L'hôpital souffre d'un manque flagrant d'appareils et de personnel qualifié, notamment le scanner et les paramédicaux. Sur les hauteurs d'Alger est perché l'hôpital Laâdi Flici (ex-El Kettar). Il tient sa célèbre appellation du cimetière mitoyen, «djebanat El Kettar». Il tient aussi sa célébrité de l'ancien marché de la gent féminine qui se tenait le vendredi, «souk el djemâa» ou «souk enssa» pour certains. Les mauvaises langues disaient, jadis, que les patients qui rentrent dans cet hôpital n'en ressortent que pour rejoindre le cimetière voisin. Concours de circonstances, cette crainte s'est, en partie, confirmée, dès le début des années 90, avec l'hospitalisation des malades atteints du sida. Ils viennent passer leurs derniers jours avant le grand voyage. Nombreux sont ceux parmi eux qui ont quitté ce monde. Depuis, les Algérois redoutent cet établissement hospitalier spécialisé en maladies infectieuses. Ils ne sont pas les seuls d'ailleurs. «L'hôpital souffre d'un manque flagrant de personnel qualifié, notamment les infirmiers», souligne un de nos interlocuteurs qui a voulu garder l'anonymat. Pourtant, il n'y a pas de pénurie d'infirmiers sur le marché du travail. «Je dirais même qu'il y a partout une pléthore en la matière, vous n'avez qu'à aller faire un tour dans les secteurs sanitaires et autres hôpitaux d'Alger», nous fait savoir un autre intervenant. Lui aussi est infirmier de son état et traîne derrière lui une quinzaine d'années. Le sida fait peur... Il nous révèle que ce sont des agents sans qualification qui mettent souvent la main à la pâte. Les infirmiers diplômés sont une denrée rare à El Kettar. Comment expliquer alors ce manque d'effectif? La réponse est simple: «Les infirmiers qualifiés refusent d'être affectés dans cet établissement à cause du sida et du risque d'être contaminé par d' autres maladies infectieuses. Mieux encore, même le personnel paramédical formé par le centre de formation de Parnet et affecté à ce service, trouve toujours le moyen de se soustraire de la liste d'affectation», nous révèle encore un autre employé de cette structure de santé. Mais le risque de contamination n'est pas la seule raison de cette défection. La charge de travail quotidienne est plus importante qu'ailleurs. Ici, la moyenne est de une à deux infirmiers pour 40 lits avec la particularité qu'il s'agit de malades gravement atteints. Il est donc logique de voir nos jeunes du paramédical diplômés se ruer surtout sur les secteurs sanitaires où le flux des malades est moindre. Nous avons tenté de vérifier l'explication qui nous a été donnée en allant faire un petit tour du côté du secteur sanitaire du boulevard Abderrahmane-Mira à Bab El Oued. Là, nous avons découvert des pratiques qu'on nous a dit «anciennes» qui consistent à demander aux malades de ramener avec eux, non seulement le médicament à injecter, mais aussi la seringue et les compresses parfois de l'alcool, voire chirurgical. Sinon, le service n'est pas assuré sauf pour les amis et les copains du quartier. Ici, les infirmiers ne manquent pas. Certains trouvent parfois le temps d'aller prendre un café pour «tuer» le temps et fuir l'ennui. Il y a plus de blouses blanches que de patients. Retour au constat fait à El Kettar. Nous essayons de connaître les moyens dont dispose cet hôpital, réputé sur tout le territoire national pour la prise en charge des malades. Surprise: cette structure d'accueil, qui reçoit les patients venus des quatre coins du pays, ne dispose pas de salle de réanimation, alors qu'il existe un étage entier laissé vacant pouvant servir. Comment faire alors en cas d'urgence? «Il est souvent question de transfert du malade vers d'autres établissements proches, tels que l'hôpital Maillot ou Aït Idir, mais parfois les malades nous sont renvoyés pour manque de place, et il nous est arrivé de donner un rendez-vous pour des malades en état comateux» témoigne notre guide de circonstance. «Pis encore, lâche son collègue, il arrive que des patients meurent bêtement pendant les allers-retours en