Le représentant du peuple, autrement dit, le député, est-il bien rémunéré, trop bien payé, ou au contraire son salaire ne reflète pas la mission qui est la sienne? Les avis étant partagés et le débat sérieusement entamé à l'APN, notre consoeur y a enquêté. Le député algérien est-il mal payé? La question surprendra certainement plus d'un, fera rire d'autres. Certains suggéreraient même une faute de frappe de la part du rédacteur et remplaceraient volontiers le mot «mal» par «trop bien». Et pourtant, au niveau de l'Assemblée populaire nationale (APN), la problématique est posée d'une manière très sérieuse. Le bureau de l'APN s'est penché sur ce point lors de sa réunion tenue en octobre dernier. Mais aucun communiqué officiel n'est venu révéler les tenants et les aboutissants du débat. C'est que le dossier est d'une extrême sensibilité. «Poser le problème publiquement mettra, encore une fois, le député en point de mire. Cela arrangera les affaires des parties qui tentent, coûte que coûte, de discréditer l'élu de l'APN aux yeux des citoyens», soutient un député. Sciemment, ajoute-t-il, l'on a toujours diabolisé les indemnités des députés, parce que c'est le seul budget qu'on discute publiquement conformément à la Constitution et aux textes réglementaires. «Qu'en est-il des indemnités des P-DG de banque, celles des différents groupes économiques, des holdings, des ministres qui sont toutes fixées par des décrets non publiables. Croyez-moi, si l'on rendait publique leur montant, il y aurait une révolte populaire», continue-t-il sur sa lancée. Mais la question-clé qui intrigue les citoyens, c'est de savoir combien «vaut» un député en Algérie? Selon les documents officiels obtenus par L'Expression, le député perçoit une indemnité de base estimée à 103.322DA (cent trois mille trois cent vingt-deux dinars), soit 10,3 millions de centimes. Si l'on additionne les 20.000DA versés au titre de l'indemnité complémentaire (ou indemnité de représentation), ainsi que les différents frais remboursés partiellement -la facture du téléphone, la restauration, l'essence-, mensuellement, l'élu de la première chambre parlementaire touche une indemnité nette qui équivaut à 11,6 fois le Salaire national minimal global (Snmg), soit 13 millions de centimes. Elle est évaluée à 13 fois le Snmg pour le député occupant un poste de responsabilité, comme le vice-président de l'APN, le président de commission, le chef de groupe parlementaire. Ces derniers perçoivent exactement 15 millions de centimes. Le vice-président de commission et le rapporteur, eux, perçoivent 14,5 millions. Quant aux présidents de l'Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation, ils ont chacun une indemnité égale à la rémunération prévue pour le chef du gouvernement. Les députés crient à la hogra «C'est un scandale!», estiment la plupart des députés que nous avons interrogés: «Un cadre dans une société internationale de télécommunications est mieux rémunéré qu'un député!» Eh oui! même les députés crient à la hogra. «Puisque la rémunération du président de l'APN égale celle du chef de l'Exécutif, qu'est-ce qui empêche l'alignement de l'indemnité des députés sur celle des ministres?», s'interroge un député de l'Alliance stratégique. «Nous ne sommes pas des milliardaires. On ne perçoit pas 30 ni 50 millions. Expliquez bien au peuple que les membres de la première chambre parlementaire touchent entre 13 et 15 millions de centimes. Nous n'avons aucun autre avantage.» En fait, le parlementaire bénéficie aussi d'un prêt de véhicule sans intérêt de 100 millions de centimes et d'une indemnité d'hébergement, calculée sur la base d'une location de 63.000DA par mois, soit 75,6 millions de centimes par an. Une somme jugée dérisoire: «En ma qualité de membre de la commission des finances, j'ai été réquisitionné pendant 20 jours à Alger lors de l'examen du projet de loi de finances 2008. J'ai réservé à l'hôtel Es Safir à raison de 4000DA la journée. Faites vos comptes, et vous verrez que les 63.000DA ne couvrent pas les frais d'hébergement. Le député habitant l'intérieur du pays paie de sa poche son loyer», soutient notre source. «L'on dit aussi que l'Etat nous accorde un crédit logement, que nous avons une résidence au Club des Pins. C'est faux! Pour habiter cette résidence d'Etat, le député verse un loyer de 53.000DA. Nous payons comme tous les citoyens les factures de gaz, d'électricité, d'eau. Nous n'avons ni femme de ménage, ni jardinier, ni une garde rapprochée et pourtant, certains députés sont mieux connus que les ministres», lance, d'un ton révolté, un autre. Parmi les autres frais remboursés, il y a l'essence, le gasoil. Le barème est fixé à 3DA/km. Les parlementaires originaires de l'intérieur bénéficient de deux billets d'avion gratuits par mois. «Précisez qu'il s'agit de billet sur les lignes intérieures et non extérieures», soutient notre source. Concernant le téléphone, une indemnité qui varie entre 5000 et 10.000DA est incluse mensuellement dans la fiche de paie des députés. «Personnellement, je paie jusqu'à 20.000DA la facture de téléphone. Pour contrôler mes dépenses, j'ai choisi de renoncer à l'abonnement et j'ai opté pour la carte Djezzy», ironise un vice-président de l'APN. Abderrahmane Saïdi, vice-président du MSP, fera remarquer que «contrairement aux hauts fonctionnaires de l'Etat, l'indemnité des députés ne lui appartient pas totalement. Etant élu, les citoyens, à juste titre d'ailleurs, voient en nous une bouée de sauvetage». «Nous sommes souvent sollicités pour différentes raisons. J'ai vécu personnellement l'expérience. Il m'arrive d'intervenir pour régler des frais de soins médicaux, prendre en charge la scolarisation des enfants de familles démunies, et j'en passe. Ces