Le Maroc semble décidé à faire du moindre fait, en rapport avec l'Algérie, une grosse controverse. Interminable, la controverse autour de la Tariqa Tijania. C'est à Fès (Maroc), cette fois-ci, que le Royaume alaouite est monté d'un cran dans la revendication de la tariqa tijania. Lors d'un séminaire religieux organisé à Fès, achevé hier, une lettre de Sa Majesté, lue à l'assistance, creva la roue de l'histoire. Pourtant, les stocks de cette même histoire sont clairs. «La tariqa fut fondée par le cheikh Ahmed Tidjani (1737-1815) en 1781 à Aïn Madhi, près de Laghouat, dans le sud algérien», si l'on se réfère aux livres les plus anciens consacrés à cette confrérie. Pour Sa Majesté, la tariqa est bel et bien marocaine. «Le fondateur de la tariqa tijania, le cheikh Sid Ahmed Tijani, a bâti sa zaouïa-mère à Fès. Elle est devenue, pour des considérations scientifiques et spirituelles claires, la destination de plusieurs pèlerins qui viennent de plusieurs pays africains», lit-on dans la lettre du roi du Maroc adressée aux séminaristes. Des journaux marocains ont versé encore dans l'amplification de la polémique. Certains d'entre eux accusent clairement Alger d'être à l'origine d'une «guerre religieuse» contre «la principauté des croyants». Ainsi, le Maroc semble décidé à faire du moindre fait, en rapport avec l'Algérie, une grosse controverse et l'objet d'une campagne médiatique. Mis en difficulté par l'ONU dans la question sahraouie, le Royaume chérifien tente de trouver une nouvelle échappatoire. La revendication de la tariqa tijania ne date pas d'aujourd'hui. C'est une affaire qui a bel et bien pris une ride. Mais empuantie depuis la tenue d'une rencontre internationale, l'an dernier à Laghouat, au sujet de cette question. Depuis, Rabat a brûlé toutes les cartouches contre Alger. Le Maroc tente encore de vendre l'idée selon laquelle la tariqa tijania est bel et bien une propriété privée marocaine. Un discours qui rappelle l'ancienne politique coloniale basée sur le principe de «diviser pour régner». Un débat inutile sur une question tranchée et par les historiens et par les pays de la région où s'exerce l'influence de la zaouia. Pour con-trer la vérité historique, le Maroc compte entretenir le mensonge, en activant des réseaux çà et là. Pour le Palais royal, tous les moyens sont bons pour la délocalisation de la tariqa vers Fès. Rappel à l'ordre de l'histoire: les archives les plus anciennes témoignent que Sid Ahmed Tijani, père spirituel de la tariqa, est né à Aïn Madhi (Laghouat), en l'an 1150 de l'hégire. Qu'est-ce qui fait courir donc le Royaume chérifien? Rabat avait tendance à qualifier cette vérité historique de «hold-up algérien». Et, par ricochet, miner coûte que coûte tous les chemins qui mènent à Alger. Pourtant, cette affaire ne relève point du politique, mais seule l'histoire est en mesure de mettre les choses au clair. Cette politisation a conduit le Maroc jusqu'à dire, par la voix de journaux domestiqués, que le «voisin de l'Est transfère sa position hostile au concept religieux». Le Maroc a, bien évidemment, tout le droit d'organiser une rencontre autour de la tariqa tijania. Mais sans l'Algérie, voire contre l'Algérie, que le Maroc a décidé de provoquer cette réunion de Fès. Un timing bien calculé, une rencontre dépourvue de sens et une histoire falsifiée, la seule finalité étant de dresser les adeptes sur une tariqa «marocaine». A l'origine de cette querelle, une tentative de division montée par le régime colonial. En d'autres termes, l'administration coloniale, archives à l'appui, a essayé d'imposer une lecture politique à un différend rituel minime. Explications: la zaouia tijania avait deux tendances, la première baptisée «onze grains» et la seconde «douze grains». La première récitait onze fois la prière «jawharatu el kamali» alors que la seconde la récitait douze fois. Cette différence aurait été sans importance si un facteur d'ordre politique n'était venu bouleverser la donne. Le comble est que le Maroc adhère toujours aux lectures du colonialisme. Ainsi, l'administration française coloniale a usé de tous les moyens pour séparer les deux tendances. La stratégie coloniale a consisté à gagner le soutien de l'une des deux tendances contre l'autre. Le colonialisme, d'après les historiens, n'a également pas hésité à utiliser et à raviver les divergences tribales pour diviser le mouvement soufi naissant. Néanmoins, ces manoeuvres n'ont pas réussi à empêcher le triomphe de la tarika tijania dans la région de l'Afrique de l'Ouest. Dans les années 1930, la confrérie avait des dizaines de milliers d'adeptes dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest: on la retrouve en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Guinée, et au Burkina Faso.