quête d'une prise en charge.» Autres carences encore? Oui certainement car nous ne sommes pas au bout de nos découvertes. L'hôpital ne dispose pas non plus d'un scanner. On parle dans les cercles officiels de doter les structures de l'arrière-pays d'un tel matériel que cet établissement de la capitale n'en dispose pas «Cette situation a induit des déplacements incessants et une lourdeur dans la prise en charge des malades qui souffrent d'une telle situation», explique notre interlocuteur, qui n'omet pas de signaler «le temps perdu par le personnel médical et le patient surtout avec les bouchons que connaissent les rues d'Alger.» Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines, puisque nous saurons, au fur et à mesure, que le débat s'élargit avec le personnel d'El Kettar, que «certains services dans les hôpitaux algérois refusent de pratiquer des interventions chirurgicales sur des patients atteints du sida par crainte de contamination». Une grave atteinte au droit des malades consacré par les lois de la République et une non-assistance à des personnes en danger. Ce n'est pas le cas des médecins et des infirmiers exerçant à El Kettar qui ne bénéficient d'aucun avantage, ni prime de risque. Plusieurs accidents ont eu lieu et des infirmiers et servants de salle ont été touchés par des aiguilles infectées. Risques de contamination Un seul cas de contamination parmi le personnel médical a été déclaré. Il s'agit d'un infirmier qui a contracté le sida. Les analyses ont confirmé sa séropositivité. Aux dernières nouvelles, il exercerait encore dans une autre structure médicale après avoir été écarté de son poste de travail à El Kettar. Les patients qui l'approchent encourent un grand danger. Pour les autres, heureusement, la profondeur de la pénétration de l'aiguille n'était pas importante. C'est dire que le personnel vit dans la hantise d'une contamination au quotidien. «Parfois, on se dit, explique un jeune employé, que le salaire qu'on perçoit n'est pas à la mesure des risques encourus. Nous ne travaillons pas dans les mêmes conditions que nos collègues qui exercent dans les autres établissements hospitaliers.» Une vérité que nous avons constatée sur place. Les patients hospitalisés exigent une prise en charge et un suivi continus. Devant la porte du service Nicole, nous rencontrons le parent d'un malade qui ne comprend pas pourquoi on sert à manger aux malades à 19h. «C'est l'été, dit-il, et il est inconcevable de servir le dîner aux malades, alors que le soleil brille encore.» Renseignements pris auprès de quelques employés, il s'avère qu'on sert à cette heure pour permettre à une catégorie de travailleurs de se libérer. Au sujet de la qualité de la restauration, le parent de ce patient dénonce carrément la prestation de l'établissement «On sert, précise-t-il, de la loubia, du couscous, des pâtes et, du poivron aux malades qui ont besoin de repas hydratants.» Quant à la note ministérielle interdisant l'entrée de la nourriture ramenée par les parents des malades dans les établissements hospitaliers, elle semble impossible à réaliser, tellement les malades souffrent sur le plan de l'alimentation. Les agents trouvent des difficultés pour convaincre les familles de respecter cette note. Actuellement, la structure accueille 31 malades atteints du HIV (16 femmes et 15 hommes) et 3 cas d'hépatite. Ces derniers sont généralement dirigés sur les services de la médecine interne des autres hôpitaux. Voulant en savoir plus sur la progression des chiffres sur les cas des séropositifs en Algérie, certains spécialistes nous ont fait savoir que tant que le dépistage n'est pas systématique dans notre pays on ne connaîtra jamais la situation réelle. «Les cas que nous enregistrons dans notre service, expliquent-ils, sont en majorité au stade final. Ils viennent en consultation en désespoir de cause. La plupart d'entre eux finissent dans le cimetière d'à côté.» La réputation d'El Kettar comme dernière escale dans la vie, de certains patients, n'est nullement usurpée. Elle se confirme.