Cycle bombe-exécution-émeute: est-ce une guerre larvée pour hypothéquer les élections? Deux plaques de sang coagulé sur du gazon. C'est tout ce qui reste de l'assassinat des deux adolescents Adel, 16 ans et Walid, 17 ans, dimanche à 21h, non loin de l'ex-gare routière d'Alger. La trace des plaques de sang démontre que les coups de feu auraient été tirés à bout pourtant : deux balles dans la tête pour Walid et deux dans le cou pour Adel. Les corps n'ont été découverts que le lendemain, personne dans les guérites toutes proches ceinturant le port et le poste des pompiers n'a entendu la déflagration. L'utilisation de silencieux par les tueurs est plus que certaine. Cela ressemble peu à un crime perpétré par des ivrognes ou des lascars de passage. Cela ressemble plutôt à une exécution professionnelle opérée par des hommes qui déambulaient tranquillement à Alger de nuit avec des pistolets munis de silencieux. Mardi, 7 h 25, une bombe explose dans le passage souterrain parallèle à la gare de Belcourt faisant un blessé. L'attentat s'est produit à moins de 1000 mètres du lieu du double crime de dimanche soir. Les deux adolescents ont-ils payé de leurs vies le fait d'être là où il ne fallait pas? Les deux copains ne fréquentaient cet endroit que depuis une semaine. Ont-ils été des témoins gênants qu'il fallait à tout prix faire taire? Ces deux adolescents, apparemment sans histoires, sont-ils le grain de sable qui fait grincer la machine à tuer? Le rapprochement entre ces deux faits peut paraître exagéré, tiré par les cheveux, mais dans une situation où la donne sécuritaire se confond avec les mutations politiques, et où tous les clans antagoniques lancent leur plus acharnée offensives sur la scène politico-sécuritaire, aucune théorie, aucun indice ne peuvent, ne doivent être mis de côté. Cette attaque fait partie de la troisième campagne d'attentats à l'explosif qui a ciblé Alger et sa périphérie immédiate. De l'avis des experts de la DGSN, les caractéristiques de ces engins explosifs se ressemblent et ne peuvent provenir que d'une seule source, vraisemblablement d'un seul et unique atelier. La première campagne de bombes a commencé le 29 août 2001 avec l'explosion d'un engin artisanal au niveau de la rue de Chartres. Cette première campagne s'estompera bizarrement quelques semaines plus tard. La seconde commencera avec le très singulier attentat de la gare routière de Tafourah qui a fait un mort et 29 blessés le 20 novembre. La seconde vague d'attentats et d'opérations avortées «s'essoufflera» après l'épisode de la bombe du marché d'El-Biar et celle qui a sauté sur son «porteur» dans la gare ferroviaire de Rouiba à l'est d'Alger, pour reprendre ensuite avec la bombe qui a explosé le 18 mars près de la Grande-Poste au centre de la capitale faisant 15 blessés. S'ensuivront ensuite une bombe à Blida le 29 mars qui a causé 2 morts, le double attentat de Birkhadem, le 13 avril qui a fait 9 blessés dont un grièvement et les deux dernières attaques à l'explosif devant la mosquée d'El-Biar, au marché de Boumati d'El-Harrach et celle d'hier matin à Belcourt. Trois campagnes, dont le schéma des dispositions des attentats épouse invariablement la boucle Rouiba-El-Harrach-Birkhadem-El Biar-Alger-Centre. Le même matériel est utilisé, la même technique consistant à ne pas faire trop de victimes est reconduite, les mêmes endroits sont choisis invariablement. En février dernier, des observateurs nous avaient fait remarquer que l'«amateurisme de ces opérations peut servir à brouiller les pistes autour d'une puissante organisation terroriste qui procède de frappes recouvrant des messages. Des messages politiques. Les mêmes sources relèvent que depuis l'attentat de Tafourah qui avait fait un mort, les charges des bombes qui ont suivi ont diminué de puissance». D'autres analyses vont plus loin en suggérant que les poseurs de bombes tentent en réalité d'attirer l'attention de certains cercles (lesquels? On ne le sait pas) sur quelque chose (quoi exactement? On le sait pas non plus, encore) en ciblant de façon répétitive des lieux bien déterminés depuis plusieurs mois. Il est d'ailleurs troublant de voir les attentats se répéter dans des endroits comme Birkhadem, El-Biar, Boumati, qui seraient des points clés dans cette mystérieuse stratégie. La recrudescence des attaques à la veille des élections les plus controversées de l'histoire du pays participe de la littérature journalistique tant ce phénomène est devenu presque une tradition, un culte. Aux émeutes et aux massacres, s'ajoutent ces frappes «sémantiques» parallèlement à une campagne médiatique pour un coup d'Etat militaire contre le Président. Le tout ressemble, à s'y méprendre, à un plan. Un plan avec ses idéologues, ses parrains et ses exécuteurs. Tracé noir sur blanc, réglé comme une machine infernale et dévastant tout sur son passage: le sang ne cessera pas de couler en Algérie. Le gaz non plus.