Ghenima, une femme sans âge ou plutôt ayant l'âge de la glaise qu'elle triture et travaille à longueur d'année, Ghenima ou Nna Ghné pour les intimes, est la potière du village. Brune, le corps sec, l'oeil torve et le geste précis, elle est penché sur son tas de glaise. On la croirait fondue avec le bloc tant qu'on ne saurait la voir sans cette glaise qu'elle travaille depuis son adolescence. Qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige, Nna Ghné est assise près de son tas de glaise et ses mains agiles donnent corps aux objets usuels allant de la cruche au chandelier en passant par les tajines et autres pots. Nna Ghné n'a pas d'enfants et son vieux mari est mort depuis des lustres, ses objets travaillés avec amour sont en fait ses enfants, elle s'en sépare difficilement mais il faut bien qu'elle vive! Il arrive de temps à autre de rencontrer Nna Ghné sur les routes du village allant à la collecte de la glaise, une petite binette dans sa hotte et le sourire aux lèvres. Elle passe alors du temps à la recherche de la précieuse matière première pour ses chefs-d'oeuvre. Les champs alentours ne regorgent pas d'argile, une argile utile à Nna Ghné. Elle s'en va donc souvent très loin vers d'autres contrées, là où elle peut trouver la glaise pour fabriquer ses objets. Une glaise qu'elle affine pour en façonner les formes et la parer de dessins qui plongent leurs racines dans les tréfonds de la culture berbère, des dessins qui refluent le mode de vie de la Kabylie de l'ancien temps, un mode de vie qui tend à s'effacer en cette ère de modernisation. Jadis, la nature était la seule source, le seul repère pour nos aïeux, tout était fabriqué à la main. Les objets usinés étaient rares et chers. Les ustensiles étaient en glaise et les cuisinières faisaient provision de poteries une fois l'an, alors les potières travaillaient bien et les jolis objets se disputaient les faveurs des clients. Aujourd'hui, les potières ne sont plus ce qu'elles étaient et Nna Ghné est l'une des rares qui continuent, vaille que vaille, ce métier hérité des anciens. Façonner la glaise, lui donner une forme et une vie, presque une âme, elle sait ce que c'est et entre ses doigts agiles naissent des objets aussi utiles que chatoyants, de formes, de dessins et de couleurs. Nna Ghné n'est plus de première jeunesse et appréhende, avec un certain pincement au coeur, le jour il lui faudra, à contre coeur, ranger sa hotte, sa binette et croiser les bras! Elle sait tout cela comme elle sait qu'elle s'en ira un jour reposer auprès de son vieux Belkacem au petit cimetière du village, un cimetière où la glaise...Mais cela est une autre histoire.