Pierre clément, l'homme au sourire blessé qui vous accueille avec cette réserve qui est la marque des hommes humbles, est parti rejoindre ses autres frères du cinéma de combat: Serge Michel, Jacques Charby, Djamel Chanderli...Tous ces progressistes qui, à l'image de René Vautier répondirent à l'appel du Gpra pour épauler Cécile Decugis, Olga Poliakoff, Yann Le Masson, Mohamed Lakhdar Hamina et Ahmed Rachedi pour faire connaître la lutte de Libération d'une Algérie en flammes... Malgré les risques encourus, Pierre Clément, au prix de sa vie, est entré en Algérie pour témoigner de l'horreur subie par le peuple algérien. C'était pendant l'été 1958. Lors d'un accrochage entre la katiba de l'ALN et l'armée coloniale, il sera capturé. Et là, la furie des militaires français aura eu tout le loisir de s'exprimer sur la personne de Pierre Clément, arrêté pourtant avec une seule arme à la main: sa caméra. Il ne dut son salut qu'à un heureux concours de circonstances qui lui évita l'exécution sommaire pourtant décidée par un officier français. Mais Pierre Clément avait déjà (et de quelle manière!) réussi sa mission: ses deux films Sakiet Sidi Youssef et Réfugiés algériens, avec Djamel Chanderli à la coréalisation, avaient fait le tour du monde! Après d'horribles tortures, Clément fut condamné à dix ans de prison, peine réduite, fort heureusement, par l'avènement de l'Indépendance, en juillet 1962. Mais ni sa caméra ni ses films ne lui furent rendus à sa libération. En 1993, lors de son séjour à Tébessa, durant le Festival de cinéma, il nous confia, avec son doux sourire, que beaucoup de ses images d'alors avaient été exploitées, en France, par le service du cinéma des armées, à des fins de propagande...Après l'indépendance, il poursuivit son travail avec son frère de lutte, René Vautier et signa la très belle image du mémorable film Avoir 20 ans dans les Aurès. «Pierre Clément a eu le courage et au prix de sa liberté de dénoncer la guerre d'Algérie», souligne le faire-part de son décès paru ce week-end dans un journal parisien. Il est parti, le 8 octobre dernier, dans la discrétion, comme il a vécu. L'occasion est propice pour rendre aussi hommage à travers la mémoire de Pierre Clément à son «patron» M'hamed Yazid, le père de ce cinéma algérien né sous les bombes et le napalm. C'est aussi un devoir de mémoire, en attendant que les tabous soient levés, que de saluer, par là même, la mémoire de Sid-Ali Djenaoui et de cette cellule dormante du FLN, au sein de la télévision, sise ex-boulevard Bru, à Alger, qui a répondu à l'appel de Yazid, de rejoindre avec leur matériel le groupe de Tunis...Huit techniciens, menés par Djenaoui, jeune réalisateur diplômé de l'Idhec (France) prirent le chemin des frontières Est, en passant par les wilayas de l'intérieur. En Kabylie, ils furent subitement «portés disparus» et donc déclarés officiellement «tombés au champ d'honneur»... Il aura fallu une confidence faite à l'orée de sa vie par le plus jeune d'entre eux, le futur directeur photo de talent, Youssef Sahraoui, pour apprendre leur exécution par leurs propres frères de combat, de ces pionniers du cinéma algérien. Ils furent victimes d'une opération intox montée de toutes pièces par les services français. Seuls en échappèrent un jeune technicien, grâce à l'intercession du colonel Si Haouès qui a connu son père dans les maquis et le benjamin du groupe, Youssef Sahraoui... «Le vrai, c'est la mort de neuf jeunes cinéastes qui voulaient mettre leurs connaissances au service de la liberté de leur pays. Mais qui est leur assassin? celui qui les a dénoncés en laissant traîner un faux, ou celui qui est tombé dans le piège et a ordonné le meurtre?» dira, plus tard, René Vautier à ce sujet.