Malgré quelques cris et chuchotements occasionnels et la place que lui accordent de temps à autre les médias, le Conseil constitutionnel ne retient généralement que l'attention des spécialistes qui suivent son évolution et le développement de sa jurisprudence depuis sa création en 1989. Bien entendu certains événements politiques où il s'est trouvé impliqué par la force de la Constitution ne sont pas passés inaperçus au point où il a été traité «d'institution à la solde du pouvoir ou du système». Des jugements de valeur qui tendent à remettre en cause la crédibilité d'une institution somme toute assez jeune et autour de laquelle plane dorénavant un air de suspicion, et ce malgré l'importance qu'elle a jouée et le rôle qu'elle doit tenir au vu des perspectives d'approfondissement de la démocratie et l'instauration de l'Etat de droit. Cela étant, le contrôle de la conformité des lois à la Constitution reste une des innovations majeures de la Constitution de 1989. Mais la montée en puissance du Conseil constitutionnel n'est intervenue que ces deux dernières années à la lumière de certains faits politiques comme il a été relevé. C'est pour cette raison d'ailleurs et à l'approche des élections législatives, ainsi qu'à l'aube d'une probable révision constitutionnelle que l'institution se remet à pas de charge à l'ordre du jour. Or ses détracteurs se trompent sur son rôle et sur sa véritable destinée dans un système politique de droit. Certes, l'institution peut être influencée, comme elle peut se tromper d'appréciation, mais rien ne peut lui enlever sa caractéristique d'institution majeure et en tant qu'organe régulateur qui a la charge de veiller au respect de la Constitution. Il est aussi et surtout l'indicateur premier quant à l'enracinement de la démocratie et de l'Etat de droit. A la différence des tribunaux de droit commun et administratifs dont la mission est d'appliquer la loi et non de la juger, le Conseil constitutionnel a pour fonction spécifique d'en apprécier la conformité à la Constitution. Il est amené ainsi à intervenir dans le processus de décision politique, au même titre d'ailleurs que les acteurs de la vie publique quoique selon des modalités différentes. D'ailleurs, il faut relever que ce sont ces autorités politiques qui désignent ses membres, lesquels ne sont pas nécessairement des juristes ou des magistrats pour des raisons certes de représentativité institutionnelle, mais aussi pour des raisons dont seule la vie politique révèle le secret de temps à autre. La montée du contrôle de constitutionnalité en Algérie s'inscrit dans une expérience tenant à l'émancipation d'un système politique et constitutionnel monopolisateur qui a débouché sur une situation dramatique. Mais le contrôle de constitutionnalité a des motifs plus actuels qui découlent de l'évolution d'une certaine démocratisation. En effet, partout on constate la prédominance du pouvoir exécutif sur le Parlement ; le gouvernement dirige la majorité parlementaire qui le soutient, et celle-ci votant avec discipline les projets de lois que lui présentent les ministres: l'essentiel de la législation émane donc de l'exécutif. Cette solidarité politique neutralise la séparation des pouvoirs; le Parlement ne jouant plus à l'égard de l'exécutif le rôle qui lui est imparti en principe, puisque la loi est votée par l'ensemble gouvernement-majorité parlementaire. Ainsi, pour relayer la régulation politique fondée sur la séparation des pouvoirs, une régulation juridictionnelle énergique apparaît nécessaire, afin d'étendre à la loi elle-même le contrôle traditionnel qu'exerce le juge sur les actes de l'administration. La loi apparaît ainsi comme l'instrument par lequel la majorité réalise son programme, c'est-à-dire un moyen de gouvernement. Certes, un tel état politique est banal à relever, les démocraties libérales le vivent au quotidien, aussi est-il nécessaire d'ajouter que la loi se meut souvent dans notre société sous-développée au gré de la conjoncture politique et sociale. La majorité est déclarée fictive dans la mesure où un problème de légitimité se pose de façon lancinante, et le respect de la loi est perçu sous un angle plutôt mécanique que dynamique qui touche le devenir de l'Etat, de son autorité et de l'évolution de la société dans son ensemble. Par ailleurs, un argument théorique justifie en droit le contrôle de constitutionnalité. C'est la Constitution qui détermine les conditions dans lesquelles le peuple souverain est représenté. Organe constitué, le Parlement tient ses pouvoirs de la Constitution et il ne représente valablement le peuple que pour autant que les conditions qu'elle a fixées sont respectées, tant en ce qui concerne les règles de procédure organisant l'exercice du pouvoir législatif, que les règles de fond visant le contenu même de la loi. Aussi, si la loi exprime en principe la volonté générale dans le respect de la Constitution, le juge constitutionnel, en la censurant, ne fait pas prévaloir son opinion sur la volonté du législateur, car la Constitution ne lui attribue pas un principe général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement, mais lui confère seulement une compétence pour se prononcer sur la conformité de la Constitution des lois déférées à son examen. Il se borne à constater que le Parlement a outrepassé sa compétence en adoptant, sous la forme d'une loi ordinaire, des dispositions qui, parce qu'elles mettent en cause des règles de valeur constitutionnelle, ne pouvaient l'être que sous la forme d'une loi constitutionnelle. Une double conséquence se déduit de cette analyse. En premier lieu, le contrôle des lois adoptées par le peuple à la suite d'un référendum est exclu, parce que de telles lois constituent l'expression directe de la souveraineté nationale et qu'il ne saurait être question de censurer la volonté populaire. Dans les cas ordinaires, la volonté du peuple s'exprime par représentation et celle-ci doit respecter les conditions fixées par la Constitution, en particulier lorsque des principes ou des règles de valeur constitutionnelle sont en cause. La procédure la plus solennelle de la révision est alors nécessaire : «Tout le système constitutionnel repose en effet sur l'idée d'un consensus fondamental, en forme de pacte, portant sur des grands principes, et qui ne peut être modifié que dans des conditions solennelles, à des majorités renforcées ou par référendum» (G. Vedel). De telles exigences garantissent que les représentants n'outrepassent pas le mandat qu'ils ont reçu en portant subrepticement atteinte à ces grands principes. Mais le corollaire est que la démocratie doit avoir le dernier mot et par suite la volonté du souverain prévaloir en dernière instance: «Si les juges ne gouvernent pas, c'est parce que, à tout moment, le souverain, à condition de paraître en majesté comme le Constituant peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts» (Vedel). Ainsi, loin de porter atteinte à l'Etat de droit, ce «lit de justice» du pouvoir constituant a légitimé le contrôle juridictionnel au regard de la démocratie. La démocratie et l'Etat de droit peuvent ainsi être conciliés, puisque le juge de la constitutionnalité se cantonne dans le rôle de gardien des compétences, analogue à celui d'un aiguilleur qui indique simplement la procédure à suivre, sans s'ériger en censeur du législateur, encore moins en arbitre politique comme le pensent certains. Aussi et par-delà les conclusions de la Commission sur la réforme de l'Etat, il est impératif de ne point affliger l'Etat d'un contrôle sans âme et dépourvu de toute rationalité. Le Conseil constitutionnel ne doit pas être affaibli, il doit être renforcé: son rôle premier étant celui de rationaliser le système politique et constitutionnel choisi.