situations se répètent régulièrement. Le député qui respecte la confiance portée en lui par les citoyens ne peut tourner le dos aux cas sociaux. Je connais des députés qui ont achevé le dernier mandat endettés.» Selon des informations recueillies par L'Expression auprès de la Chambre parlementaire, un nombre assez important de députés sortants, issus de la cinquième législature, n'ont pas apuré la dette de véhicule. Une autre précision de Saïdi: «On rassure nos citoyens que nous ne transportons pas une fortune avec nous quand nous nous rendons à l'étranger. Les frais de mission sont calculés sur la base de 250 euros la journée, une somme qui sert à payer les frais d'un hôtel 4 étoiles.» «Je peux bien économiser cet argent et chercher un hébergement moins coûteux, mais il faut garder à l'esprit que quand on voyage à l'étranger, nous sommes tout d'abord et avant tout les représentants de l'Etat algérien. On n'a pas le droit à l'erreur.» Dans le cadre de la réforme du secteur de la Fonction publique, il est retenu que les indemnités du député soient calculées sur la base des critères établis pour le corps des fonctions supérieures de l'Etat, précisément en vertu du décret présidentiel 07-305 fixant le mode de rémunération applicable aux fonctionnaires et agents publics exerçant des fonctions supérieures de l'Etat. Concernant cette grille justement, les députés constatent que le nombre de points servaient de base au calcul de l'indemnité du député (5438). En conséquence, «il devient impératif de proposer l'amendement de l'article 19 de la loi 01-01 du 26 janvier 2001 pour pouvoir définir un nombre de points supérieur à l'actuel.» «Avec la révision générale de la grille de la Fonction publique, le député occupera une position moyenne. Un directeur central d'une banque ou même un SG du ministère touchera mieux que le parlementaire», précise notre interlocuteur. Pourquoi? De prime abord, les indemnités pour les hauts fonctionnaires de l'Etat ont été relevées jusqu'à 7250 multiplié par 45DA (le point indiciaire unifié), ce qui nous donne un salaire de base de 3.384.000DA. Si l'on ajoute les indemnités prévues par les décrets 07-306 et 07-307, la mensualité de cette catégorie de fonctionnaires peut atteindre les 55 millions de centimes. «Nous ne sommes pas des milliardaires» Au niveau de l'Assemblée populaire national, le débat sur les indemnités des députés est engagé timidement. Aucun parti n'a le courage politique d'engager publiquement la discussion, surtout en cette période électorale. «Qu'en pensera ce simple citoyen au chômage, ce père de famille qui ne touche même pas le Snmg, cet électeur qui a voté pour nous pour que nous transmettions ses doléances. En lisant cet article, ils se diront certainement que nous sommes des opportunistes en quête de pouvoir et d'argent. Ce n'est pourtant, aucunement notre intention. Certes, il y a des députés opportunistes, corrompus, mais ce n'est pas la règle.» A travers la réévaluation des indemnités, les députés défendent qu'ils revendiquent surtout la consolidation des moyens de travail de l'élu, de manière à lui permettre de mener à bien sa mission. «Nous pouvons, dès lors, ouvrir des permanences à travers les différentes communes, faire appel à des conseillers pour les projets de loi importants, etc.», ajoute Saïdi. 13 millions, n'est-ce pas trop pour les députés qui désertent l'hémicycle et qui ne s'y présentent qu'à l'occasion de l'ouverture et de la clôture des sessions parlementaires? Qui lèvent la main pour adopter quasiment toutes les lois? «L'absentéisme au niveau de la Chambre parlementaire n'est pas propre à l'Algérie, comme certains voudraient bien le laisser croire. Suivez les débats organisés à l'Assemblée française. Ils sont tenus dans une salle quasiment vide», souligne Saïdi. «Comment voulez-vous qu'on y assiste alors que le gouvernement affiche un mépris total envers l'APN? L'exemple le plus récent remonte à quelques jours, à l'occasion de l'examen de la loi de finances 2008. Durant tous les débats, aucun ministre n'a daigné se déplacer à l'APN.» Concernant l'adoption des projets, il se défend: «J'estime que, du moins pour la dernière législature, nous n'avons pas voté des lois qui vont à contre-courant de l'intérêt du peuple, nous avons réussi à en amender certaines. Pourquoi ne relève-t-on pas cet aspect? Certains pensent que la démocratie est le rejet de tout ce qui vient de l'autre. Ce n'est pas le cas pour nous.» L'Expression a appris que des négociations sont menées avec la première Chambre du Parlement (Sénat) pour exiger la réévaluation des indemnités. Mais les députés sont convaincus que «sans appui politique émanant du président de la République, cette démarche est vouée à l'échec». A noter que seul le Parti des travailleurs (PT) refuse de s'engager dans ce débat. Ramdane Taâzibt, chef du groupe parlementaire, affirme à L'Expression qu'il n'adhère pas à cette revendication. «Nous n'avons pas le droit, au moment où l'Algérie connaît une expansion terrible de la pauvreté, d'ouvrir ce débat.» Le député du PT, à titre de précision, verse la totalité de son indemnité au parti, lequel lui fixe un salaire qui équivaut à 5 fois le Snmg, c'est-à-dire 60.000DA par mois. «Les députés du PT estiment raisonnable cette indemnisation. Il faut rester proches du peuple, nous ne nous sommes pas portés candidats à la Chambre basse pour devenir riches.» Nos députés sont-ils aussi pauvres qu'ils le prétendent? Difficile d'y répondre, sachant, par exemple, que pour la cinquième législature, très peu d'entre eux ont déclaré leur patrimoine en fin de mandat, conformément à l'ordonnance relative à la déclaration de patrimoine. Interrogés sur ce point, les députés attestent que la loi ne fixe pas de délai.