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Le crépuscule du capitalisme occidental?
DAVOS
Publié dans L'Expression le 29 - 01 - 2008

«Donnez-moi le contrôle de la monnaie d´une nation et je n´aurai pas à me soucier de ceux qui font ses lois.»
Nathan Rothschild, 1791
Les 2500 participants au Forum économique mondial qui s´est ouvert mercredi 23 janvier dans la station suisse de Davos ne pourront éviter de croiser une invitée surprise: la crise financière qui menace de plonger l´Amérique dans la récession. L´édition 2008 risque d´être celle de l´inquiétude et de l´humilité pour le millier de grands patrons qui n´ont pas vu venir la crise du crédit immobilier aux Etats-Unis. La forte baisse des taux d´intérêt de la Réserve fédérale, qui a permis, mardi, d´enrayer la chute des places boursières, devrait mettre un peu de baume au coeur des participants. Comme chaque année, nous dit-on, plus de 200 débats et tables rondes sont prévus sur les thèmes les plus divers. Incertitudes: c´est le mot-clé du rendez-vous annuel du Forum de Davos. Pour ce faire et sans le reconnaître, les grandes puissances économiques comptent sur l´apport des pays émergents dont le dynamisme économique ne se dément pas et qui prennent une place de plus en plus importante dans l´économie mondiale, notamment les "dragons asiatiques". Pour accentuer encore plus la pression, une étude du BIT a montré que le nombre de chômeurs dans le monde a atteint 189,9 millions, fin 2007, soit 6% de la population active. Il estime que le ralentissement de la croissance prévue en 2008 portera le taux de chômage à 6,1%. Pour cause de crise des "subprimes" et de hausse des prix du pétrole, le BIT prévoit 5 millions de chômeurs en plus dans le monde.
Tandis que les marchés boursiers européens et américains rechutaient, le pessimisme a dominé les premiers débats. "Il va y avoir une grave récession aux Etats-Unis, un ralentissement dans les pays émergents et un fort ralentissement en Europe", a déclaré l´économiste Nouriel Roubini lors du traditionnel débat d´ouverture sur l´état de l´économie mondiale. On prévoit même une stagflation. Certains intervenants ont tenté d´instiller un peu de confiance, assurant que la Chine et d´autres économies émergentes aideront la planète à amortir le choc. "Je pense qu´elle [la crise américaine] n´aura pas un impact aussi fort sur le reste du monde comme beaucoup de gens le pensent", a affirmé David O´Reilly, P-DG. de la compagnie pétrolière américaine Chevron. L´économiste américain Fred Bergsten a, lui, défendu l´idée du "découplage" entre Etats-Unis et pays émergents, affirmant même que le dynamisme des pays du Sud allait amortir et abréger la récession américaine. "Cette histoire de découplage relève du fantasme", a, au contraire, lancé Stephen Roach, président de la branche asiatique de la banque américaine Morgan Stanley. Pour lui: "Nous allons entrer dans une période très douloureuse. Lorsque le consommateur américain a des problèmes, cela a des conséquences pour toute l´économie mondiale".
Les nouveaux maîtres
Eric Le Boucher, journaliste du Monde, regrette le bon temps du capitalisme occidental. A ses yeux, les efforts des efforts sont suspects. Ils ne doivent pas dépasser l´Occident. Ecoutons-le: "Voilà des années que l´on sent monter le poids économique de l´Asie à Davos. Mais, en 2008, l´économie américaine tombe et le capitalisme anglo-saxon est ébranlé par la crise financière. L´Asie est devenue le moteur unique de la croissance mondiale et chacun se félicite de son rôle de stabilisateur. Du coup, les maîtres du monde ne sont plus les patrons de Merrill Lynch ou de Citigroup, mais Anil Ambani, du groupe indien Reliance, ou Bader Al-Sa´ad, de l´investisseur public koweïtien. Les stars de Wall Street laissent leur place aux néomaharadjahs ou aux vedettes des fonds souverains des pays émergents. Le pouvoir bascule-t-il de l´Ouest à l´Est? Davos passe-t-il, pour la durée du XXIe siècle au moins, des Alpes à l´Himalaya? Comme ces pays (riches de leur pétrole tels la Russie et le Golfe, de leurs excédents commerciaux comme la Chine) ne sont pas des modèles de démocratie, surgit une question corollaire: le capitalisme anglo-saxon, sujet à des dérives permanentes, peut-il résister à ce capitalisme émergent, devenu solide, mais souvent "illibéral", autoritaire, peu respectueux de nos règles?" Là-dessus, il énumère quatre règles alambiquées où il est fait obligation de gouvernance transparente, " faute de quoi, ils se verraient refuser l´entrée...."(1).
Les pays émergents seront-ils les boucs émissaires de l´incurie des économies occidentales? Le pays qui est dans le collimateur, envié et craint est la Chine. Qu´on en juge! Le produit intérieur brut de la Chine a progressé de 11,4% sur un an en 2007, après 11,1% en 2006. Il s´agit de la cinquième année consécutive de croissance à deux chiffres et record depuis 13 ans, a annoncé, jeudi, le Bureau national des statistiques (BNS). Le PIB chinois en 2007 s´est élevé à 24.667 milliards de yuans (environ 3380 milliards de dollars). Cette nouvelle performance pourrait permettre au géant asiatique de devenir bientôt la troisième économie mondiale devant l´Allemagne, derrière les Etats-Unis et le Japon.
