Les deux cousins partent à une journée d'intervalle. L'horloge de la mémoire a sonné dix-huit fois depuis la double disparition des jumeaux de la scène, Kateb Yacine et Mustapha Kateb. Ironie du sort, ou simple coïncidence du «calendrier providentiel», les deux cousins partent à une journée d'intervalle. Yacine s'en est allé le 28 octobre 1989 à Grenoble, tandis que Mustapha, lui, quittera ce bas monde le lendemain, le 29 octobre de la même année, à Marseille. Parler des deux hommes, c'est, nécessairement, revenir sur deux parcours parsemés de délires, de larmes et de joies. Ces deux génies avaient certes emprunté deux parcours, mais la finalité était la même: atteindre le faîte de la création. Mais a-t-on, au moins une fois, réussi à accéder à la cime? Quel est donc ce créateur qui prétend arriver à ce point? Car, en définitive, la création n'est autre qu'une frustration qu'on souhaite satisfaire, en vain. C'est la soif qui nous retient en un moment de «déperdition onirique», et qu'on ne peut étancher...Cependant, que peut-on ajouter à ce qui a été déjà dit sur ces deux hommes? La question vaut le détour. Que va-t-on ajouter aux écrits des «amis» des deux hommes, ou des anecdotes racontées à leur propos par ceux qui les ont «côtoyés»? Revenir, aujourd'hui, dix-huit ans après leur disparition, sur leurs parcours n'est qu'une simple manière de marquer une pause, et d'avoir une pensée en la mémoire de ceux qui se sont donnés sans compter pour un pays, une patrie qui ne les a pas vus partir...Pour Kateb Yacine, au commencement, c'était la folie. Le délire lui a fait découvrir les chemins escarpés, mais combien savoureux, de la littérature, de la poésie et du théâtre. La multiplication des champs de la création qui s'ouvraient n'étaient qu'une aubaine pour le jeune Yacine, qui ne cherchait, malgré lui (?) qu'à faire sa catharsis. La folie (au propre comme au figuré) était donc le déclic pour cet auteur de génie. Entre la folie et le génie, il existerait certainement un lien...solide...aussi solide que celui qui lie Yacine à sa mère. Ce lien on le découvre tant dans les écrits katébiens. «Je suis né d'une mère folle très géniale. Elle était généreuse, simple, et des perles coulaient de ses lèvres. Je les ai recueillies sans savoir leur valeur. Après le massacre (8 Mai 1945), je l'ai vue devenir folle. Elle, la source de tout. Elle se jetait dans le feu, partout où il y avait du feu. Ses jambes, ses bras, sa tête n'étaient que brûlures. J'ai vécu ça, et je me suis lancé tout droit dans la folie d'un amour, impossible pour une cousine déjà mariée.» Cela est peut-être suffisant pour comprendre la vie du père de Nedjma, né le 9 août 1929 à Constantine. De ses écrits, on retient La Femme sauvage, qu'il écrit entre 1954 et 1959, représentée à Paris en 1963, Les Ancêtres redoublent de férocité en 1967, La Poudre d'intelligence en 1968 (réadaptée dernièrement par la troupe du Théâtre régional de Sidi Bel Abbès, et qui a décroché plusieurs prix) Mohamed prends ta valise (1971), La Voix des femmes (1972), La Guerre de deux mille ans (1974), Le Roi de l'Ouest (1975), Palestine trahie (1977). Entre 1972 et 1975, Kateb accompagne les tournées de Mohamed prends ta valise et de La Guerre de deux mille ans. Mustapha Kateb, lui, outre son rôle de «dénicheur» de talents, a créé la troupe théâtrale du FLN en 1958. Auteur et metteur en scène de premier plan, Mustapha Kateb a, entre autres, mis en scène Les Enfants de la Casbah; comme il a joué dans quelques films, dont L'Opium et le bâton.