A l'intérieur du bus calciné, on ne reconnaît plus rien, sauf quelques chaussures dans une mare de sang non coagulé. Il est 9h45. Une forte explosion secoue puissamment la capitale. «Est-ce un tremblement de terre?» s'interrogent les uns. «Est-ce une bombe?» se demandent les autres. Alger est plongée dans le doute et chacun y va de sa version. Brusquement, une deuxième explosion assourdit l'Algérois. A présent, plus de place pour le doute. C'est confirmé. Il s'agit bel est bien d'une bombe! La panique s'installe alors. Il s'agit de deux attentats à la voiture piégée. La première a explosé devant le siège du Conseil constitutionnel à Ben Aknoun. Une institution mitoyenne à la Cour suprême, à la résidence des magistrats, à l'APW d'Alger et au Haut conseil islamique. Toutes ces institutions sont touchées, vu la puissance de l'explosion. Plus exactement, dans la rue du 11-Décembre! La seconde devant le siège du Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) dans le quartier paisible et sécurisé de Hydra. La peur envahit les esprits. C'est une véritable psychose. Les citoyens commencent à s'interroger: combien de vies ces explosions ont-elles encore fauchées? La population ne tarde pas à apprendre les détails du hideux événement. Le bilan est lourd: 17 morts et une cinquantaine de blessés la matinée. Il s'alourdit au fil des heures. Dans l'après-midi, on confirme 22 morts et 177 blessès. A Ben Aknoun, la frayeur atteint l'extrême. Les sirènes des ambulances, des camions de la Protection civile et des services de sécurité se font entendre dans la banlieue ouest d'Alger. Les renforts arrivent. Tous les accès au lieu où l'attentat est perpétré sont fermés. Les services de sécurité ont, déjà, bouché tous les grands axes routiers. Les cordons de sécurité sont tout de suite formés. Personne ne peut y accéder. Les autorités officielles sont sur les lieux. Il faut éloigner la foule compacte de citoyens, curieux de se rendre sur les lieux du drame. La police scientifique entame ses investigations. Les agents de la Protection civile prodiguent les premiers soins aux victimes avant de les évacuer. On dégage les décombres d'abord. On «repêche» les cadavres ensuite. Ils nettoient les lieux. Toute la rue est jonchée de décombres. La partie gauche de la façade du siège du Conseil constitutionnel est éventrée. La façade de profil est fissurée. Les vitres ont volé en éclats. Des poignées de fenêtres sont retrouvées dans la rue. Des voitures sont broyées. Un bus d'étudiants est carbonisé. Dieu merci, il était vide! Pas tout à fait, puisqu'on déplore le décès de deux personnes. A l'intérieur du bus on ne reconnaît plus rien, sauf des chaussures dans une mare de sang encore non coagulé. Un autre bus, assurant la liaison entre l'université de Ben Aknoun et celle de Bouzaréah est légèrement touché. La plate-forme du parking de véhicules mitoyenne au Conseil Constitutionnel est crevassée. Une personne a été «éjectée» du troisième étage de l'immeuble. Les mots à eux seuls sont insuffisants pour décrire une scène aussi sanglante, l'oeuvre de sanguinaires. Les blessés eux-mêmes n'arrivent pas à décrire l'événement. «Je me préparais à sortir avec mon fourgon de mon travail pour rejoindre la rue menant vers Ben Aknoun et soudainement je me suis retrouvé allongé tout taché de sang», a affirmé un témoin oculaire. Et d'assurer: «Je n'ai rien vu. Ni la voiture piégée ni la police, car j'étais gêné par le bus des étudiants.» Et de se rappeler: «En fait, je voyais un jeune marcher sur le trottoir avec un cartable à la main. Sur la même ligne que moi un autre jeune circulait à bord d'une moto vespa». Un autre témoin, d'une vingtaine d'années, à bord d'une voiture de marque Kangoo relate la scène. «J'étais un peu loin de l'endroit de l'attentat, car j'étais coincé entre un bus et une voiture. Au moment où je voulais les dépasser, la bombe a éclaté», a-t-il relevé, le pull déchiré et la tête enveloppée d'un pansement. Les deux jeunes dont parle notre interlocuteur ont péri. Le ciel est triste. Les hauteurs d'Alger sont plongées dans un climat nuageux. Il commence à pleuvoir. Et voilà que le temps pleure les morts. Les spéculations commençaient à propos de la nature de la voiture piégée. C'est une petite voiture, avancent certains. C'est un véhicule de marque Renault Express, ajoutent d'autres. Mais on insiste, il s'agit plutôt d'un fourgon. Selon les témoignages recueillis sur place, le kamikaze avait brûlé le sens interdit, afin de foncer droit sur le siège du Conseil constitutionnel. Il avait, certainement, l'intention de se faire exploser à l'intérieur de cette nouvelle bâtisse. Mais en tournant vers l'entrée de l'institution, le conducteur du véhicule a percuté de plein fouet le bus des étudiants. Il s'agirait d'une explosion anticipée.