Toute l'Europe du football connaît «Manolo», qui battait le tambour, béret sur la tête, pendant les matchs de l'équipe d'Espagne; l'Afrique, elle, adore Bourhima Traoré, dit «M. le Maire», «supporter professionnel» de la Côte d'Ivoire, venu à Takoradi soutenir ses «Eléphants» pour la CAN-2008. «C'est ma sixième Coupe d'Afrique», lance fièrement Bourhima, le sourire éclatant au milieu de sa trogne mafflue, sa jambe droite outragée par la polio, repliée par-dessus sa béquille. Son arrivée en tribunes à Sekondi, pour Côte d'Ivoire-Guinée (5-0), en quarts de finale, est saluée par tous les supporters des «Eléphants», les journalistes et les officiels. Les bras gros comme des Airbus, le ventre en avant et le verbe haut, «M. le Maire» leur répond par des «Côte d'Ivoire is back! Côte d'Ivoire is back!». «Supporter, c'est un métier, puisque jouer au football, c'est un métier», démontre Bourhima, qu'on n'appelle que M. le Maire. Il répond d'ailleurs au téléphone par: «Vous avez demandé "M. le Maire?"» Il se présente: «Je suis le supporter emblématique des Eléphants de Côte d'Ivoire. Je suis le seul supporter en Afrique et en Côte d'Ivoire (sic), qui a fait tous les stades africains et pas mal de stades européens, et je suis un des rares supporters qui a vécu avec tous ces joueurs, et qui est quand même connu sur le continent africain, que ce soit au Mali, au Sénégal, au Burkina...Et je suis un des rares supporters qui a un carnet d'adresses de tous les joueurs africains. Je connais Didier Drogba, Shabani Nonda, Samuel Eto'o...» Il a même mangé chez ce dernier, dans sa famille, au Cameroun. Eto'o donne d'ailleurs, de temps en temps, de l'argent à «M. le Maire». «Les joueurs camerounais m'ont beaucoup apporté, notamment Samuel Eto'o, et quelques joueurs ivoiriens», affirme-t-il. «C'est une mascotte, glisse Aliou Bokolo, un journaliste sénégalais qui suit la Côte d'Ivoire. Quand tu prends un taxi à Abidjan, tu demandes "M. le Maire", tout le monde connaît.» On peut trouver «M. le Maire» «au bureau», c'est-à-dire à Sococé, grand centre commercial d'Abidjan. Là-bas, il connaît tout le monde. Et sur le continent aussi. Le président de la CAF (Confédération africaine de football), Issa Hayatou, déclare même: «Un supporter comme celui-là, il faudrait le décorer». Cette année, «M. le Maire» est bel et bien un supporter professionnel. «J'ai été fait ambassadeur de Côte d'Ivoire Tourisme, qui a tout pris en charge pour moi, explique-t-il. Ça me permet de parler à tout le monde et de dire que la Côte d'Ivoire, après des moments d'impasse, est en train de revivre. Côte d'Ivoire is back!» «M. le Maire» est né au nord, «le 27 avril 1972, à Boundjali, mais aujourd'hui je suis basé à Abidjan, aux Deux Plateaux».Il évacue la rivalité nord-sud qui a divisé le pays au tournant des années 2000: «Moi, en tant que sportif nordiste, je n'ai jamais eu de problèmes à ce niveau-là. Je suis adulé par le peuple. Partout où je passe, les gens me font des éloges». Heureux de sa vie bien remplie (il est «fiancé et père d'une fille de 6 ans»), même si, malade, il n'a pas pu accompagner les Eléphants jusqu'en Allemagne pour le Mondial-2006 «M. le Maire» prend avec sagesse son infirmité. «La polio que j'ai eue très jeune, personnellement, ça ne me gêne pas, dit-il calmement. Je n'ai pas à me plaindre, je ne me plains pas, c'est la volonté de Dieu, tout ce que fait Dieu est bon». «Je suis devenu un homme emblématique. Il y a beaucoup de monde qui n'a pas fait tous ces stades-là, qui ne connaît pas tous ces joueurs...» Et il conclut par sa devise: «Les autres sont des supporters locaux, moi je suis un supporter international».