Résumé de la 2e partie La lettre vient des services des impôts qui réclament 3 062 francs. Une somme que les Farouet n?ont jamais possédée. Ce que le tiroir-caisse à moustaches doit comprendre, c'est que Roger ne savait pas qu'il fallait déclarer ce qu'on ne gagne pas. Et voilà bien quarante ans que ça dure. «Alors, pourquoi maintenant ? ? Parce que c'est la loi, et qu'on vous a retrouvé ! ? Mais qui ON ? ? L'Etat, monsieur. ? C'est vous, l'Etat ? ? Non, monsieur, et je ne suis pas là pour plaisanter. Vous devez payer, c'est tout.» Roger résiste encore à la grande colère qui lui monte au nez. ll voudrait savoir maintenant, il aimerait bien que le tiroir-caisse à moustaches lui explique pourquoi 3 062 francs. «Mais, c'est là, sur le papier, ironise le bonhomme d'un air excédé. 2 784 francs plus 10% de retard !» Mais pourquoi 2 784, et pourquoi du retard ? Puisqu'il ne savait pas ! Alors là, le tiroir-caisse à moustaches renifle et se rengorge d'une supériorité méprisante. «Cher monsieur, ce n'est pas à moi de vous expliquer comment marche le barème des impôts sur le revenu. Des mathématiciens compétents l'ont calculé une fois pour toutes. D'ailleurs, il s'agit là d'un montant estimé.» Estimé par qui ? Roger voudrait bien le demander, il aimerait peut-être discuter enfin avec celui qui estime, ça serait peut-être plus simple, car celui-là s'est peut-être trompé sur l'estime. Mais Roger n'a pas le temps, le tiroir-caisse péremptoire vient de se dresser derrière son guichet : «Monsieur, je n'ai pas de temps à perdre. Si vous voulez réclamer, vous pouvez le faire. La loi vous en donne le droit, mais vous devez payer d'abord, c'est écrit là, en tout petit, vous voyez ? ?Toute réclamation sur impôt sus-visé ne dispense pas du paiement dudit impôt dans les délais impartis.?» Seule, dans la petite maison entourée d'herbe et de silence, Jeanne épluche les châtaignes en se faisant du souci... Elle connaît bien son Roger, il parle peu et il n'aime pas qu'on lui réponde mal. Elle a raison, la Jeanne, de se faire du souci. Roger ôte sa casquette, la pose soigneusement sur le comptoir, repère le petit portillon qui mène derrière le guichet, le franchit sous le nez ébahi de trois dactylos, attrape le tiroir-caisse à moustaches au collet comme un vulgaire garenne, l'assomme proprement, le jette sur son dos et, ignorant les hurlements des femmes, fonce au-dehors, cherchant quoi faire de son gibier. ll lui faut quelque chose d'exemplaire, quelque chose qui soulage. ll est là, nu-tête, ébouriffé, rouge de colère rentrée, sur les marches de la préfecture. En face de lui, un bassin avec de beaux jets d'eau bien claire. Le tiroir-caisse à moustaches y fait un plouf ridicule et rafraîchissant devant une douzaine de badauds éberlués. Et ça fait du bien. Ça fait du bien, mais ça coûte cher : voie de fait sur la personne d'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions... Roger a passé la journée au poste et il mettra deux ans à payer le tout, impôts compris. Mais quand il a regagné sa petite maison environnée de silence et d'herbe, Jeanne a simplement demandé d'un air soupçonneux : «Roger, qu'est-ce que tu as fait de ta casquette ?»