Djillali, mon frère, c'est un militant attristé qui te dit en ce jour de deuil: Repose en paix, là où tu es. A l'heure où tous les Algériens fêtaient l'Aïd El Fitr, en cette journée du rassemblement dans le bonheur et la joie où tout un chacun essaye de se frayer un passage dans la sainte voie du pardon et de la miséricorde, tu as choisi ce laps de temps, cérémonieux et sentencieux à plus d'un titre, pour tirer ta révérence. Tu es parti en silence, comme si tu ne voulais déranger personne. Vraiment, tu nous as pris au dépourvu, nous qui souhaitions te voir retrouver ton dynamisme d'antan, ta chaleur d'imagination qui animait le «politique» et l'ardent militant que tu étais..., enfin la faconde avec laquelle tu nous séduisais et qui ne te quittait jamais, avant cette maladie qui t'a rongé. Djillali, mon frère, que dire aujourd'hui à tous les amis ainsi qu'à tous ceux qui t'ont connu en tant que militant et responsable de la jeunesse algérienne, qui t'ont apprécié en tant que cadre du parti du FLN, enfin qui t'ont respecté en tant que député dans cette Assemblée d'hier qui se caractérisait par sa performance et sa résolution? Que vais-je dire à tous ces frères de combat qui t'ont aimé quand tu les encadrais et les coordonnais au niveau du Département des Mouvements de libération nationale, sous la houlette de notre aîné et non moins dévoué Si Djelloul Mélaïka? Que vais-je dire à tous ceux-là? Eh bien! Je vais rappeler à leur bon souvenir, comme le font tous les nationalistes honnêtes, que Djillali a été, de toute sa vie, même s'ils le savent pour t'avoir pratiqué autant que moi, l'Homme -avec une majuscule-, le cadre, l'engagé, l'attentif, le respectueux, le digne, le serviable et par-dessus tout..., le sympathique. Que vais-je dire aux jeunes qui, eux, ne te connaissent pas ou très peu? Que tu as été une grande «pointure» dans un parcours sans faute! Oui, je vais leur dire que tu as été brave, que tu as été droit et loyal dans ton comportement de tous les jours et dans ta gestion de situations particulièrement ardues. Je leur dirai que tu as été, tout simplement, toi-même, l'inébranlable Djillali que nous considérions à sa juste valeur, Djillali aux grandes qualités qui ne nous étonnaient guère car, c'est dans l'action permanente, en liant une chose à l'autre, que tu as appris à devenir le Militant, pour le rester jusqu'à ta mort. Et de là, tu as démontré amplement ta fougue et ton attachement au sacrifice partout où tu as exercé de hautes missions dans de vaillantes responsabilités. Qui, mieux que toi, pouvait faire cette analyse courageuse, en parlant des jeunes que tu aimais tant: «Si par nature la jeunesse est turbulente, notre société se veut complice par son mode de vie et sa manière de régler certains problèmes de cette génération... L'on a vu parfois des actions contrecarrer une jeunesse emportée par le tourbillon du temps. Souvent aussi, on a considéré comme une fantaisie des moyens vitaux, appropriés et efficaces dans la mobilisation des jeunes. Il n'est pas possible d'attendre d'un jeune à l'esprit vierge, ou d'un jeune à l'esprit aliéné par une influence néfaste, la spontanéité et l'ardeur nécessaires à servir le pays et sa jeunesse, sans un long travail conscient mené avec tact par des responsables...Ainsi, nous nous voyons condamnés aux éternels recommencements sur le plan organique, en constituant des brigades et en installant des responsables qui s'usent ou se découragent par tous ces facteurs négatifs...»? Vois-tu Djillali, ta disparition qui était prescrite par ton destin, mais qui demeure cependant cruelle pour ta famille et tes compagnons d'un long parcours dans le militantisme, m'impose cette obligeance de replonger dans le passé et tirer des pénombres du souvenir des noms, beaucoup de noms qui ne seront jamais oubliés car ils résonnent toujours dans l'esprit de tes frères de combat. Ceux-là reviennent encore, en ces jours de deuil, pour fouetter notre mémoire collective. J'ai à l'esprit les regrettés Slimane Kerkar, Abdelkader Labidi, Souahi Madani, Ahmed Baghli, M'hamed Djellid, Amar Guettouchi, Mouloud Benyahi, Tayeb Merati, Salah Semache et d'autres qui ne liront pas cette lettre. J'ai à l'esprit également, en ce triste jour d'adieu, les frères d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Asie et d'Amérique latine que tu as connus..., que nous avons tous connus dans le combat pour la liberté et l'émancipation de nos peuples. Des