Nous nous battrons sans relâche pour la protéger contre toute tentative de démantèlement ou de «médiocritisation», insiste-t-il dans cet entretien. L'université algérienne est sur le fil du rasoir. Sur un point de non-retour, si les efforts ne sont pas conjugués. Et si une politique rationnelle permettant à ce milieu des sciences et des technologies de retrouver ses belles années d'antan, n'est pas mise en application dans les meilleurs délais, avant que la partie visible de l'iceberg ne fonde, elle aussi. Les spécialistes en la matière en sont bien conscients. Sollicité par L'Expression, Abdelmalik Rahmani, coordonnateur national du Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes), revient dans cet entretien sur l'ensemble des questions ayant trait à l'université. En homme convaincu de ses idées qu'il a toujours défendues, M.Rahmani évoque également les difficultés et notamment les défis de la section syndicale dont il est porte-parole... L'Expression: Trois mois après la rentrée universitaire 2008/2009, la situation n'est pas reluisante. Des bibliothèques mal gérées, des étudiants mal nourris et précairement logés, des concours truqués...Peut-on dire par là, que l'université algérienne touche réellement le fond? Abdelmalik Rahmani: Effecti-vement, il y a une accumulation de problèmes au niveau du secteur de l'enseignement supérieur. Ceci peut être expliqué par un certain nombre de paramètres: - Les effectifs grandissants, d'année en année. - Le mode de gestion actuelle des établissements universitaires. - Le secteur des oeuvres universitaires qui nécessite dans l'urgence, des réformes de fond. - Les nombreuses réformes engagées par les pouvoirs publics dans les domaines pédagogique et de recherche. - La marginalisation multiforme du corps enseignant, et la prééminence de l'administratif sur le scientifique. Ainsi tous les problèmes que vous avez énumérés, constituent le côté sombre de l'université. Ils ne sont, en fait, que les conséquences directes ou indirectes des causes que j'ai susmentionnées. Comment le Conseil national des enseignants du supérieur (Cnes), dont vous êtes coordonnateur national, réagit-il à cette situation on ne peut plus inquiétante? Notre combat, depuis longtemps était axé sur la démocratisation de la gestion de l'université où l'enseignant aura sa place en tant qu'acteur, responsable de la bonne marche de son université. Ce qui permettrait d'avoir une gestion transparente et éviterait, par conséquent, de sombrer dans des problèmes futiles et passer à côté des grands enjeux. La mise en place, dernièrement, de commissions mixtes avec la tutelle, sur proposition du Cnes, cristallise dans un sens cette revendication, car ces dites commissions sont chargées d'impliquer l'enseignant à la base et à travers son syndicat, dans la refonte de l'université. Lors de sa dernière prestation à l'APN, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a catégoriquement rejeté certaines observations des députés¨, notamment celles qualifiant l'université de médiocre, la bourse de l'étudiant de minime...que répondez-vous? Au Cnes, nous ne sommes pas nihilistes, car l'université algérienne renferme des potentialités immenses et nous sommes le produit de cette université. Notre combat au Cnes est de contribuer à hisser cette université le plus haut possible, et non de la détruire au nom d'une «liberté d'expression.» Nous avons la lourde responsabilité de protéger l'université publique, et nous nous battrons sans relâche pour la protéger contre toute tentative de démantèlement ou de «médiocritisation.» Les déclarations du Premier ministre ne doivent nullement occulter les nombreux dysfonctionnements dont souffre notre université. Comme l'université, l'étudiant voit son niveau régresser au fil des années. D'ailleurs, quand on parle des étudiants au sein de la fac, certains observateurs poussent la caricature au point de dire qu'il s'agit d'«une garderie»... Ce sont des discours qui reflètent une certaine réalité, mais qui ne font nullement avancer la réflexion autour des nombreuses questions qui se posent à l'université, alors qu'il faudra impérativement se mettre au travail. Là, le rôle des pouvoirs publics est grandement engagé afin d'assurer un débat permanent et totalement libre de l'emprise de l'administration. L'université est, en même temps, un lieu et un objet de réflexion. En dépit de l'argent alloué par l'Etat, le secteur de l'enseignement supérieur peine à effectuer son décollage. C'est la régression continue. Où réside la faille? L'université algérienne a connu une véritable métamorphose au cours de la dernière décennie et la régression dont vous parlez est à mettre en corrélation avec l'explosion démographique et la marginalisation du corps enseignant. Les enseignants chercheurs souffrent depuis trop longtemps d'un statut et d'un salaire dévalorisant leur métier et leur image dans la société. Alors, malgré les sommes colossales «allouées par l'Etat», les mécanismes de mise en marche sont complètement rouillés. Dans une récente déclaration faite à L'Expression, vous avez appelé la tutelle à changer sa politique autiste en ouvrant les portes du dialogue à tous les syndicats. Le Cnes est-il marginalisé à ce point? Il y a encore énormément de résistance, notamment au niveau des mentalités qui ne veulent pas s'accommoder aux exigences de l'heure. Cependant, cette situation n'est pas particulière. Récemment, le ministre de l'Enseignement supérieur, Rachid Harraoubia, a déclaré que la recherche scientifique a sa propre organisation qui sera présidée par le chercheur Hafid Aourag. Un appel a-t-il été lancé aux enseignants appartenant au Cnes? Nous sommes partie prenante de l'université. Nous suivons de près toutes les évolutions. Et je profite de l'occasion pour souhaiter bonne chance à M.Hafid Aourag qui est un éminent chercheur, mondialement connu. L'un des points constituant la pomme de discorde entre votre syndicat et la tutelle est le salaire des enseignants. Est-ce-là l'unique raison qui oblige l'élite universitaire à quitter le pays afin de travailler ou étudier ailleurs? Que demandez-vous au juste pour votre part? Le salaire est un facteur essentiel dans la motivation des enseignants chercheurs. Eux qui sont responsables de la formation des futurs cadres de la nation. Cette question est au coeur de la problématique de l'université. C'est dans ce sens que nous avons toujours revendiqué la place de l'enseignant chercheur au même titre que tous les pays du monde. Tout en vous remerciant d'avoir accepté notre sollicitation, je vous laisse le soin de conclure. Les pouvoirs publics ont la lourde responsabilité de réhabiliter la place et le rôle des enseignants chercheurs, seule garantie de sauver l'université et de mettre notre pays à l'abri des convoitises. Nous avons payé trop cher notre indépendance pour continuer à dépendre sur tous les plans. Aucune politique sécuritaire, au sens large, (alimentaire, militaire.......) ne peut se concevoir sans les enseignants chercheurs et sans l'université.