Que ferions-nous sans la Chine? s´interroge à juste titre Alain Faujas journaliste économiste du Monde qui décrit pourquoi la Chine est une bénédiction. Ecoutons son plaidoyer: "..Certes, pas pour les droits de l´homme ou pour l´environnement, mais, pour l´économie mondiale, si. C´est pourtant la pétition de principe inverse qui a cours en Occident. Interrogés du 10 au 24 septembre 2007 par l´institut TNS Opinion pour le compte du German Marshall Fund, une fondation américaine, 51% des Américains et 55% des Européens perçoivent la croissance chinoise comme une menace. Ce pourcentage grimpe à 57% chez les Allemands, à 60% chez les Italiens et à 64% chez les Français. C´est dire si les responsables occidentaux qui, en novembre et décembre 2007, se sont rendus en foule à Pékin pour réclamer un yuan plus fort, étaient les porte-parole de leurs salariés. La chancelière Angela Merkel, le président Nicolas Sarkozy, le gouverneur de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, le commissaire européen, Joaquin Almunia et le secrétaire d´Etat américain, Henry Paulson, ont tenu au président Hu Jintao et à ses ministres à peu près le même discours: "Nous ne pouvons plus supporter que vous nous infligiez des déficits commerciaux aussi énormes: 158 milliards d´euros pour les Etats-Unis et 112 milliards pour l´Europe des Vingt-Sept en 2006, et sans aucun doute beaucoup plus en 2007, se sont-ils lamentés. Nos industries traditionnelles ont été mises à mal par votre concurrence effrénée. Il faut que vous cessiez d´exporter dans de telles proportions. Pour cela, vous devez rendre vos produits plus coûteux en alourdissant vos salaires avec une protection sociale minimale et, surtout, en réévaluant votre monnaie.
Son niveau est inférieur de 20% à 30% à son cours normal, ce qui vous confère un avantage anormal."
Les dirigeants de Pékin leur ont répondu: "Pas question que nous accélérions le train de nos réformes, au risque de tuer la croissance annuelle à deux chiffres dont nous avons besoin pour tirer au plus vite de la misère notre population de 1,3 milliard d´habitants! Nous faisons déjà de notre mieux. " Et c´est vrai. Pour atteindre la " société harmonieuse " prônée par le président Hu Jintao, Pékin serre méthodiquement les boulons monétaires et financiers, depuis des mois. L´hystérie antichinoise, aggravée par la campagne électorale aux Etats-Unis, n´est donc pas fondée. Les cris d´orfraie poussés par les parlementaires américains, qui veulent taxer les produits venus de Chine tant que le cours du yuan ne sera pas fortement relevé, ont été contredits, le 19 décembre, par le rapport biannuel du Trésor sur les changes, où il est reconnu que Pékin ne manipule pas sa monnaie pour en tirer des bénéfices commerciaux. Qui empêche le taux de croissance mondiale de tomber sous les 4,5%? Pas les Etats-Unis, qui frôlent la récession en ce début d´année, ni l´Europe, avec ses 2% anémiques, mais la locomotive chinoise, qui continuera à la cadence de 11%. Qui empêche le dollar de s´effondrer dramatiquement, sinon la Chine, qui place en bons du Trésor américain environ 70% de sa gigantesque réserve en devises de 1400 milliards de dollars (955 milliards d´euros)? Qui apporte de l´argent frais aux banques américaines Bear Stearns ou Morgan Stanley pour leur permettre de surmonter d´énormes déficits dus à leurs erreurs de gestion? Pas les fonds de pension cotés à Wall Street ou à Londres, mais le fonds souverain de Pékin...En Occident, les bas prix chinois ont contribué à maintenir, jusqu´à présent, une inflation modérée et, donc, à préserver le pouvoir d´achat des habitants des pays industrialisés. Enfin, elle fournit des prêts et des dons pour construire les ports, les écoles, les hôpitaux et les lignes électriques en souffrance. Elle a annoncé 5 milliards de dollars d´aide de 2007 à 2009 qui seront les bienvenus puisque les pays du G7 se montrent incapables d´apporter à l´Afrique, chaque année, les 25 milliards de dollars qu´ils ont promis en 2005. Oui, tout bien pesé, merci la Chine! "(2).
Michael Gama a enquêté sur les rencontres entre les élites mondiales. Davos, mais surtout le groupe Bilderberg, moins connu. " Pour comprendre la différence, écrit-il, il faut tout d´abord rappeler brièvement quelle est la teneur du groupe Bilderberg. Créé en 1954, celui-ci est avant tout un club qui réunit, une fois par an, un peu plus de 120 personnes. On peut déjà noter la différence avec le Forum de Davos qui, lui, réunit des milliers de personnes. Les participants du groupe Bilderberg, qui se retrouvent pendant cinq jours dans un hôtel luxueux et systématiquement isolé, occupent tous les plus hautes fonctions dans leurs secteurs respectifs. Lors des séances plénières, se côtoient ainsi des ministres, les dirigeants des plus grandes entreprises mondiales, les rédacteurs en chef de grands médias, dans une ambiance très privée, à l´abri de toute médiatisation. Ceci est une grosse différence avec Davos qui, au contraire, mise sur l´ultra-médiatisation".
