Le nombre d'arrestations opérées dans la wilaya pose un autre problème, bien humain celui-là, celui du devenir des familles des personnes arrêtées. Qu'ils soient cent, cinquante, vingt ou dix, il n'en demeure pas moins que des chefs de famille, des pères ou encore des soutiens de famille, souvent nombreuse et sans aucune ressource, sont jetés en prison. «Leur tort, comme l'explique un membre de la présidence tournante de la Cadc, est d'avoir été élus délégués auprès du mouvement citoyen, par leur quartier, leur ville ou leur village!» Selon la Cadc, «il y aurait, au bas mot, plus de 100 personnes arrêtées, dont 14 délégués. Les personnes interpellées ne le sont pas toujours par la police, il y a des personnes prises par les gendarmes, d'autres par des agents en civil. Personne n'est en mesure de spécifier que c'est tel ou tel corps de sécurité qui a procédé à ces arrestations». Une chose est sûre, pour ce membre de la présidence tournante, «les personnes sont bel et bien arrêtées, les unes sont à la maison d'arrêt de Tizi Ouzou, les autres, comme c'est le cas des 5 délégués de Draâ El-Mizan, ne sont pas encore localisées». Et un autre membre de la présidence tournante de nous remettre une liste des personnes interpellées. Elle comprend effectivement près d'une centaine de noms. Entre-temps, on a appris que les cinq délégués de Draâ El-Mizan, qui sont à la maison d'arrêt de cette ville, pourraient être présentés, aujourd'hui devant le tribunal. Devant des membres de la présidence tournante, on a évoqué la situation des familles de ceux arrêtés. Il se trouvait, par hasard dans la salle et au moment de la visite, quelques parents de ces personnes arrêtées. C'est le cas, notamment de la famille de Si Yahia Dahmane, une des victimes des événements de l'an dernier. Chargé de famille, «Dahmane était le seul à travailler pour ses frères. Quel sera notre sort, désormais?», s'inquiète son père. A Boghni, c'est le père de Allouane Riadh, délégué arrêtés, soutien de famille qui montrant une fracture à la hanche, dira: «Nous sommes sept à la maison. Personnellement, je ne travaille pas. Riadh nous aidait beaucoup, ce n'est pas un vrai travail qu'il a. Il gardait un parking.» Un membre de la coordination de Boghni intervient pour expliquer: «La coordination essaie de les aider. Souvent, les délégués mettent la main à la poche! De temps à autre, une aide nous est donnée par certains, elle est tout de suite reversée aux familles nécessiteuses. C'est ainsi, que, dans notre coordination, celle de Boghni, nous avons 2 morts et 15 blessés. Récemment, nous avons pu donner 3 millions de centimes pour chacune des familles des morts et 5.000 dinars pour chacune des familles de blessés.» La coordination de Bouzeguène apparaît comme la plus structurée et la mieux organisée. Ainsi, il y a eu, grâce à l'apport de l'émigration de la région, la remise de 29 millions de centimes par famille des morts - la région en comptant 5 - et 14 millions pour chacune des familles de blessés. Des cas dramatiques existent. Des délégués, chefs de famille, ayant été arrêtés, comme c'est le cas de Nekkah Mohamed de Ouaguenoune, et dont les enfants étaient déjà bien mal lotis, quand le père était libre, seront désormais à la merci de la générosité des gens ou encore à la discrétion de la coordination locale. M.Nekkah, qui a six enfants, arrivait difficilement à joindre les deux bouts. Maintenant qu'il est arrêté, le drame s'accentue. Certes, ce cas est loin d'être unique. Un autre délégué de la coordination de Tizi Ouzou, chômeur depuis près d'une année, père de famille et attendant une naissance pour ces jours-ci, vient d'être arrêté. Que sera donc le devenir de ces familles? Comment leur expliquer que l'époux, le fils, le frère, l'appui, souvent unique a été arrêté pour des raisons qui, hier encore, étaient, au moins tolérées? Comme le dit si bien, le père d'un délégué: «S'il avait été un émeutier pris en flagrant délit, j'aurais, certes mal, mais je comprendrais. Mais, là, il n'a fait que représenter le village au sein d'un mouvement qui se veut pacifique.» Certes, la solidarité se manifeste. Mais ce n'est hélas qu'une goutte d'eau dans l'océan des besoins. Ces derniers jours, l'association des chauffeurs de taxi kabyles de Paris a fait parvenir à la présidence tournante, l'équivalent de 36 millions de centimes. La somme remise à la commission solidarité a été, en présence d'un membre de l'association donatrice, versée au compte bancaire de la commission. Le MCB, présidé par M.Ould Ali L'Hadi, est actuellement en tournée dans les wilayas concernées. Hier, il était à Bouira pour essayer d'organiser la solidarité. De son côté, la présidence tournante de la Cadc est en contact avec les familles, aussi bien celles des morts et des blessés que celles des personnes arrêtées et envisage de lancer une opération solidarité. A Akfadou, on a appris que Oudjdi Farès, délégué de la coordination d'Akfadou, enseignant de profession, a été arrêté avec Ali Gherbi. Devant le désarroi de la famille, la coordination d'Akfadou affirme «faire tout son possible pour garantir à la famille une aide mensuelle, à hauteur du salaire que percevait ce délégué». Il reste que des familles entières sont jetées dans le désarroi. Leur seul et souvent unique soutien étant arrêté, pour avoir fait partie d'un mouvement qui voulait changer les choses, comme le précise la présidence tournante de la Cadc, «dans le sens de la démocratie!»