Cinquante ans après, le chef de la Zone Autonome d'Alger nous raconte les conditions de son arrestation et de sa détention. «Je n'ai jamais été torturé», raconte Yacef Saâdi sur les conditions de son arrestation et de sa détention. Jusqu'au 16 mars 1955, date de l'arrestation de Rabah Bitat, sa maison était le Quartier général où toutes les décisions étaient prises. «Je me suis retrouvé recherché.» Ce fut le début de la clandestinité. Arrêté la première fois en Belgique, lorsqu'il était chargé de mission auprès de Boudiaf, Yacef Saâdi fut livré aux Français, mais ne demeura en prison que trois mois. Il devint ensuite le «colonel» incontesté du Grand Alger et maître de toutes les opérations. Ce qui lui a valu l'acharnement de la police française, à la recherche de la tête pensante de la Bataille d'Alger. Il hausse les épaules, ingurgite un sucre -pour faire monter sa glycémie- et se jette délibérément dans le scénario de la dernière étape de la Bataille d'Alger: l'arrestation de Yacef Saâdi. Des confessions à la Rousseau. L'horloge affichait vingt-deux heures passées, lorsque la police française débarque, le 24 septembre 1957, à la Casbah et arrête le chef de la Zone Autonome d'Alger. «J'étais avec Zohra.» Allusion faite à Zohra Drif, l'une des figures emblématiques de la Bataille d'Alger. Dans le film, leur arrestation représente le dernier maillon de la chaîne, mais dans la réalité, «je me disais que politiquement j'étais mort», raconte le chef, d'une voix profonde et le coeur serré, replongé, de nouveau, «dans les plus belles années de ma vie». «J'ai été emmené au PC du général Massu et j'ai été mis, en compagnie de Zohra, dans une grande salle bondée de militaires. Soudainement, le général Massu entre et se met à me regarder longuement.» C'était les premiers instants de l'arrestation du chef de la Zone Autonome d'Alger, relatés, 50 ans après, par Yacef Saâdi, invité par l'Expression. Le chef se mit à boire, à essuyer son front et à frotter ses genoux. «Je suis diabétique», nous annonce-t-il. Mais ce qui explique son agitation est l'effet des souvenirs. Son acharnement contre l'occupant est plus intact que jamais. «Je n'accepterai pas les excuses», s'est-il insurgé brusquement. Et de se jeter de nouveau dans le bain de la guerre. «Je n'étais pas menotté», répond-il à notre question, lui demandant la nature du comportement des militaires français. «Au fond de moi, je m'interrogeais sans cesse si Ali la Pointe allait se débrouiller et me remplacer correctement.» C'est une crainte légitime d'un chef tombé dans le piège de l'ennemi. «J'ai été bien reçu et même soigné, car j'étais malade, atteint de la grippe asiatique.» Les militaires français étaient au courant de l'état de santé du chef de la Zone Autonome d'Alger, car son arrestation est due à une complicité, nous-a-t-il fait savoir. «On m'a donné des médicaments en injection et en comprimés. Quant à Zohra, elle aussi était bien traitée.» Il se souvient de chaque détail, malgré l'âge. Un détail de taille: «Le colonel Godard est entré et m'a dit que son rôle est terminé et que je devrais l'aider car il préparait un livre.» Yacef Saâdi se souvient surtout d'une déclaration: «Notre rôle est terminé. Nous ne sommes pas des monstres, nous connaissons bien la révolution.» Signée colonel Godard. Ce fut une confession inédite d'un militaire français, face à un héros de la Bataille d'Alger. Notre invité a été visiblement affaibli par une chaleur qui l'envahissait. Le surmoi se manifeste. Ce sont les souvenirs. «J'ai passé la nuit dans une grande salle à la porte blindée. Mon lit était dans le coin. Zohra était mise momentanément dans la même salle», ajoute encore le chef. Le lendemain, «je n'avais le droit qu'à un café. Pas autre chose». Une semaine après, «j'ai dû subir les premiers interrogatoires». Et de préciser que cela s'est déroulé «dans le respect et qu'il y a eu un comportement d'homme à homme». Cinquante ans après, la mémoire est plus que jamais vivace.