La nouvelle star de la politique française, d'origine maghrébine, revient dans une longue interview de Claude Askolovitch, sur son parcours de Saint Rémy au...13, Place Vendôme. Dans cet entretien qui s'étale sur 232 pages, Rachida Dati revient longuement sur sa vie, sa carrière, ses amis, sans trop s'appesantir toutefois sur ses origines dont elle tend à en minimiser, sinon à nier, l'impact qu'elles ont sur ce qu'elle est ou ce qu'elle est devenue. A l'en croire, son origine maghrébine -de père marocain et de mère algérienne- n'a pas été un handicap et c'est en particulier sa persévérance qui lui a permis de se «construire». C'est le mot qu'elle employa à plusieurs reprises tout au long de l'entretien. Mais il reste toujours ce paradoxe de voir une émigrée, quasi sortie du néant, sans véritable base sociale, faire son «trou» dans la haute société et l'élite intellectuelle et politique françaises. Partir de Saint Rémy en Saône-et-Loire à l'âge de 22 ans pour atterrir à 42 ans à la Place Vendôme, il fallait le faire. Vingt ans donc pour se «construire» une image et une carrière, sinon un destin. Rachida Dati, née le 27 novembre 1965 à Saint-Rémy en Saône-et-Loire (Bourgogne), est donc une femme politique française «atypique». Après avoir été porte-parole du candidat Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle française de 2007, sa nomination, le 18 mai 2007, au poste de ministre de la Justice, Garde des Sceaux (reconduite dans le gouvernement de François Fillon 2, le 19 juin 2007), couronne une carrière à tout le moins bien maîtrisée et... spectaculaire, voire singulière. Au ministère de la Justice, Mme Dati prend place dans un fauteuil qui eut à accueillir de prestigieux prédécesseurs, à l'instar de l'ancien président François Mitterrand (1956-1957), celui-là même qui affirma à l'époque où il était ministre de l'Intérieur que la seule négociation avec le FLN était la guerre. Mais pas que lui, il y eut un Robert Badinter (1981-1986), ancien président du Conseil constitutionnel, Robert Schuman (1955-1956), Edmond Michelet (1959-1961), de grands hommes politiques et diplomates français, Michel Debré (1958-1959), ancien Premier, ministre du général Charles de Gaulle, ou encore un certain Adolphe Crémieux (du 24 février 1848 au 7 juin 1848 et en 1870-1871), celui-là même qui signa le fameux décret qui porte son nom, naturalisant les Juifs d'Algérie, datant de 1871. Rachida Dati au ministère de la Justice se trouve donc en bonne compagnie dans une Chancellerie dont le premier titulaire a été nommé en...497. Ce qui fait de cette institution française l'une des plus anciennes dans le monde après celle du Vatican. Des hommes-clés...à des moments-clés Mais cette nature heureuse a eu surtout la chance d'avoir rencontré sur sa route un prédécesseur, Albin Chalandon (ministre de la Justice du 20 mars 1986 au 12 mai 1988) qui l'a beaucoup aidée par ses conseils et accompagnée dans sa fulgurante ascension politique. Son père spirituel avoue-t-elle M. Chalandon a joué dans la carrière de la jeune Dati un rôle prépondérant. Celle-ci dit à son propos: «Il m'a donné un acte de vie. Je dois ma naissance à mes parents, mais ma construction, ma vie que j'ai construite, je la lui dois.» Une constante dans cette «construction» de la vie chez Rachida Dati, la rencontre avec des hommes-clés à des moments-clés. Ce qui, convenons-en, n'est pas l'apanage du tout-venant. Ne croyez pourtant pas, dit-elle, que c'est là un conte de fées... ou à peine. Quand des hommes et des femmes de la dimension d'Albin Chalanfon, qui l'introduisit dans la politique et lui ouvrit les portes du «Tout-Paris», de Jean-Luc Lagardère, qui l'accueillit à Matra -rien que ça- et alla jusqu'à financer ses études en management, de Simone Veil, une femme immense, une sommité française qui guida ses pas dans les méandres et pièges de la politique ou encore de Gérard Worms, grand banquier de chez Rothschild, qui la parraina dans un monde de la finance très chatouilleux. Des dizaines de grands hommes et femmes ont ainsi joué, à un niveau ou à un autre, un rôle dans un parcours plus que brillant de cette petite fille d'émigrés. Il fallait au moins cela pour donner à une émigrée une visibilité lui permettant de sortir du rang et la possibilité de faire valoir ses