Lorsque l'inspiration fait défaut, rien n'égale un tour dans les couloirs. Abdelkrim Amarni caresse sa moustache légendaire avec un air malicieux. Lui, qui vient d'essuyer une petite avalanche de remontrances, pour ne pas avoir remis son reportage dans les délais, peut maintenant souffler. C'en est fini avec lui. Amarni, la «force tranquille» comme se plaît à l'appeler Louni. La première dose, il l'a eue ce matin en pleine réunion de rédaction. «Amarni, ton reportage...» lui demande Merdaci, en lançant un regard vif et résolu sur les autres journalistes. Rien n'échappe à l'oeil vigilant de «l'Ancien». Il scrute l'un après l'autre les membres de l'équipe, qui entourent la table ovale de la salle de réunion. Il est 9h10. Les journalistes qui devaient partir en couverture, sont déjà sur le terrain. Le reste de l'équipe est là: les uns assis, les autres debout le dos appuyé au mur, l'équipe décortique l'actualité pour faire émerger les sujets du jour. Dans cette ambiance, Salim Benalia (Ben pour les intimes) sort de son mutisme, presque malgré lui, pour lancer une boutade. Difficile de retenir un fou rire qui ranime l'ensemble de l'équipe. Près de lui, le grognard Titouche Ali, toujours aux aguets. A l'heure qu'il est (11h10), l'équipe de la rédaction est plongée dans le vif des papiers. On n'entend que les «tric, trac» des claviers. Un silence olympien à couper au couteau plane sur la rédaction. Il faut accélérer la cadence. Car, dans une heure ou deux, le rédacteur en chef, Louni, se pointera avec, à portée de la langue, la phrase habituelle: «wach (quoi), presque ou...pas encore? faites vite ya l'khawa (frères)!». Il faut se dépêcher. Tout retard dans la remise des papiers peut se répercuter sur l'heure du bouclage. Parfois c'est difficile, surtout quand un blocage vous retient avant même le commencement. Il y a toujours une excuse à trouver pour fuir la feuille blanche qui se présente devant soi, et qu'il faut noircir. La fuite ne dure que quelques minutes, parfois quelques heures! Le temps de trouver l'inspiration et se mettre sur les rails. Le journaliste est confronté quasi quotidiennement à ce phénomène. Il est encore plus difficile de trouver le bout du fil lorsqu'on vous tarabuste. Mais pour éviter cette impasse, et lorsque l'inspiration fait défaut, rien n'égale un tour dans les couloirs. Entrer dans les bureaux, voir les collègues. Allons donc «tarabuster» Ahmed Achour, qui est assis, son corps massif, devant son micro; lorsqu'on l'interpelle il vous toise de son regard en souriant, pour se remettre à écrire. Il y a quelque chose de particulier chez Achour: il vous regarde sans vous voir. S'il se comporte ainsi, c'est que Achour a pêché une idée en l'air. Il est en pleine concentration. En face de lui, la fameuse Hind O. Celle-là, quand elle se met au travail, elle n'écoute plus rien. Elle ne se gêne pas pour vous ignorer. De l'autre bout de la salle, Tahar Fattani cogite son accroche en se perdant dans les chansons de Takfarinas. Pris entre un penalty et une touche, Mounir Benkaci proteste. Pour ce dernier, tout le monde s'appelle Mouloud, même les femmes. On rebrousse chemin. En traversant le couloir, on peut apercevoir Smaïl Rouha à son poste. Au fond du couloir, à droite, siège le «conseil des sages», composé de Merdaci, Ben Allam, Touati, Benyoucef Ouadia, Zouhir Mebarki et même notre Mirou qui est en train de «commettre» sa chronique quotidienne. De retour à la rédaction, les choses semblent avancer. Nadia Benakli et Wassila Benhamed ont atteint la vitesse de croisière. Fatiha Amalou et Naïma Hamidache, alias les soeurs siamoises, sont à la chute. C'est à ce moment précis que Achira Mammeri vient de rentrer, en souriant en dépit du stress. Il faut commencer, tandis que les autres sont à la fin. Enfin, pas tout à fait, car d'un moment à l'autre «les chefs» peuvent vous appeler pour «s'expliquer», avant que le papier n'atterrisse sur le bureau de Madjid Ayad. Le dernier mot lui revient. Madjid est le lien entre la rédaction et le domaine technique qui, au temps de la typographie et du linotype, s'appelait le «labeur». Aussi, un journal peut-il être ce qu'il est sans le précieux concours des techniciens de la PAO, (anciens typographes et linotypistes) et des correcteurs, les uns et les autres contribuant à l'habillage du journal et au «toilettage» des articles des journalistes. Un travail d'orfèvre que les premiers et les seconds accomplissent avec minutie en soignant le quotidien que vous avez entre les mains.