Les citoyens interrogés soutiennent que leur sentiment vis-à-vis de l'hymne national varie selon les circonstances! L'affaire de l'amputation de l'hymne national de l'un des cinq couplets le composant, a fait couler beaucoup d'encre. La controverse a été amplifiée à un point tel que le président de la République a dû intervenir pour y mettre fin. Le ministre de l'Education nationale, et après moult tergiversations, est sorti de son mutisme en donnant des instructions «fermes» aux chefs d'établissements scolaires en les sommant de procéder à la levée des couleurs nationales chaque matin. Un exercice que les écoliers doivent désormais exécuter avant d'entrer en classe. Toutefois, au-delà de cette décision, que connaît-on de l'hymne national? Que représente-t-il pour les Algériens? Quelle est sa portée psychologique lorsqu'on se met à le chanter? Poser ces questions aux Algériens, c'est autant les interroger sur leur propre personne, tant l'interrogation paraît évidente, voire banale. «Kassaman? Eh bien c'est la première des choses que nous avons apprise à l'école», souligne Ali, un peu étonné de la question. «Une interrogation pareille ne doit même pas venir à l'esprit! Il s'agit là, de l'un des fondements de toute nation», ajoute-t-il. L'hymne national figure en effet parmi les premières «leçons» que les enfants apprennent, par coeur, dès leurs premiers pas à l'école. Le poème intelligent Bien avant la date d'aujourd'hui, beaucoup de choses ont été dites à propos de l'hymne national. Certaines mauvaises langues n'avaient pas hésité à jaser ici et là, que Moufdi Zakaria avait été forcé par «la tête pensante» de la Révolution, Abane Ramdane, d'écrire Kassaman. Mais les historiens apportent des démentis on ne peut plus cinglants à toutes ces rumeurs. Ceux qui ont côtoyé les deux hommes, affirment que Abane Ramdane, le stratège, était l'ami intime du poète de la Révolution. Et c'est sur sa demande que Moufdi Zakaria a écrit l'un des plus brûlants, mais aussi l'un des plus patriotiques poèmes de l'histoire de l'Algérie. La preuve, si besoin est, que lors d'un concours international du meilleur hymne, Kassaman a remporté le premier prix. Dans son livre Les intellectuels de la Révolution algérienne, Larbi Zbiri affirme qu'au départ, l'hymne national s'intitulait Fach'hadou (Témoignez-en!), et ce n'est que plus tard que le titre a été changé. S'agissant maintenant des circonstances dans lesquelles cet hymne a été écrit, Moufdi Zakaria, dans son recueil de poèmes Al'lahab Al Moqadass (Le feu sacré), dit l'avoir rédigé le 25 avril 1955, alors qu'il était dans sa cellule, dans la prison de Barberousse. Le poète était alors en pleine verve. Son attachement quasi féroce pour l'indépendance du pays, doublé d'un talent indéniable de poète, ont donné naissance à un hymne national des plus brûlants. Aussi, à ce talent, on ajoute l'intelligence avec laquelle ce poème a été écrit. Comment? En effet, chacune des cinq strophes composant Kassaman, représente une des cinq Wilayas historiques, en l'occurrence l'Aurès, le Nord-Constantinois, la Kabylie, l'Algérois et l'Oranie. Soulignons ici, que la sixième Wilaya, le Sud, n'a été ajoutée qu'après le Congrès de la Soummam, organisé le 20 août 1955. En composant la musique de Kassaman, l'Egyptien Ahmed Fawzi a tenu compte de ce fait. C'est ainsi que ces cinq Wilayas historiques sont représentées par les cinq coups de tambour précédant le début de l'hymne national. Que ressentent les Algériens, aujourd'hui, en écoutant chanter Kassaman? Les citoyens interrogés soutiennent que leur sentiment vis-à-vis de l'hymne national varie selon les circonstances! Un chant d'occasion? «En voyant, par exemple, Nourreddine Morsli, sangloter devant l'emblème national, nul ne peut rester indifférent, parce qu'on est envahi par une foule de sentiments réels, venant des profondeurs...», soutient Farid, boulanger. «Il m'arrive parfois d'avoir les yeux embués de larmes en écoutant l'hymne national, mais d'autres fois, ça ne me dit rien. C'est à peine comme si j'entendais une chanson sans l'écouter. Voilà la différence», explique notre interlocuteur. Farid insiste, néanmoins, que, pour lui, l'hymne national «perd toute sa valeur lorsqu'il devient un acte circonstanciel, utilisé de surcroît par certains opportunistes, afin de jouer sur la corde sentimentale des citoyens». Abdelkader, propriétaire d'un cybercafé, est du même avis. Tout en se défendant d'être taxé d'antipatriotique, ce dernier cite un exemple des plus édifiants. «Dans tous leurs films, les Américains ne manquent jamais l'occasion de montrer leur emblème national. Un symbole qu'ils ont fait imprimer même sur leurs vêtements.» Cela mène Abdelkader à soutenir que le patriotisme de chaque citoyen de par le monde, se mesure plus par les droits civiques qu'on lui reconnaît, que par les discours démagogiques qu'on lui ressasse à longueur de temps. «Quand on vit dans un pays indépendant, on ne peut être patriote et respectueux des symboles de son pays, que dans la mesure où le concept de "citoyenneté" est estimé à sa juste valeur», souligne-t-il. Mohamed, chômeur de son état, estime que «ce pays,(l'Algérie, Ndlr) ne l'intéresse plus, du moment que ses richesses sont partagées entre une minorité au détriment du reste du peuple...». En revanche, lorsque nous l'avons interrogé sur Kassaman, là, il change de discours: «Kassaman, c'est l'unique symbole qui préserve encore notre pays, le reste...ce ne sont que de vieilles chansons que nos responsables utilisent pour nous berner.» Mohamed dit ne pas ignorer que l'hymne national est écrit par Moufdi Zakaria. Une personnalité historique que notre interlocuteur affirme connaître grâce à la télé en train de déclamer ses poèmes avec la ferveur qu'on lui connaît. «En l'écoutant, j'ai la chair de poule même si je ne saisis pas le sens de certains mots», précise Mohamed. Celui-ci admet en outre n'avoir en mémoire que la première strophe de l'hymne national, c'est-à-dire ce qu'il avait appris à l'école primaire. Mohamed a quitté l'école trop tôt. «Si j'avais réussi à apprendre Kassaman par coeur, je n'aurais pas arrêté mes études», souligne-t-il en souriant. Quoi qu'il en soit, le cas de Mohamed reste compréhensible, voire pardonnable, notamment lorsqu'on apprend que des étudiants à l'Institut d'histoire n'ont retenu de l'hymne national que la première strophe! Quant aux circonstances dans lesquelles il a été écrit, ou composé, cela est une autre paire de manches.