Il aura fallu toute la diplomatie de Bouteflika, apparemment toujours aussi à l'aise lorsqu'il s'agit de diplomatie parallèle, pour que Kadhafi accepte les termes du plan saoudien. L'idée qui a donné naissance à l'initiative Abdallah sur le conflit israélo-arabe serait celle de trois présidents maghrébins dont l'Algérien, Abdelaziz Bouteflika. C'est la révélation surprenante faite par le directeur de la publication et éditorialiste de Jeune Afrique- L'Intelligent, Béchir Ben Yahmed dont la réputation n'est plus à faire. C'est dans le dernier numéro de son magazine que Ben Yahmed révèle les dessous de l'initiative saoudienne qui est en train de prendre une envergure mondiale tant la communauté internationale semble favorable à ce nouveau plan de paix. Il écrira notamment ce qui suit: «Je peux relater, pour mes lecteurs, la genèse de cette idée, jamais rapportée jusqu'ici dans aucun journal et que je tiens de témoins directs qui m'en ont fait la confidence en avril dernier, il y a donc onze mois. L'idée n'est pas du prince Abdallah qui, d'ailleurs, n'en a pas revendiqué la paternité. Elle est plus ancienne qu'il ne paraît puisqu'elle a été formulée pour la première fois, au dernier sommet de la Ligue arabe, qui s'est tenu à Amman, capitale de la Jordanie, les 27 et 28 mars 2001. Elle est d'inspiration maghrébine et a été exposée à huis clos devant ses pairs, le 28 mars 2001, par... Mouammar Kadhafi en son nom et en celui des présidents tunisien et algérien, Zine el-Abidine Ben Ali et Abdelaziz Bouteflika. A l'origine de l'idée, ces deux derniers ont pensé que si elle était exposée aux autres chefs d'Etat arabes par Kadhafi, réputé très hostile au compromis avec Israël, elle aurait le maximum de chances de passer (...)». Le témoignage de Ben Yahmed développe plus en détails comment il se trouve que c'est le prince héritier saoudien Abdallah qui a lancé cette idée en confiant la teneur au journaliste américain du New York Times, Thomas L. Friedman. Cette initiative, rappelons le, consiste en «un retrait total de tous les territoires occupés, y compris Jérusalem et le Golan contre une totale normalisation des relations entre les 22 pays arabes et Israël» et ce, conformément aux résolutions de l'ONU. L'analyse développée par les présidents Bouteflika, Ben Ali et Kadhafi consistait en une approche pragmatique sur le fait qu'Israël, étant reconnu dans ses frontières par une résolution des Nations unies de 1947, membre de cette organisation et soutenu par Washington et la communauté internationale, ne peut «être réduit ni même ramené à ses frontières initiales de novembre 1947». Le plan saoudien, qui sera exposé à Beyrouth, les 27 et 28 mars prochains, lors du sommet ordinaire de la Ligue arabe, prévoit, en revanche, un retrait sur la base des frontières de 1967. Originellement, c'est un comité d'experts constitué de cinq pays dont l'Arabie Saoudite qui devait relancer cette idée lors de ce sommet, mais c'était compter sans l'élection d'Ariel Sharon en Israël et la dégradation dramatique qui s'en est suivie au Proche-Orient. A la lumière de ce témoignage, on saisit mieux la portée du voyage surprise effectué par le Président Bouteflika à Syrte dix jours auparavant. Vexé d'avoir été «court-circuité» par le prince Abdallah, le leader libyen a menacé de se retirer de la Ligue arabe et de ne pas participer au sommet qui se tiendra au Liban. Une réaction logique du moment que Kadhafi était partie prenante de la proposition initiale. Il aura fallu toute la diplomatie de Bouteflika, apparemment toujours aussi à l'aise lorsqu'il s'agit de diplomatie parallèle, relayé par le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, dépêché à Tripoli, pour que Kadhafi accepte les termes du plan saoudien sans pour autant faire l'économie de proposer, en parallèle, un plan «libyen» pour le Proche-Orient. A noter que le sommet arabe tant attendu a été précédé, ces trois derniers jours, d'une réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, tenue au Caire, et qui a sensiblement modifié les termes de la proposition saoudienne, remplaçant ainsi le terme «normalisation» avec Israël par «paix globale» et ce, à la demande syrienne et sur proposition égyptienne.