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Le privilège de rouler en hauteur
LE 4X4 ENVAHIT LA JUNGLE URBAINE EN ALGERIE
Publié dans L'Expression le 03 - 11 - 2007

Ces carrosses coûteux, polluants, extravagants et encombrants séduisent même les femmes.
Les apparences sont souvent trompeuses; cet adage est superbement confirmé par le phénomène du 4x4 qui n'épargne désormais plus l'Algérie. Conçu à l'origine pour parcourir les vastes steppes et autres savanes africaines, le voilà, signe des temps, qui envahit farouchement et ostensiblement l'espace urbain. Véhicule superbement nanti, le 4x4 trahit en fait tout un comportement et reflète la psychologie de son propriétaire.
Les psychologues et sociologues se sont penchés sur la question et dictent souvent les résultats de leurs études aux constructeurs de ces engins afin de mieux les aider à réussir leur impact commercial. Rappelons d'abord, pour mieux comprendre son histoire, que le tout-terrain en tant que solution de déplacement s'est d'abord manifesté aux Etats-Unis et en Europe avant de conquérir enfin le marché automobile algérien.
En effet, le phénomène mondial du 4x4 n'épargne pas l'Algérie; un pays où le marché automobile est le plus important du continent africain après celui de l'Afrique du Sud.
Beaucoup d'Algériens préfèrent aujourd'hui rouler en hauteur pour des raisons évidentes et d'autres beaucoup plus subtiles. Aussi, les concessionnaires ont-ils réalisé l'importance de l'aubaine et font de leur mieux pour satisfaire cette demande particulière, à telle enseigne que l'on peut voir aujourd'hui des véhicules de ce type cédés à moins de trois millions de dinars, ce qui était impensable il y a à peine une année. Puisque le seul concessionnaire qui se targuait d'offrir le 4x4 à moins de quatre millions de dinars était le nippon Nissan.
De fait, les enseignes automobiles internationales se livrent dans notre pays à une concurrence acharnée pour se tailler la part du lion dans ce segment particulier, où la demande est manifeste.
Ainsi, le développement de l'automobile suit son cours en Algérie et les différentes marques enregistrent chaque année des progressions non négligeables.
Les berlines occupent toujours les places de choix, cependant les gros carrosses, comprendre les tout-terrain, commencent à se frayer une voie royale, à telle enseigne que de nombreux constructeurs promettent de présenter bien des révélations 4x4 au prochain Salon international de l'automobile d'Alger, qui aura lieu cette année entre le 25 mars et le 4 avril.
Ce qui renseigne l'on ne peut mieux sur un marché de plus en plus prometteur, eu égard à une clientèle sans cesse croissante et exigeante. Au moment où différentes formules de crédits sont accordées aux potentiels acheteurs et n'excluent pas le monde des 4x4 puisque l'on peut désormais, affirment les commerciaux, se payer ce luxe par petites créances. Alors que l'accès à un véhicule neuf demeure encore problématique pour une bonne partie de la population algérienne, une certaine frange de la société s'offre le privilège de rouler en hauteur. Il s'agit d'une clientèle aisée et forcément limitée, eu égard aux prix pratiqués sur le Humer, le SUV Q7 et autres Touareg.
L'on fait néanmoins remarquer sur ce volet que les marques généralement choyées par beaucoup d'Algériens, comprendre la marque au lion et celle au losange, sont quelque peu dépassées et peinent à faire bonne figure face à la concurrence dans le segment du 4x4 qui reste plutôt la chasse gardée des Asiatiques et plus récemment des marques allemandes et américaines.
Un privilège...
Cependant, aussi bien Peugeot que Renault jugent le moment opportun de mettre le pied à l'étrier et pressent leurs ingénieurs de concevoir rapidement de telles embarcations. Aussi l'on prévoit la probable arrivée de certains tout-terrain bien français, à l'instar du 40007 et du Koléos, voire le H45 prévu pour 2009.
En attendant, les modèles que sont les SUV (Spot utility vehicule) et les 4x4 ont presque envahi le marché automobile algérien en peu d'années, et les rares concessionnaires privilégiés se livrent une farouche concurrence sur un marché des plus prometteurs. Ils parviennent à offrir des produits à des coûts jadis inimaginables. Ce qui permet de prédire aujourd'hui que le 4x4 tend à se démocratiser, à l'instar du Captiva de Chevrolet qui est cédé à partir de 2.250.000DA.
C'est là un autre indice qui permet de croire que rien n'empêche que de nouveaux constructeurs automobiles trouvent leur compte en faisant jouer des atouts qui peuvent s'avérer attractifs pour la clientèle algérienne, dans ce créneau bien précis.
Racés, puissants, spacieux et haut perchés, les 4x4 s'imposent et en imposent. Ils font de plus en plus partie du paysage automobile national. C'est là une évidence, d'autant que le phénomène ne passe plus inaperçu et prend de plus en plus les allures d'une mode, d'une tendance.
