Humeur, susceptibilité et manoeuvres des uns et des autres sont les mamelles du monde arabe. Jamais Sommet arabe n'a compté un nombre de rois, d'émirs et de chefs d'Etat absents, aussi élevé dans les annales de la Ligue des Etats arabes. Douze souverains et chefs d'Etat ont choisi de se faire représenter au Sommet de Beyrouth qui doit débattre d'un plan stratégique de paix, le plus important, selon les observateurs, qui soit soumis, depuis la naissance, du conflit arabo-israélien, à Tel-Aviv. L'absence de ces douze chefs d'Etat, qui soulève maintes interrogations, est perçue comme un signe préludant déjà des dissensions susceptibles de torpiller le plan de l'émir Abdallah. Yasser Arafat signe ainsi, en dépit de sa bonne volonté, sa première absence à un Sommet arabe depuis qu'il a été choisi pour présider aux destinées de l'OLP, après la débâcle de juin 1967. L'Egypte et la Jordanie ont renoncé également à venir à Beyrouth. Anciens pays du champ de bataille avec la Syrie, ils se sont ravisés en toute dernière minute après s'être consultés mutuellement de crainte que le Sommet n'exige la rupture des relations diplomatiques et commerciales des pays arabes avec l'ennemi israélien. Si pour l'Egyptien, la justification de mise avancée est sa solidarité avec le président Arafat, empêché par Sharon de venir à Beyrouth, pour la Jordanie, le roi Abdallah II, c'est la crainte de voir certains pays, prônant le durcissement à l'égard d'Israël, comme la Syrie et la Libye, lui imposer la rupture ou le gel de ses relations avec Tel-Aviv. Pour le président égyptien, l'on explique aussi qu'il a mal réagi lorsqu'il a appris que les autorités libanaises ont refusé qu'il soit accompagné d'une garde rapprochée de 80 éléments, sachant que le nombre autorisé est de 15 seulement en ce genre de conférence politique. Quant au président soudanais, son absence à ce Sommet se justifie par une histoire de chambre qu'il a jugé indécent d'occuper par rapport à sa fonction et à son voisin de palier, le président comorien. Le représentant de l'Etat palestinien a menacé, quant à lui, de se retirer avant la levée des travaux, s'il n'était pas autorisé à lire le discours du président Arafat au Sommet arabe. Ce discours a fini par être diffusé par la chaîne qatarie Al-Jazira avant même que les participants à ce Sommet auxquels il était initialement adressé, n'en prennent connaissance, faute de timing. Humeur, susceptibilité et manoeuvres des uns et des autres sont les mamelles du monde arabe qui n'en finit pas, malgré la tragédie palestinienne, de boire le calice jusqu'à la lie. Le monde arabe est à la croisée des chemins. Mais il est, apparemment, loin, très loin, d'avoir saisi, aujourd'hui, la dimension et la portée de tous les enjeux autour de cette nouvelle idée de paix lancée par les Saoudiens et qu'on leur demande, aujourd'hui, d'entériner. Le plan Abdallah passera comme une lettre à la poste. Il restera simplement après l'étape de Beyrouth à le défendre auprès du Conseil de sécurité, des Etats-Unis, de l'Europe, de la Russie et de la Chine. Il restera encore à convaincre le monde de la volonté arabe de faire la paix avec Israël contre la restitution de ses territoires, la création d'un Etat palestinien ayant El-Qods comme capitale et d'assurer le retour des réfugiés. Le plan Abdallah est conçu pour être la panacée au mal arabe. Les Saoudiens, malgré la mauvaise humeur ambiante et la bouderie de quelques présidents, rois et émirs, n'auront pas de peine ni pour faire avaliser leur nouveau rêve de paix ni pour camper leur nouveau rôle de peacemaker. Mais d'autres Arabes absents, comme Kadhafi, rechignent à suivre les Saoudiens sur un terrain qu'ils jugent miné. N'a-t-on pas vu le Libyen Abdeslam Triki interpellant le président du Sommet Emile Lahoud sur le sort réservé au plan de paix de Kadhafi, déjà soumis au Sommet d'Amman? Triki tient à ce que l'initiative de paix libyenne aboutisse ou soit associée au plan de paix saoudien. Le sommet a dégagé la balle en touche en prétextant que cette initiative est toujours à l'étude. Bel enterrement, sans sépulture, pour l'initiative de paix de Kadhafi... L'intervention du président syrien, Bachar El-Assad, a produit un effet de décantation sur les travaux du Sommet. Sa proposition pour la constitution de la commission, chargée de la rédaction du communiqué final sur le projet de paix de l'émir Abdallah, a été adoptée. Ce sont les pays dits du champ de bataille - la Syrie, l'OLP, la Jordanie, le Liban, l'Egypte outre l'Arabie Saoudite, parrain de l'initiative et du secrétaire général de la Ligue des Etats ar bes, M.Amr Moussa - qui vont mettre au point la mouture de la déclaration finale du Sommet. Les observateurs n'ont pas été surpris lorsque le Premier ministre égyptien propose que le Maroc vienne renforcer cette commission du fait que le royaume alaouite préside le comité El-Qods. Le représentant de Hosni Moubarak l'a fait sur la demande expresse de Sa Majesté Mohammed VI, mais aussi pour mieux baliser la voie à des contacts fructueux tant avec les Américains qu'avec Israël avec lesquels le monarque entretient des relations privilégiées. La question des réfugiés palestiniens et leur retour, telle qu'elle figure dans le plan saoudien, est soulevée avec persistance par plusieurs pays arabes qui exigent d'Israël de ne plus s'opposer à cette option et ce, conformément aux décisions du Conseil de sécurité dont la résolution 194. Quant à la normalisation des relations entre les Etats arabes et Israël, de l'avis de nombreux participants, celle-ci doit relever exclusivement de la souveraineté de chaque pays arabe à vouloir ou non établir des rapports diplomatiques ou commerciaux avec Tel-Aviv. Il ne peut être ainsi fait obligation à aucun Etat arabe d'accueillir sur son sol un ambassadeur israélien et de désigner un représentant auprès de l'Etat hébreu. Concernant le problème irako-koweïtien, l'on considère, en dépit des efforts investis par certaines capitales arabes, que l'on est encore loin d'un accord entre ces deux pays même si l'annonce faite par le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, de la libération du soldat koweïtien par Bagdad, est traduite comme un signe de bonne volonté de Bagdad d'apurer le contentieux l'opposant au Koweït. Les débats, qui ont commencé dans la soirée autour de l'initiative saoudienne, permettront d'en saisir, à coup sûr, la portée, mais aussi la préoccupation d'une paix apparemment mal définie.