Mercredi soir, sur le pont Saint-Michel, au coeur de Paris, une cérémonie s'est déroulée en mémoire du 17 Octobre 1961 afin que ces moments douloureux ne soient pas jetés aux oubliettes de l'Histoire. Par un froid presque hivernal, en ce 17 octobre 2007, près de 300 personnes ont voulu raviver le souvenir dans la capitale française, et, plus encore, faire admettre à la France la reconnaissance d'un «crime d'Etat.» 46 ans après la tragédie du 17 Octobre 1961 qui a vu la mort de dizaines de manifestants algériens sous les coups de la police. Lors de cette réunion du souvenir, sur le pont Saint-Michel, un haut-parleur lançait l'appel pour que «la vérité soit rétablie». Des militants du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) brandissent haut leurs drapeaux au bord de la Seine - lieu qui marqua le drame vécu par les Algériens - et l'on distingue çà et là les diverses associations présentes, dont la Ligue des droits de l'homme et le réseau Education sans frontières. «Dans cette période gouvernementale où l'on dit qu'il n'est pas question de repentance et où l'on parle des aspects positifs de la colonisation, il faut une mobilisation forte pour que soit reconnue la responsabilité française, comme elle a été reconnue pour la déportation des Juifs, souligne Arlette Laguiller, chef de file du parti de gauche Lutte Ouvrière. On vient tous les ans, et il faut à présent continuer le combat. Je le dis en tant que représentante d'un mouvement ouvrier, les travailleurs algériens massacrés le 17 octobre sont nos frères», a encore dit Mme Laguiller Les mots «résistance», «combat», «lutte» passent de bouche en bouche, tandis que des groupes compacts se forment le long du pont Saint-Michel, pour discuter de la politique française au Maghreb ou palabrer sur le président Bouteflika. Au milieu des chuchotements, certaines voix demeurent pessimistes. «Je pense qu'il n'y aura pas de reconnaissance avant vingt ans, estime Rachid Hamdi, un Algérien de passage à Paris. Car aujourd'hui, les pays anciennement colonisés ne sont pas en position de force, mais de faiblesse.» Pour Seddik Zitouni, «il ne faut pas jouer avec l'Histoire». Ce témoin du 17 Octobre 1961 laisse s'éveiller un souvenir mêlé de tristesse et de joie: de tristesse, à cause de ce jour funeste du 17 octobre, lors duquel lui-même a été blessé; de joie, grâce à l'Indépendance acquise. Il voudrait raconter, véhément, mais sa voix est déjà recouverte par les refrains presque solennels de la Chorale populaire de Paris. «Liés et tués par les lâches...» ces chants évoquent tous les esclavages et toutes les soumissions. «L'histoire coloniale s'est toujours fondée sur un rapport de force, et même si aujourd'hui il y a un vent mauvais qui souffle, ce qui est important, c'est qu'il y ait toujours des résistants», souligne Mouloud Aounit, président du MRAP. «Ce n'est pas un combat de vengeance, mais de justice!», affirme-t-il encore. «Moi je suis gaulliste et tout à fait d'accord pour que la lumière soit faite sur ce passé, renchérit Philippe Dehay. Mais je pense que personne, de droite comme de gauche, n'a envie de rouvrir ce dossier.» Une heure s'est écoulée depuis le début du rassemblement, quand vient l'instant désormais rituel: une couronne de fleurs est jetée à la Seine, et les bras se lancent en avant pour arroser de roses rouges et orange les flots que les yeux scrutent, lointains. Accoudée au parapet, une femme pleure en silence, le visage perdu dans ses mains tremblantes. Bientôt, le haut-parleur reprend ses incantations et, peu à peu, les gens se dispersent. Les moins pressés s'offrent la chaleur d'un thé à la menthe. Ce soir-là, la mémoire a peut-être l'âcre goût de la lutte, mais aussi la saveur plus apaisante de la fraternisation.