noms se bousculent dans ma tête évidemment, tellement ils sont nombreux et, pendant que nous honorons ta pensée et célébrons ta sagacité, ta générosité et ton dévouement, de pareilles qualités nous renvoient vers ceux-là mêmes que tu as pratiqués dans des moments difficiles, que tu as tant aimés pour leurs valeurs et leur courage. J'ai nommés: les Johnny Makatini, Sindelo Thamy, Bangora Kanfory, Amilcar Cabral, Agostinho Néto, Serigné Babakar Diop, Anouar El Fattaïri, Menhel Chadid, N'guyen Van Troï. Tous ceux-là, qui ne sont plus de ce monde, reviennent aujourd'hui dans le flot de nos souvenirs pour te rendre ce vibrant hommage. Tous ceux-là, avec qui tu as effectué un long parcours, t'attendent dans le vaste Paradis d'Allah, le Tout-Puissant Seigneur, qui sait récompenser tous ceux qui n'ont pas failli à leur devoir, quand la patrie leur a fait appel. Vois-tu Djillali, c'est très difficile de perdre un frère comme toi! C'est très douloureux en même temps qu'éprouvant, lorsqu'il faut retirer sa plume, la tremper dans l'encrier de ses larmes et remuer avec une profonde nostalgie ce passé ô combien élogieux pour les jeunes que nous étions dans cette glorieuse organisation de la Jfln. C'est très douloureux en effet, de te revoir en mon domicile, comme si c'était aujourd'hui, dans ce salon mythique face au jardin, ce salon qui est le témoin de tant de rencontres et de nos passionnantes discussions, avec notre inséparable Amar Fouanis et plusieurs fois en compagnie d'Abdelkader Saâdna. Nous revisitions l'Histoire, à chaque occasion qui ne se terminait que très tard. Nous opposions nos points de vue respectifs, et nous arrivions toujours à nous accorder sur les grandes questions qui tourmentaient notre pays. Là, tu tranchais chaque fois, avec ton flegme et ta fructueuse sagesse. Tu arrivais toujours par nous ramener vers ta logique qui plus était raisonnable, si le pléonasme ne m'est pas défendu en pareille rédaction. Tu t'efforçais d'être constamment conciliant et libéral au moment où d'autres, malheureusement, sans nous connaître profondément, nous traitaient de suffisants et de prétentieux. Mais tu gardais toujours cette volonté et cette audace indéniables de dire vrai et de parler fort devant n'importe qui, surtout devant de hauts responsables...«ces pontes» devant lesquels certains n'osaient même pas lever les yeux et encore moins effleurer la susceptibilité. Tes passages dans différentes responsabilités, au plus haut niveau de l'Etat, t'ont permis de renforcer davantage tes convictions, celles que tu semais à tout vent, devant tout le monde, avec courage et détermination. Tu n'avais peur que de ta conscience. Ne m'as-tu pas dit un jour, alors que nous affrontions un sujet délicat: «Il faut aller jusqu'au bout de nos forces en ce qui concerne ce problème...Il ne faut pas avoir peur tant qu'on lutte pour la vérité et plus particulièrement pour les constantes de notre pays. Le reste..., eh bien, il faut se bagarrer, constamment se bagarrer, même contre des responsables qui développent l'opportunisme, l'hésitation et l'incertitude au détriment des principes fondamentaux de notre révolution. Ce ne sera pas une tâche facile, mais il faut aller au charbon car l'Algérie appartient à tous et principalement à ses enfants honnêtes, qui savent la défendre, à tout moment et en tout point de vue...» En effet, tu disais souvent des phrases prémonitoires, comme si tu lisais dans l'esprit des gens. Tu avais ce don de t'exprimer dans la langue des «Grands», de ceux qui ne pouvaient manquer leur rendez-vous de l'Histoire. Et tu disais des choses sensées, très sensées. Je me remémore...Oui, je me remémore ces longs débats, ces séances de discussions passionnées, où tu terminais par nous convaincre et apaiser nos craintes dans un climat de détente qui nous permettait de mettre en relief nos expériences accumulées et nos préoccupations quant à l'avenir que nous voyions constamment prospère et radieux. Djillali, mon frère, c'est un militant attristé qui te dit en ce jour de deuil: «Repose en paix, là où tu es. Tu as laissé des traces..., beaucoup de traces, que ce soit à la Jeunesse, au Parti du FLN ou à l'APN car, là où tu es passé, tu as imprimé des qualités d'Homme et de Responsable. Tu as laissé un nom auprès des tiens, tu as laissé ce souvenir d'une mission dignement remplie, cette mission d'éducation, de formation et d'encadrement.» Adieu Djillali! Ton frère Kamel Bouchama.