On veut construire une nouvelle religion qui s'appelle la Shoah... Dachau, Treblinka, Le Vel-d'Hiv, Drancy...des noms de lieux de sinistre mémoire. Des images ressurgissent. Celles d'êtres humains, de femmes et d'enfants parqués dans des wagons de marchandises, comme des bestiaux partis pour un voyage sans retour. Vers les camps de concentration et les fours crématoires. La «solution finale» programmée par l'idéologie nazie et dont l'Etat français partage la responsabilité. L'invité de L'Expression, Mustapha Chérif, universitaire et ancien ministre de l'Enseignement supérieur, en fait le constat et épingle ceux qui ont fait, de cette abominable machine à exterminer, un véritable fonds de commerce. «Le nazisme n'est pas un accident. C'est l'histoire de l'Europe pas celle du monde arabe. Aujourd'hui pourtant, cette culpabilité alimente l'islamophobie et une injustice béante qui s'appelle Palestine», explique-t-il. L'invité de L'Expression venait de s'exprimer sur le boycott du Salon du livre de Paris par les maisons d'édition des pays arabes. Un rendez-vous planétaire des écrivains et intellectuels, qui s'est transformé en forum politique. La raison? L'Etat d'Israël en était l'invité d'honneur et fêtait conjointement le 60e anniversaire de sa création. C'est également, nationale, le 60e anniversaire de l'occupation par Israël de la partie arabe concédée aux Palestiniens par la résolution 181 du 29 Novembre 1947 du Conseil de sécurité de l'ONU qui officialisa le partage de la Palestine historique. Le conflit israélo-palestinien s'est frayé au Salon du Livre un passage et, sans crier gare, comme par effraction, il s'est taillé la part du lion en vedette parisienne. Sarkozy a déroulé le tapis rouge au chef de l'Etat hébreu, Shimon Peres. Et la Palestine s'est retrouvée, encore une fois, comme entité négligeable. La présence d'Israël au Salon du livre à Paris et à l'occasion du 60e anniversaire de sa création n'est pas fortuite. Le terrain a été préparé depuis un moment déjà, et certains signes l'attestent: ils portent, sans conteste, l'empreinte indélébile de la culpabilité de l'Etat français dans sa participation à la déportation des juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Cette surenchère, Nicolas Sarkozy, le président de la République française, élu en 2007, l'incarne à lui seul. Le 13 février 2008, il participa avec Simone Veil et son gouvernement, presque au complet, au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Pour la première fois, un chef de l'Etat français participait à cette rencontre annuelle. A la grande surprise de l'assistance, M.Sarkozy déclare: «J'ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11.000 enfants français victimes de la Shoah.» L'intellectuel algérien réagit: «Il est normal de se souvenir de l'innommable, pour que plus jamais cela n'ait lieu, mais on semble construire une nouvelle religion qui s'appelle la Shoah. Même Simone Veil n'a pas compris une telle démarche. Comment peut-on faire porter par de frêles épaules la mémoire d'un crime aussi abject?» s'interroge Mustapha Chérif. Et la mémoire des enfants palestiniens tombés sous les bombes assassines de l'armée israélienne ne vaut-elle pas celle des enfants juifs exterminés durant l'holocauste? La responsabilité de l'Etat français était établie. Les fantômes de Treblinka hantent son esprit. Reste à ne pas en faire payer le prix aux Palestiniens. La Justice internationale n'est qu'une justice à deux vitesses. L'accès du peuple palestinien à un Etat ne sert qu'à rétablir une injustice qui dure depuis 1947. «Il faut régler ce conflit en rappelant à Israël ses obligations internationales, mais pas en lui envoyant des signaux qui l'encouragent à les transgresser», a souligné l'islamologue et universitaire algérien. A toute chose malheur est bon. En politisant le Salon du livre de Paris, la France a suscité un sentiment de solidarité sans faille des pays arabes avec le peuple palestinien. La bande de Ghaza aura au moins l'impression d'être moins seule.