M Dedenis, doctorant en géographie à l'université de Rouen, répond aux questions de notre envoyé spécial. L'Expression: Julien Dedenis, vous êtes un chercheur, mais aussi un membre du réseau des associations solidaires avec la question sahraouie, comment abordez-vous cette question, à la fois hautement politique et humanitaire, dans les milieux français? Julien Dedenis: Avant d'être militant, je me considère comme un jeune chercheur. Mais il est vrai que mes recherches peuvent alimenter un certain militantisme. Celui-ci ne repose donc pas sur une position de principe, mais sur la volonté de lutter contre la manipulation des faits et les préjugés afin de mettre en question le sens commun. Par exemple, en tant que doctorant en géographie, il me semble important de critiquer vivement certaines de ces cartes du Sahara occidental diffusées en France, (les dictionnaires Larousse notamment, Ndlr) aussi bien par des canaux officiels que médiatiques ou encore par les livres scolaires et qui font disparaître ce territoire pour l'intégrer au Maroc, se conformant ainsi aux desseins de ce Royaume et répandant l'idée, scientifiquement fausse, que la situation au Sahara occidental est normalisée. Pour ma part, je milite pour une carte représentant le territoire comme non-autonome, c'est-à-dire ni marocain, ni sahraoui, du moins en l'état actuel des choses (tel que ce territoire figure en fait dans la cartographie de l'ONU, Ndlr). Vous avez travaillé pendant plusieurs années sur cette question à l'université de Rouen, pouvez-vous évoquer, grosso modo, vos recherches, certainement très utiles pour un cadrage beaucoup plus scientifique de la question sahraouie. Je réalise actuellement ma thèse dans le domaine de la géographie du culturel et du politique. Sans rentrer dans le détail de mes travaux, je considère les thèses sahraouies et marocaines comme relevant de deux natures différentes, reflétant là deux manières de considérer les relations entre une société et son espace et rendant difficile la conciliation. Ainsi, sans préjuger de la véracité des arguments avancés de part et d'autre, la thèse sahraouie est inspirée par une logique horizontale, universaliste dans la mesure où elle se base sur les principes du droit international. A l'inverse, l'idéologie marocaine s'appuie toute entière sur une vision verticale par la mobilisation de l'argumentaire historique. Au-delà de ce constat, il me semble que la recherche soit limitée. Je veux dire que les sciences humaines et sociales ne peuvent pas juger si l'une des deux visions est meilleure que l'autre, que c'est là une question humaine, engageant chacun, quant aux principes que nous voulons, pour fonder un monde de nations réellement unies, pour faire émerger cette citoyenneté mondiale. Pour ma part, et c'est là une opinion plus personnelle que scientifiquement fondée, il me semble que la logique verticale ne peut être que source de revendications territoriales multiples et incessantes, et donc source de nombreux conflits. Seule la logique horizontale peut, à mon avis, rassembler l'humanité. Vous avez travaillé sur une question qui ne suscite pas l'enthousiasme dans les milieux politiques français, excepté chez les associations de solidarité et certaines ONG humanitaires. Les Français sont-ils conscients aujourd'hui de la situation dans les camps des réfugiés sahraouis et les enjeux d'une question qui n'est autre qu'une affaire de décolonisation, se référant aux résolutions onusiennes? Avant de répondre à cette question, il me semble nécessaire de bien distinguer la France officielle, celle des dirigeants politiques et, me semble-t-il, de beaucoup de médias, et la France «sociale», c'est-à-dire l'opinion française. Celle-ci n'est pas au courant de la situation au Sahara occidental, et encore moins de celle des camps de réfugiés sahraouis. Je m'en convaincs quotidiennement lorsque l'on me demande l'objet de mes recherches. Mais les gens à qui j'en parle se montrent généralement fascinés par la question du Sahara occidental et sont demandeurs d'informations. La France officielle, quant à elle, tend à cacher, du moins à éviter soigneusement le sujet. Il est de notoriété publique que les dirigeants de mon pays, de gauche comme de droite, sont à bien des égards liés au Maroc et à ses intérêts. Il serait ainsi difficile pour Jacques Chirac d'expliquer aux Français pourquoi ce qu'il a fait pour l'Irak au nom de principes universalistes, il ne l'a pas fait pour le Sahara occidental, à savoir se faire avocat du Droit international. Vous avez déjà visité les camps des réfugiés sahraouis, quel témoignage faites-vous à l'opinion française et internationale? Ma réponse sera plus un témoignage personnel qu'une position scientifiquement assumée. Je ne parviens pas à me faire une image unique des camps de réfugiés sahraouis. Dès mon premier séjour, j'ai eu l'impression que ces camps oscillent entre deux pôles. L'un de ces pôles est connoté négativement. C'est la souffrance de l'exil, la séparation des familles, la perte de proches dans la guerre, l'insécurité alimentaire permanente, cette impression que tout peut, à tout moment, prendre une tournure dramatique en raison de la grande précarité des camps. Le second pôle présente, au contraire, une image positive. C'est toute l'organisation qui a été mise en place par et pour les réfugiés, ou encore l'alphabétisation de la quasi-totalité des nouvelles générations, une grande solidarité quotidienne entre les familles...