité, souvent comparables par leur forme et par leur violence à ce que subissent, aujourd'hui, les immigrants postcoloniaux, il n'en est pas allé de même pour leurs enfants, et moins encore pour leurs petits-enfants. On ne peut pas en dire autant des enfants d'immigrés maghrébins ou noirs-africains, seuls condamnés à l'appellation absurde -mais éloquente politiquement- d'«immigrés de la deuxième ou troisième génération», et aux discriminations qui l'accompagnent (1) (2). Pour expliquer la victoire et sans vouloir remonter aux premiers pas politiques de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly, tout a commencé, il y a quelques mois, par une petite phrase: «La France: aimez-la ou quittez-la.» Tout naturellement, la question de l'identité nationale a structuré la campagne électorale de Nicolas Sarkozy jusqu'au dernier jour où elle a été explicitée par un pont historique avec les croisades, la construction des cathédrales et, naturellement, la colonisation vue comme une entreprise de civilisation des barbares. Ainsi, en février 2007, lors d'un meeting, Sarkozy parle du «rêve» qui a poussé au Sud, des croisés, jusqu'aux colons...La rhétorique est la même: Le Blanc civilisateur, le white man Burden. Nicolas Sarkozy a fait de la nation, depuis l'année dernière, l'un de ses chevaux de bataille. «Le Pen n'est pas propriétaire de la nation, ni de l'identité nationale». Dans son cheminement vers la magistrature suprême, le ministre de l'Intérieur français parle de «rupture». Le filon riche en voix potentielles est celui du thème inépuisable de l'émigration, des sans-papiers. Ce thème a toujours été le cheval de bataille de la droite comme de la gauche. Souvenons-nous, ce fut Michel Rocart qui, le premier, annonçait que «la France ne pouvait recueillir toute la misère du monde». Les lois Sarkozy ont le mérite d'être claires et sans état d'âme. M.Sarkozy veut choisir ses émigrés, au préalable, ils doivent être éduqués, compétents et surtout répondre à une demande spécifique en termes d'emploi. Ce que nous pouvons retenir, c'est que c'est la première fois dans l'histoire de la France récente, qu'un fils d'émigré, un beur peut-on dire, dont les parents viennent du fin fond de l'Europe, procède aux destinées de la France. «L'âme de la France» tant chantée par Max Gallo est, on l'aura compris, appelée à être redimensionnée pour prendre en charge cette nouvelle donne. L'identité française fait-elle appel au droit du sang ou au droit du sol? L'identité française est-elle un concept flou figé dans le marbre par les émules de Jean-Marie Le Pen? L'identité française est-elle ce désir d'être ensemble, en partageant un certain nombre de «valeurs», comme le patriotisme, et qui est délimitée par la culture et la langue? L'identité française est-elle liée à la compatibilité de la spiritualité du demandeur et celle de la France «fille aînée de l'Eglise»? De fait, ce dernier obstacle est, le croyons-nous, le seul rempart des nostalgiques de Jeanne d'Arc puis, bien plus tard, de l'empire; car comment comprendre que les Polonais, les Italiens, les Portugais, les Arméniens sont dans les faits -malgré, au départ, des rejets pour des objectifs économiques- absorbés sans problème, si ce n'est qu'ils partagent le même fait religieux que les Français de souche. Notons, au passage, que beaucoup d'entre eux avaient des ascendants qui étaient dans le camp adverse et se battaient contre la France. Leurs descendants n'ont pas cette étiquette de «beurs d'Europe» de «l'Atlantique à l'Oural» comme le pensait le général de Gaulle. Paradoxalement, les Africains, du Nord et subsaharienne, les «Autres» ont été subjugués, colonisés, acculturés jusqu'aux tréfonds de leurs âmes par la France. Ils ont guerroyé sur tous les champs de bataille pour certains, depuis les guerres du Levant- des Algériens sont allés