c'est vrai, une pastèque bien fraîche vaut mieux que la gloire sans fric. Hamid Ali-Bouacida, sage parmi les sages auteurs -est-ce aussi grâce à sa formation en sciences économiques et à son goût du journalisme?-, nous explique, par allusion intelligente, les rêves insensés d'un écrivain d'ici, pas de là-bas, -j'allais dire de l'au-delà. On comprendra la boutade lorsque l'on aura lu ses magnifiques histoires publiées sous la couverture de Cinq dans les yeux de Satan (*). Il faut peut-être rappeler que Hamid Ali-Bouacida a obtenu le prix de la Fondation Mohammed Dib 2006 pour son texte intitulé Cinq dans les yeux de Satan, et là, il est vrai. Il narre son personnage «professeur vacataire de français» qui est, d'une certaine façon, réaliste, mais en négatif, comme son autre personnage Omar, le joueur de scrabble, le mélangeur de lettres, «qui mangeait d'un bel appétit et qui riait de tout». Finalement, le jeune professeur, brisé d'amour perdu, s'est «mis à manger des fèves fumantes et salées enserrant très fort la main d'or qui gisait au fond de [sa] poche», un bijou que lui avait offert l'énigmatique Foufou. Ici, l'évidente sincérité est émouvante. Il y a un vécu et une réécriture du vécu; c'est aussi le rôle de la nouvelle qui doit être «rapide, ordonnée, vigoureuse, construite comme une tragédie». Nonobstant, le style parfois relâché (parfois abîmé par l'emploi trop fréquent de la coordination «et») dans ce premier texte de Hamid Ali-Bouacida, cette nouvelle sert quand même de bonne manière de locomotive aux autres textes qui sont des histoires -non des nouvelles, à mon sens, elles n'obéissent pas aux règles de ce genre- qui racontent le désarroi d'une âme et, de ce fait, elles sont toutes pleines d'une humble et poignante vérité. Ainsi découvre-t-on, tour à tour, des personnages de contes à la limite du réel et du fantastique. On se laisse guider par le charme de l'inattendu et de quelques bonnes trouvailles de l'auteur qui aime sa terre natale (les Aurès) et son lieu de vie et d'études, Constantine dont il fait aussi le point critique des «tourments de tous ces jeunes qui se jettent du pont suspendu présent dans toutes les cartes postales de la ville.» Voici donc, en dix-sept textes, la passion vigoureuse et brutale de l'auteur. Voici, son plaisir intelligent d'observer, d'analyser, de comprendre la vie qui n'est qu'un trésor à exploiter. Voici: Carte d'identité littéraire (l'auteur nomme ses parrains); C'est écrit, Kateb (son frère d'encre); Le Brasero (du vieillard propre comme un hadji); La Statue (devenue femme); Suicide à Sidi M'cid (le sculpteur du rocher); Lettre à mon psychiatre (à chacun son stress),...Dans Histoire sans C, les tribulations du personnage-auteur atteignent un sommet où la drôlerie de situation par le juste mot, le calembour, la truculence, la satire sociale irriguent un fort talent naissant ouvert à un réalisme positif. C'est là le probable slogan du Présent qui s'annonce. Qu'est-ce donc un écrivain aujourd'hui? - Un écrivain sensible à des rêves qu'il s'efforce d'exprimer en toute honnêteté. Naïfs que nous sommes, espérons que ce recueil, Cinq dans les yeux de Satan, servira à exorciser le mauvais oeil de l'envieux et que les «fous» de ces histoires, comme il est annoncé dans l'avant-propos, sont dans toute l'oeuvre, c'est-à-dire nulle part ailleurs... Mais je ne puis m'empêcher de rappeler une question posée, dans une époque très ancienne, et à propos de l'angoisse mystique, que le célèbre al-Yâfi‘î a rapportée dans son Rawdh d'après une histoire de l'Egyptien du xvie siècle ‘Abddarrahman al-Madjdhoûb: «‘Alî ibn ‘Abdân connaissait un fou qui divaguait le jour et passait la nuit en prières. «Depuis combien de temps, lui demanda-t-il un jour, es-tu fou? - Depuis que je le sais.» Voilà qui me persuade que Hamid Ali-Bouacida a cherché la simplicité et l'unité pour ne pas lâcher la vérité; l'histoire qu'il raconte devient pour lui, pour nous, une préoccupation. (*) Cinq dans les yeux de Satan de Hamid Ali-Bouacida Casbah-Editions, Alger, 2007, 126 pages.