Nous l'avons attendu avec impatience puis nous nous y sommes baignés et avons même goûté à sa saveur salvatrice. La Source, magnifique fresque musicale de Safy Boutella, nous a noyés dans la magnificence du son et de la lumière jusqu'à l'extase ! Prévu à 22h30, le spectacle conçu par Safy Boutella en collaboration avec l'Onci, n'a débuté que vers 23h45 devant près de 100.000 personnes ! L'attente en valait la chandelle. Un public extraordinaire est venu en force, assister mercredi dernier à la cérémonie d'ouverture de la 15e édition du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui s'est tenu au stade du 5-Juillet. C'est à cette jeunesse assoiffée de vie et de liberté que Safy a tenu à dédier sa fresque musicale. Un pari tenu haut la main. Ce sont 90 minutes de pur bonheur que nous avons savourées en sa compagnie... La Source, c'est avant tout une adresse musicale phénoménale portée par toute sorte d'instruments, des plus modernes comme les samplers haut de gamme en passant par les traditionnels bendir, tbel et derbouka ... Ce sont aussi de formidables chorégraphies. L'une signée Amine Sabaha (troupe de danseurs touareg) et l'autre, K.Chaker (troupe de danseurs contemporains). Des chorégraphies «space» mettant en exergue cet antique conflit, celui du Bien contre le Mal, symbolisé ici par deux communautés qui s'affrontent pour s'approprier l'eau, objet de toutes les convoitises, avant d'accéder enfin à la paix. Fabuleusement élaborée, La Source a nécessité des moyens techniques faramineux, et pourtant Safy y a cru jusqu'au bout. Il n'a jamais baissé les bras, tout comme ces Hommes bleus... Le spectacle dans lequel nous avons émergé complètement a mobilisé, outre les 400 artistes dont 200 Touareg, une cinquantaine de danseurs contemporains, l'incarnation du mal, dix belles silhouettes orientales signe de l'opulence et de la richesse malsaine des puissants, sans oublier les chameaux... Imaginez maintenant le décor : du côté gauche de la scène se tient la tribu des Touareg. Garante des valeurs ancestrales, celle-ci semble vivre dans la sérénité la plus totale. Sa quiétude est suggérée par des chants presque divins émanant du coeur de ces femmes «sahraouies». Soudain, le ton se veut angoissant, pesant. Règne à ce moment-là un étrange silence. C'est le calme qui précède la tempête... On pressent un danger imminent, surgissent alors de loin, de l'autre côté de la scène, des hommes en tenues futuristes. Des hommes par qui le malheur arrivera. Ils avanceront à pas mesurés presque robotisés, guidés qu'ils sont par des sons électroniques, métalliques pour dilapider cruellement l'eau qui jaillissait à flots au milieu de la scène. L'eau première «source» de survie des Touareg. Par un éclat de rire sardonique, machiavélique, le chef de cette tribu de malheur étend sa cruauté pour marquer son pouvoir vil et destructeur. Ils commettront leur méfait sous un rythme musical des plus effrénés mêlant à la fois le hip-hop à la jeel music dans un tourbillon de phrases empreintes de violence : «Chkoun chef, ana houa chef, anta tadreb enechef, nakelek lahmek, nachrablec damek»... «Khlass, ma bka walou», rapporte la voix off du spectacle, celle de Safy Boutella, en l'occurrence. Effondrés, les Touareg sont abattus. L'eau n'est plus. Inéluctablement, tragiquement, le vent a tourné du côté obscur... La lumière, qui est projetée au-devant la scène, est désespérément bleue, lugubre, fatale... Qu'on ne se laisse pas faire, semblent se dire les Touareg. Ces derniers s'apprêtent à aller affronter l'ennemi, soutenus et encouragés en cela par la magie du chant de leurs épouses. C'est dans un tonnerre de mélodies infiniment transcendantales que vont se traduire ces trois batailles, portées ou soulignées par une puissance rythmique nerveuse presque offensive. La musique de Safy est imprégnée des effluves troublants de la musique maghrébine, mais aussi de la techno-dance. Elle possède infiniment l'esprit libertaire du jazz, car elle nous met carrément en transe. La cérémonie de la flamme fut poignante, un grand moment solennel qui émerveillera le public. Mercredi soir au stade du 5-Juillet, la fête était à son comble. L'amour, la poésie et l'amitié étaient vraiment au rendez-vous.