Le maquignon d'ovins ou bovins, communément appelé el begarre, aux quatre coins du pays, avec l'image traditionnelle, reconnaissable au loin, la tête entourée d'un turban (chache), un cache-poussière et une canne à la main, n'existe plus. Cette tenue arborée le différenciait d'ailleurs de l'éternel berger (aujourd'hui éleveur) avec son chapeau de paille porté à longueur d'année et sa musette en cuir. La silhouette du berger a, elle aussi, disparu des Hauts-Plateaux et campagnes des Bibans. Leur apparition dans les années 60-70 faisait autrefois, à l'approche de l'Aïd El Kébir, la joie des enfants. Aujourd'hui, cette image a cédé place au règne de la mafia de l'agneau. «Toute personne nantie de moyens financiers se transforme en maquignon ou éleveur d'ovins. L'astuce est simple: acheter un troupeau du sud du pays (Djelfa, Biskra, M'sila) pour le transhumer vers le Centre en doublant son prix et voilà une affaire fort juteuse pouvant générer des bénéfices colossaux en l'espace d'une semaine», explique Allaoua. B., un éleveur connu de la région dans la commune d'El Hammadia, proche du chef-lieu de wilaya. Pour cet éleveur, ces nouveaux maquignons qui peuvent être des cadres, des commerçants, des trabendistes, des entrepreneurs sabordent totalement les cours à l'approche de l'Aïd, en gonflant les prix avant l'Aïd avant de procéder à l'opération inverse deux jours après la fête, laissant une anarchie totale sur le marché. «Savez-vous que le maquignon d'aujourd'hui roule en Mercedes, s'habille en costume cravate ´´made in´´ et négocie le prix de l'agneau avec son portable sur tous les marchés de Tébessa à Maghnia», explique-t-on. Mieux, el begarre d'aujourd'hui ne possède ni bergerie ni bouverie. Son véhicule flambant neuf lui sert de domaine d'élevage. Il ne possède aucun fonds. A chaque occasion, il se transforme en investisseur en s'associant avec les possesseurs de fonds. A titre d'exemple, un agneau acheté à Djelfa à 1 million de centimes est écoulé à Bordj Bou Arréridj entre 1,5 et 2 millions de centimes, en fonction des souks et des wilayas. Même les petits éleveurs préfèrent céder leurs troupeaux en gros aux maquignons que de les vendre au détail. L'ensemble de la chaîne de l'élevage ovin à l'approche de l'Aïd s'accorde pour «trouer les bourses familiales». La ferme pilote de Ben Aïchouche, située dans la commune de Tixter, a tenté, cette semaine, de casser les prix en fixant le kg à 350 DA pour l'agneau vivant. Mais une goutte d'eau ne peut faire la rivière sur l'immense territoire des Hauts-Plateaux du pays où règne en seigneur le maquignon à la Mercedes. A chaque secteur stratégique sa propre mafia. Un bélier à cornes, de Djelfa, a été vendu 4 millions de centimes, mardi dernier.