M.Olivier Georges, directeur commercial chez Chevrolet, estime que c'est là une tendance naturelle, voire légitime et que l'automobiliste algérien est en droit d'acquérir plutôt un 4X4 qu'un véhicule ordinaire en raison de l'état défectueux des routes qui malmènent sérieusement les véhicules ordinaires. Mais est-ce là une raison valable pour légitimer la possession de ces engins lourds, surpuissants et donc forcément gourmands et pollueurs? D'aucuns répondront que les 4x4 incarnent le côté obscur de l'automobile.
Une clé de cette énigme nous parvient de la gent féminine. Qu'on en juge. Beaucoup de femmes se mettent de la partie et optent pour ces montures aux mensurations extravagantes; nombreuses sont celles qui arguent en effet que leur choix a été dicté par le souci de sécurité, un élément important pour elles et que seul peut procurer l'intérieur rassurant et la stature haute et imposante d'un tout-terrain.
L'idéal, estiment-elles, pour décourager toute tentative d'agression en rase campagne ou en stationnement.
En somme ces carrosses chers, polluants et encombrant séduisent même les femmes. Edifiant!
En outre, nombre d'observateurs du monde automobile font remarquer que les conducteurs de 4x4 ne vivent que de paradoxes. Ils s'affichent en ville dans des véhicules théoriquement conçus pour les escapades rupestres. Et à une époque où les cités voient leurs voies, leurs aménagements urbains et l'espace de leurs rues rétrécir comme une peau de chagrin, les voilà qui se déplacent au volant de SUV volumineux qui occupent encore plus de place... Plus étonnant encore: les acquéreurs de véhicules tout-terrain haut de gamme, type Land Rover, BMW, Mercedes ML, ou, plus récemment, Q7 ou Touareg, optent donc pour des voitures spacieuses...et se déplacent généralement seuls dedans. Et s'ils achètent bien des engins de franchissement à quatre roues motrices, un rare pourcentage d'entre eux se hasardera un jour sur des chemins boueux et escarpés...Une preuve supplémentaire que le phénomène du 4x4 urbain, contradiction permanente et non-sens économique, connaît un engouement sans précédent.
Des dimensions extravagantes
Notons ici que certains de ces véhicules sont animés par de gargantuesques 8 ou 12 cylindres et engloutissent autant de «kérosène» qu'un croiseur interstellaire. Heureusement, ces véhicules survitaminés à l'instar du Porsche Cayenne -importé seulement par des particuliers- ne représentent qu'une part infinitésimale du marché, vu que les plus répandus des tout-terrain sont le propre de Toyota, Nissan...et ne consomment, eux, pas davantage qu'une berline familiale.
A en croire les prophéties des professionnels, ce genre de véhicules va exploser dans un futur proche. Quant aux raisons sous-jacentes à l'usage du 4x4, elles sont loin de surprendre certains experts du comportement routier, qui estiment que c'est là un produit «révélateur de la société actuelle». A les en croire, la métaphore du 4x4 est limpide: la ville est une nouvelle jungle et vous êtes au volant d'un véhicule équipé pour la traverser en conquérant, dans ce rapport de masse et de force qu'est l'embouteillage. Et l'idée que ces véhicules écolos s'inscrivent dans une redécouverte de la nature est un mythe opportuniste entretenu par les publicités des constructeurs.
Ce réquisitoire, sans appel, a été souvent confirmé par M.Mohammed Lazouni, le fameux «motard caché» qui dans ses chroniques ne manque pas de révéler certaines incohérences qui caractérisent les 4x4 et donc leurs propriétaires. Aussi évoque-t-il cette «manie» de fixer des pare-buffles, des câbles et des montants de remorquage à son 4x4. Peut-être, fait-il remarquer, leurs propriétaires ont-ils l'impression que les autres voitures sont un troupeau de zèbres? «Ils conduisent comme si le fait d'être au dessus des autres leur permettait d'être au-dessus des lois...», poursuit-il.
D'autres sources concluent enfin que cette «mise en hauteur» incriminée est fondamentale pour tenter de décrypter la psychologie du conducteur de tout-terrain. Elles invoquent un exemple aux Etats-Unis, où la dernière campagne pour le X5 de BMW parle d'un monde «over-all», «au-dessus de la masse», tel un espace déifié et miraculeusement débarrassé des basses contingences terrestres. Mais aussi une position où l'on toise les autres d'en haut et où l'on voit plus loin.
Ce qui induit que l'usager du 4x4, dominant, appartient à une caste routière, une élite du volant.
«Cette conception de l'espace est fondamentale et entraîne un autre comportement routier: le trekking ou randonnée urbaine», ajoute un sociologue.
Alors que le psychosociologue Erwing Goffman, dont les fabricants de 4x4 s'inspirent pour leurs études marketing, assimilait l'habitacle automobile au territoire du moi. En 4x4, ce territoire est non seulement agrandi, cuirassé, mais aussi surélevé.
On est dans la sphère du surmoi, avec une sensation de suprématie dans les embouteillages, milieu réducteur d'espaces individuels où les voitures se frôlent, où le territoire du moi est malmené.


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