"Le Forum de Davos est avant tout une grande entreprise, brassant des fonds importants par le biais de sa fondation: il a donc besoin de cette visibilité médiatique. Et pour que cela marche, il faut faire des coups permanents, créer une multitude d´événements, même si, parfois, cela brasse de l´air. Derrière les prétentions de gouvernance mondiale pour le bien-être de tous ("répandre la démocratie", "aider les pays du Sud", etc.), il s´agit surtout de conserver les privilèges, les positions sociales....Tous les décideurs savent très bien que le système capitaliste a puisé au maximum les ressources naturelles. S´ils veulent que la production perdure avec le même dynamisme économique, ils savent qu´il faut prendre en compte ces nouveaux facteurs. Ce n´est pas pour rien que le thème, développement durable, est repris par toutes les grandes entreprises et par tous les politiques".(3)
George Monbiot, journaliste britannique, pour conjurer les changements climatiques, appelle de ses voeux une récession: "J´espère que la récession prédite par certains économistes se matérialisera. Le changement climatique ne provoque pas seulement un déclin du bien-être: passé une certaine limite, il le fait disparaître. Si la consommation d´énergie s´accroît moins vite à mesure qu´une économie arrive à maturité, aucun pays n´a encore réussi à la réduire tout en augmentant son produit intérieur brut...Autrement dit, à quel moment les gouvernements décident-ils que les coûts marginaux de la croissance dépassent les bénéfices marginaux? La croissance doit se poursuivre, pour le meilleur et pour le pire. Il me semble que, dans les pays riches, nous avons, d´ores et déjà, atteint le point où il faut logiquement s´arrêter. Existe-t-il quelque chose que l´on pourrait raisonnablement définir comme relevant du bien-être et que les riches n´ont pas encore? Le problème est que le luxe s´est surdémocratisé. Les riches doivent donc dépenser de plus en plus pour sortir du lot: aux Etats-Unis, le marché des biens et services destinés à les y aider pèse près de 1000 milliards d´euros par an. Si vous voulez être certain que l´on ne peut vous confondre avec un être inférieur, vous pouvez désormais acheter des casseroles en or et diamants chez Harrod´s".(4).
L'altermondialisme s'essouffle
Cette année, étrangement, on n´entend pas les Altermondialistes. D´aucuns disent que le mouvement s´essouffle. Souvenons-nous de l´utopie des forums sociaux mondiaux, dont le manifeste de Porto Alegre. Ces manifestes prônaient un "imaginaire de la rupture", en se rassemblant autour du slogan "Un autre monde est possible". C´était de fait, une contestation de l´organisation interne, du statut et des politiques des institutions mondiales tels que l´OMC, le FMI, l´OCDE, le G8 et la Banque mondiale et une recherche d´alternatives, globales et systémiques, à l´ordre international de la finance et du commerce. Les manifestations de Seattle en 1999 ont été les premières manifestations médiatisées altermondialistes. Elles furent suivies par un premier Forum social mondial, alternatif au Forum économique mondial de Davos et que nous avons appelés le "Davos des pauvres".(5)
On le voit, le mouvement altermondialiste n´arrive pas à freiner ou, à tout le moins, moraliser cette invention du diable qu´est la mondialisation. Plus que jamais, les pays du Sud, surtout les plus faibles, sont livrés à eux-mêmes. Ils se doivent d´inventer un autre dialogue et de ne pas regarder uniquement vers le Nord. Les pays du Sud qui auraient pu constituer des "locomotives" comme l´Inde, la Chine, voire le Brésil, ne coopèrent pas avec les pays du Sud les plus pauvres, tout occupés à sauter dans un nouveau moule: "les pays émergents" et avoir une légitimité décidée par les pays riches du G7, en leur créant un espace approprié: le G20. C´est dire qu´en définitive, l´altermondialisme aura du mal à s´imposer. Cela n´empêche pas d´y croire et de continuer à militer pour une "mondialisation à visage humain", à l´instar de la Rencontre maghrébine altermondialiste organisée et prévue à Alger, par le Forum social Algérie le samedi 26 janvier 2008.
(*) Ecole nationale polytechnique
(*) Ecole d´ingénieurs de Toulouse
1.Eric Le Boucher: Davos, charmante station de l´Himalaya. Le Monde 26-1-2008
2.Alain Faujas: Que ferions-nous sans la Chine? Le Monde 4-1-2008
3.Michael Gama: Rencontres au sommet: Quand les hommes de pouvoir se réunissent, éditions L´Altiplano.
4.George Monbiot: Seule une bonne récession nous sauverait. The Guardian le 03-01-2008
5.C.E.Chitour: Porto Alègre: Le Davos des Pauvres. L´Expression-Février 2005.


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