A travers une virulente campagne médiatique, le Royaume veut vendre l'idée selon laquelle cette confrérie est une propriété marocaine. Le Maroc semble décidé à faire du moindre fait, en rapport avec l'Algérie, une grosse controverse et l'objet d'une campagne médiatique. Le Royaume monte ainsi la désormais affaire de la tariqa tijania. Au-delà de la parenté de cette tariqa, la question à laquelle il faudra répondre, d'après Bouabdellah Ghlamallah, ministre des Affaires religieuses, est de savoir si l'Algérie a le droit ou non d'organiser un séminaire sur son territoire? La réponse par le oui paraît toute évidente, à en croire le ministre, interrogé, hier, par L'Expression, lors d'un regroupement à Dar El Imam (Alger). Cela dit, le ministre se garde de prendre des raccourcis politiques que le Royaume chérifien entend imposer. Mais l'histoire est claire. «La tariqa fut fondée par le cheikh Ahmed Tidjani (1738-1815) en 1781 à Aïn Madhi, près de Laghouat, dans le sud algérien», si l'on se réfère aux livres les plus anciens consacrés à cette confrérie. Le Maroc, à travers une virulente campagne médiatique, veut vendre l'idée selon laquelle la tariqa tijania est bel et bien une propriété privée marocaine. En relaçant le «débat» sur une question tranchée par l'ensemble des pays de la région où s'exerce l'influence de la zaouia, Rabat remet au goût du jour l'ancienne politique coloniale basée sur le principe de «diviser pour régner». L'administration coloniale, archives à l'appui, a fait imposer une lecture politique à un différend rituel minime. Explications: la zaouia tidjania avait deux tendances, la première baptisée «onze grains» et la seconde «douze grains». La première récitait onze fois la prière «jawharatu el kamali» alors que la seconde la récitait douze fois. Cette différence aurait été sans importance si un facteur d'ordre politique n'était venu bouleverser la donne. Le comble est que le Maroc marche toujours sur les lectures du colonialisme. D'après le livre Cheikh Hamahoullah, homme de foi et résistant de Alioune Traoré, l'administration française coloniale a usé de tous les moyens pour séparer les deux tendances. La stratégie coloniale a consisté à gagner le soutien de l'une des deux tendances contre l'autre qui soutenait un tidjanisme à onze «jawharatu el kamali». Ce fut cette dernière qui a d'ailleurs apporté son soutien à l'Emir Abdelkader et proclamé le djihad contre l'occupant français. L'administration française n'a pas lésiné alors sur les qualificatifs pour désigner la tendance adversaire «tidjanisme différencié», «tidjanisme à caractère subversif» ou encore «secte dissidente de la tidjania». Le colonialisme, selon les historiens, n'a également pas hésité à utiliser et à raviver les divergences tribales pour diviser le mouvement soufi naissant. Mais, ces manoeuvres n'ont pas réussi à empêcher le triomphe de la tarika tijania dans la région de l'Afrique de l'Ouest. Dans les années 1930, la confrérie avait des dizaines de milliers d'adeptes dans toute la région de l'Afrique de l'Ouest: on la retrouve en Mauritanie, au Niger, au Mali, au Sénégal, en Côte d'Ivoire, en Guinée, et au Burkina Faso. Pour les besoins de rappeler, les archives les plus anciennes confirment que Sid Ahmed Tijani est né à Aïn Madhi, en l'an 1150 de l'hégire. L'on s'interroge alors sur le pourquoi de l'hystérie marocaine et principalement celle de ses médias. Certains journaux, domestiqués par le Palais royal, sont allés jusqu'à qualifier la dernière rencontre internationale sur la tariqa tijania, organisée à Laghouat, région natale de Sid Ahmed Tijani, d'«un hold-up algérien». Une nouvelle dérive marocaine. Rabat veut, paraît-il, miner coûte que coûte tous les chemins qui mènent à Alger. Pourtant, cette question ne relève pas du politique et seule l'histoire est en mesure de mettre les choses au clair. Il y a quatre mois environ, la zaouia tijania a traversé une zone de turbulences. Un groupe de personnes de la famille Tidjani ont procédé à l'installation d'un «Haut conseil de la tariqua». Selon les lectures véhiculées, à défaut de pouvoir contester l'autorité spirituelle du cheikh de la zaouia désigné selon le critère de l'âge, les créateurs de la structure parallèle, sans le dire ouvertement, ne lui reconnaissent pas l'autorité sur le khalifa (notion récente). En dépit de cette conjoncture peu favorable qui a fini par connaître une issue heureuse, les adeptes de la tariqa ne se sont pas laissés prendre dans le piège d'une «simple incompréhension familiale». Pour preuve, l'organisation de la dernière rencontre internationale sur la tariqa tijania à Laghouat a vu la participation des cheikhs de la tariqa de plusieurs pays d'Afrique. Après avoir tenté d'impliquer l'Algérie dans son conflit avec le Polisario, le torchon brûle de nouveau entre Rabat et Alger, à la faveur de cette nouvelle controverse. Le Royaume n'a-t-il pas trouvé une autre affaire pour détourner l'opinion publique? Possible.