«Il y a une nouvelle impulsion qui est d'autant plus significative que le ministère de la Culture, principal financier, a commencé cette année à subventionner de nombreux courts métrages.» L'Expression: Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs? Florence Pesher: Je m'appelle Florence Pesher, je suis directrice de production et scénariste, je vis définitivement en Tunisie depuis 4 ans. Je travaille pour une société de production et de post-production audiovisuelle dont le directeur est Julien Equer. C'est un producteur français, mais la boîte est tunisienne. Nous produisons des films, des documentaires, des films publicitaires. Je suis venue ici pour deux choses: à la fois pour le film l'Enfant roi de Mohamed Graya, qui est une production Audimage de cette année et aussi pour monter des courts métrages d'animation tunisiens que j'ai humblement sélectionnés. Sur quelle base aviez-vous choisi ces films? Il n'y a déjà pas tellement de productions que cela, donc on n'a pas trop le choix, même si j'ai essayé de faire une sélection privilégiant la qualité et l'innovation. Il n'y a pas de choix énorme pour avoir des critères pointus de sélection. Comment fonctionne cette société? La société est donc tunisienne. On travaille avec des techniciens tunisiens, des réalisateurs tunisiens. On produit et on fait de l'audiovisuel tunisien. Quel regard portez-vous sur ce cinéma d'animation tunisien? Il y a eu un facteur déclencheur. Je ne suis pas spécialiste en la matière, mais je crois qu'il faut revenir en arrière. A l'époque, il y avait des gens qui faisaient de l'animation. Le doyen Mounsi Sancho, presque 80 ans, n'a pas pu venir finalement. Et puis c'est tombé dans les oubliettes. Je dirais que même en Europe, il y a eu un moment où l'animation n'était pas du tout à la mode. Il n'y avait pas d'argent et pas d'intérêt pour l'animation jusqu'en 2000 où Ahmed Badreddine Ateya, décédé il n'y a pas si longtemps, avait décidé de faire une série de films d'animation, avant de réaliser un long métrage. Cela a relancé toute la machine. Il avait obtenu des financements en faisant des coproductions avec la France et l'Europe en général. Du coup, il a fait venir aussi des gens d'ailleurs et nombre d'Algérie qui ont travaillé sur Viva Cartago dont Boubakeur Boukhari, et cela a donné une nouvelle impulsion parce que dès lors que ce film est né, les gens ont pris conscience de la possibilité de réaliser des films d'animation en Tunisie. Ce facteur-là plus la montée du multimédia, cette facilité entre guillemets, qu'ont les jeunes à travailler sur un ordinateur, tout d'un coup, cela est devenu possible. Le fait de pouvoir maîtriser des logiciels tout seul, sans passer par des instituts de formation, a conduit à l'animation. Et c'est là tout le problème, car la plupart de ceux qui se sont mis à l'animation feront des films exclusivement basés sur la trois D, sans avoir en amont une formation en dessin. On s'est rendu compte qu'il ne suffisait pas de maîtriser un logiciel. A la base, il faut une écriture, un graphisme, il faut savoir dessiner, les gens ont commencé à faire, malgré tout, des choses. Combien de films en moyenne? On en est pas encore là. Il n'y a pas de films d'animation qui sortent régulièrement en Tunisie, les courts métrages chacun en fait dans son coin et c'est tout. Mais l'impulsion est d'autant plus significative que le ministère de la Culture est le principal financier, qui ne subventionnait pas les films d'animation ces dernières années. Cette année, il y a un long métrage d'animation qui vient d'être subventionné. Nous aussi nous avons reçu un accord de subvention pour un court métrage, et je connais une autre société dans le même cas. Ainsi, il y a plusieurs subventions accordées à des films d'animation suite aux demandes formulées l'année dernière. C'est très nouveau. On réalise ainsi que c'est un art, un marché à part entière, pas seulement pour les enfants mais aussi pour les grands. C'est le cas pour notre projet de la société Espéranto qui a également eu une subvention, c'est un documentaire sur le rapprochement des deux rives de la Méditerranée. Ce n'est pas forcément pour les enfants, mais ils peuvent le regarder, c'est un court métrage tous publics mais plus orienté vers les adultes que les enfants. C'est la déambulation d'un personnage truculent qui s'appelle Ambouba, en référence à une expression tunisienne: «Hia ki lambouba.» On fait référence à une danseuse, qui se produisait dans les cabarets dans les années 70 et qui s'appelait Zohara Lambouba. Il y avait un amalgame qui était fait entre elle et une autre danseuse qui était très grosse, vulgaire, très extravertie. Et quand on veut parler d'une fille un peu folle, et extravertie, on la qualifie de lambouba. L'une dansait avec une djeba à paillettes et l'autre avec une guirlande d'ampoules. Ça part de là. Il se trouve que la réalisatrice est Tunisienne. Elle s'appelle Nadia Raïs. Elle s'est inspirée de cette expression graphiquement et elle a dessiné un personnage pour illustrer ce court métrage et mettre en scène ce personnage qui n'a rien à voir avec l'histoire de Zohra Lambouba. Elle avait envie de travailler entre autres sur l'effacement, ce fut une rencontre entre elle et moi. Je suis la scénariste du court métrage. Ça parle d'une femme qui se moque du qu'en-dira-on et déambule avec son monde à elle, son univers à elle et sa part de liberté. Dans nos pays, il est vrai que la femme est soumise à la pression sociale. Il y a quelque chose qui fait peur chez une femme qui rit à gorge déployée par exemple. Donc ça commence à bouger en Tunisie... Oui, je pense que ça commence à bouger. L'année dernière, dans le cadre des JCC, on a essayé de leur vendre une idée, c'est-à-dire de faire une projection en parallèle, c'est-à-dire hors compétition, qu'on a appelé «Regard sur le film d'animation maghrébin». J'ai donc voulu savoir ce qui se faisait dans le reste du Maghreb, autrement en Tunisie et en Algérie, car j'aimerais que des passerelles s'établissent horizontalement et pas toujours verticalement. C'est de là que tout est parti. Au début, on était réticent mais après, il y eut un petit intérêt pour la question. Après cela, il a été question que naisse à Tunis un festival du cinéma d'animation et ce, sur initiative du ministère de la Culture. C'était prévu pour cette année mais cela n'a pu se faire, en raison des budgets. Nous, nous avons coproduit cette année l'Enfant roi, un moyen métrage de 50 minutes, ce qui est assez particulier et rare. Mais il y a très peu de films réalisés pas seulement en Tunisie mais dans le Maghreb en général. Cependant, il y a des gens qui ont envie de faire des choses mais ça reste très individuel. Je voudrais ajouter un autre facteur d'impulsion pour le film d'animation qui n'est pas négligeable: la publicité. Ça crée une certaine dynamique en ce sens. L'équipe qui a fait Viva Cartago a aussi formé des gens et va réaliser un autre film d'animation cette année. Aussi, au cours du mois de Ramadhan, un annonceur a financé pour la première fois une série de petits films très drôles, des épisodes d'une minute tous publics. C'est assez révélateur de ce qui est en train de se passer, mais ce n'est pas encore une industrie.