qualités et capacités. Cette jeune fille dynamique, active et curieuse, qui ne doute de rien, fonce ainsi tête baissée...vers le savoir, la connaissance et la reconnaissance en obtenant le soutien et le concours de personnalités bien placées, gages de succès. Et rien ne sembla avoir rebuté Mme Dati pour réaliser ses buts. A l'ambassade d'Algérie: le tournant de sa vie Ce qui est un peu cocasse c'est que dans cette soif de percer et de se mettre en évidence, elle se rappela un jour que sa mère est...algérienne. Elle avait 22 ans! Se référant à cette filiation, elle écrivit donc à l'ambassadeur d'Algérie à Paris sollicitant une invitation pour la réception diplomatique donnée à l'occasion de la fête de l'Indépendance. Par retour du courrier elle reçut un carton l'invitant à Paris. C'était un 5 novembre. Une réception diplomatique pour une petite provinciale française, n'est-ce pas curieux? Pourtant, pas du tout intimidée, elle fonce droit au but et accroche un certain Albin Chalandon. Cette rencontre constitua en fait pour Rachida Dati le tournant de sa vie. M.Chalandon va devenir son mentor et, aussi, sa «fée du logis». C'est l'excellence de cette rencontre qui va bouleverser la vie de la jeune fille. M.Chalandon, ministre de la Justice à l'époque de la rencontre avec Mme Dati, avoua plus tard que c'était la première fois qu'il se rendait à une telle réception. Un paradoxe, car il faut admettre qu'une telle conjonction est tout à fait rare eu égard au rôle que l'ancien conseiller d'Etat allait jouer dans l'ascension de sa protégée. Rachida Dati est assurément née sous la bonne étoile, quoi qu'elle en dise, avec tous ces «anges» penchés sur son...plan de carrière. Avec cela, Mme Dati se défend d'avoir une vie de «conte de fées», alors que le haut du panier de la politique, de l'industrie et de la magistrature françaises s'est plié en quatre, avec sollicitude, pour répondre aux demandes de cette personne pas du tout ordinaire. Et puis, n'est-ce pas une fille d'émigrés! Mais attention, Rachida Dati récuse ce terme d'émigrée. Elle est Française. Point. Elle refuse d'intérioriser cet aspect brut et néanmoins prégnant de son origine. Elle dit à ce propos: «Je suis incapable de lire mon parcours de façon ethnique. Ne me demandez pas. Je ne comprendrais même pas cela.» Et d'ajouter, ce qui me rend complexe? «Pas tant mes origines que la difficulté qu'ils ont (les gens, ndlr) à me ranger dans une case ou dans un cliché.» Au journaliste qui lui demandait le pourquoi de ce livre, Rachida Dati a cette réponse: «Mettre fin aux fantasmes, les purger et pouvoir avancer...échapper aux clichés.» Or, il semble bien que plus elle tente d'échapper à ces clichés, plus elle s'y enferme alors qu'elle veut s'en extraire. Ce n'est pas facile à l'évidence pour elle d'assumer sa vraie nature qui est, et reste -malgré ses dénégations- attachée à ses origines. Comme on ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas non plus son origine et son ethnie. A cela, elle n'y peut rien. Quoi qu'elle fasse, elle est et demeure une fille d'émigrés, et sa place actuelle sur l'échiquier politique français n'y change rien. D'ailleurs, à juste raison, elle relève les manipulations autour des Beurs. Un mot qui, d'ailleurs, la hérisse, estimant que cette catégorie de Français a été utilisée et manipulée notamment par la gauche socialiste, indiquant: «On a célébré une cause», mais «on a laissé tomber les gens pris un par un. On a nié leur individualité. On les a, de fait, assignés à résidence ethnique et culturelle», souligne-t-elle. Et, manifestement, Rachida Dati refuse de se résigner à cette assignation à résidence «ethnique» clamant haut et fort sa «francité» se voulant française, ni franco-marocaine, ni franco-algérienne ou franco-maghrébine. Seulement Française, sans partage. Dans cette autobiographie, Rachida Dati passe aux aveux, sans pour autant convaincre et son assurance, dans plusieurs passages du livre, apparaît surfaite et factice. Mais cela n'enlève rien de l'intérêt d'un livre facile à lire, même s'il ne dévoile pas tout alors que la personnalité de Rachida Dati reste aussi énigmatique, si cela se pouvait, qu'au moment où on a ouvert le livre. Rachida Dati, Entretien avec Claude Askolovitch «Je vous fais juges» Editions Grasset. Paris 2007