combattre en Syrie, il y a cent cinquante ans de cela- Ils se sont fait tailler en pièces en Alsace, à Wissembourg, contre des Allemands- Lors d'un assaut meurtrier, des Algériens ont pris une colline en laissant au sol, 80% de leurs effectifs- soutenus par l'empire austro-hongrois vers 1870. Ils ont servi de chair à canon à Verdun, en face justement de la même coalition allemande et austro-hongroise pendant la Première Guerre et enfin participé à la libération de la France pendant la Seconde Guerre mondiale contre toujours ces mêmes Allemands, aidés, cette fois, par des Italiens. S'il est indéniable qu'ils ont donné le prix du sang, le prix de la sueur et de l'humiliation, en participant à la participation de la France, pourquoi cet ostracisme qui fait qu'on les désigne toujours par le vocable beur de la première, de la deuxième, de la ènième génération. Dit-on de Poniatowski, arrière-arrière-descendant d'un maréchal d'Empire de Napoléon 1er, lui-même n'est pas né sur le sol de France métropolitaine, puisque la Corse a été achetée à l'Italie, qu'il est un beur de la 10e génération ou de Platini, ou de Devedjian ou même du président Sarkozy qu'il est un beur de la deuxième génération. L'un des grands chantiers du président Sarkozy, c'est justement comme il le dit si bien, de contribuer à une France apaisée. Ecoutons-le: «Je veux remettre à l'honneur, la nation et l'identité nationale. Je veux rendre aux Français, la fierté d'être Français. Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi, et la concurrence des mémoires qui nourrit la haine des autres. Le peuple français a choisi le changement. Ce changement, je le mettrai en oeuvre parce que c'est le mandat que j'ai reçu du peuple et parce que la France en a besoin. J'appelle tous les Français, par-delà leurs partis, leurs croyances, leurs origines, à s'unir à moi pour que la France se remette en mouvement. J'appelle chacun à ne pas se laisser enfermer dans l'intolérance et dans le sectarisme, mais à s'ouvrir aux autres, à ceux qui ont des idées différentes, à ceux qui ont d'autres convictions». Ce discours oecuménique est intéressant, car ce qui distingue Jean-Marie Le Pen ou Phillipe de Villiers de Nicolas Sarkozy, c'est que ce dernier, en partant des mêmes valeurs- ce qui permit d'ailleurs le pillage de leur électorat- arrive à des conclusions différentes. Il ne fige pas, le croyons-nous, dans le marbre l'identité française à l'esprit d'Alésia de Jeanne d'Arc ou des Croisés- C'est une identité dynamique comme ligne d'horizon, pour Nicolas Sarkozy, l'identité pour les immigrés, se mérite. Pour les autres- ceux de souche- elle est donnée à la naissance. Leur situation de privilégiés nés avec une cuillère d'argent dans la bouche, nous rappelle les mots de Figaro dans la pièce de Beaumarchais: «Vous vous êtes seulement donné la peine de naître!». En réalité, le tout est de savoir si l'ascenseur social permettra cette égalité dans les faits. Dans ces conditions, la discrimination positive parait une piste intéressante, celle qui permet de rattraper le temps perdu et surtout, surtout, elle permet de contourner le «plafond de verre» qui fait qu'à diplôme égal, un beur à quatre fois moins de chance de trouver un travail, en clair, de participer à l'effort de construction du pays, du fait qu'il est marginalisé, augmentant ainsi sa frustration. Le même raisonnement est à faire concernant l'école, mais là, il sera difficile de mettre en oeuvre cette politique d'égalité devant la loi puisqu'on s'oriente inexorablement vers une école à deux vitesses. Celle des riches qui peuvent inscrire leurs enfants là où ils auront une bonne éducation et la communale pour le «bas de gamme». Cette communale qui produira des citoyens mal formés et mal armés pour la vie, accroissant ainsi le déficit entre les deux classes. Nous verrons comment cette équation sera résolue. Par ailleurs, une autre facette de la personnalité de M.Sarkozy nous fait entrevoir une énigme: A côté de son côté va-t-en guerre, avec ses certitudes entre ce qu'il faut faire et ne pas faire, nous découvrons un autre homme, celui qui doute, le croyant qui veut que l'Islam ait droit de cité à l'ombre des lois de la République. Ecoutons-le nous livrer sa conviction: «Dans le livre d'entretiens que j'ai écrit sur les religions et la République, j'ai voulu témoigner de ma conviction que les religions ne sont pas l'ennemi de la République, et de mon souhait que la République ne soit pas l'adversaire des religions. C'est ce que j'ai appelé une laïcité apaisée. Ce que nous avons voulu faire, c'est précisément cela: plus qu'une simple conciliation entre l'Islam et la République, c'est une transformation de l'Islam pour lui permettre de s'intégrer dans une société démocratique, laïque et sécularisée....Humilier l'identité musulmane, c'est prendre le risque de la radicaliser. La laïcité apaisée, c'est la République qui reconnaît, à son tour l'importance des religions, comme support d'une espérance essentielle à l'être humain: l'espérance spirituelle. La République, c'est l'espérance temporelle».(3). Nicolas Sarkozy s'était, lui, explicitement déclaré favorable à un financement des lieux de culte. Il faut que toutes celles et ceux qui ont la foi puissent la vivre et la pratiquer en toute égalité. (4) Rêve de paix Pour le reste, nous pensons que le président Sarkozy aura à coeur de sauver l'Afrique; Sa phrase maladroite: «La France n'a pas besoin de l'Afrique» résonne encore dans les têtes. Au-delà du fait que la Chine montre tous les jours qu'elle a besoin de l'Afrique, cette dernière attend des actes. S'agissant du Bassin méditerranéen, la «mare nostrum» des Anciens, le message de Nicolas Sarkozy se veut plein d'espoir: «Je veux lancer un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire que c'est en Méditerranée que tout se joue, et que nous devons surmonter toutes les haines pour laisser la place à un grand rêve de paix et de civilisation. Je veux leur dire que le temps est venu de bâtir ensemble une Union méditerranéenne qui sera un trait d'union entre l'Europe et l'Afrique». Il a mille fois raison. Le président algérien Bouteflika souligne cette nécessaire coopération dans son message de voeux «...Je sais que vous accordez, comme moi, la plus grande importance aux relations entre nos deux pays, relations qui reposent sur des intérêts partagés, mais surtout sur les liens tissés par une longue histoire commune qui a laissé des traces profondes dans chacun de nos peuples. Nous devons unir nos efforts pour maintenir et développer notre coopération...en vue du partenariat d'exception que nous ambitionnons pour nos pays». On notera que le président algérien ne parle plus de «Traité» qui n'a pas les faveurs du locataire de l'Elysée. Il est hors de doute que le quinquennat du président Sarkozy ne sera pas de tout repos. Les promesses qu'il a faites devraient être traduites dans les faits. Entre la lutte contre le chômage, la panne de l'ascenseur social, la politique européenne, le sort des cinq infirmières bulgares et le scandale de la burka des Afghanes, aura-t-il le temps de consacrer quelques instants à cette plaie ouverte dans le flanc de la Méditerranée orientale, et aussi du Proche-Orient? Je veux parler du problème séculaire palestinien et de la Mésopotamie qui a enfanté la civilisation humaine... Bonne chance M.le président! 1.Y.Gastaut, L'immigration et l'opinion en France sous la cinquième République, Seuil 1999. 2.Philippe Bernard, Nicolas Sarkozy et l'identité nationale: Le Monde du 19 mars 2007. 3.Nicolas Sarkozy: La République, la religion, l'espérance Ed. Cerf, 2004. 4.Chems Eddine Chitour: Notre ami Sarkozy. L'Expression. Mercredi 15 novembre 2006