Elle se regarde: ce qu'elle est, ce qu'elle a été, ce qu'elle pourrait être. Elle affirme, avec force, qu'elle est une battante, -il faut évidemment la croire. L'expression, chez elle, conserve sa modernité et sa vérité dans le monde nouveau, pour nous tous hommes et femmes, que nous vivons en pensant ce que nous sommes...Dans Mère et éducatrice (*), Fatiha Nouar, avec sa verve plus qu'avec son verbe, rappelle à l'homme, que son avenir, comme chante le poète, est la femme. Cette simple pensée est à l'amour-propre de l'homme un baume qu'il sait au fond de lui-même par quelle nuance, lui qui a pourtant beaucoup d'esprit, son ambition magnifique est ainsi corrigée...Le grand art d'être un homme est d'avoir la raison qui lui justifie les vertus de la femme. Je n'en ferais pas ici l'éloge, - nos traditions, nos croyances, lui ont offert une couronne ciselée de respect et de considération, mais hélas! les fausses et persistantes interprétations de la vie, y ont incrusté des grains de malheur. Pourtant, comme dans les temps anciens, voici une femme, une fileuse de vie responsable, une mère courage, qui refuse de boire dans le vase d'or empli de fiel emmiellé et qui saisit haut le bonheur qu'elle construit autour d'elle de ses mains. Son livre, un court récit, simple, émouvant, retrace «l'itinéraire d'une femme dans la tourmente algérienne»; cette information, sous le titre Mère et éducatrice, prévient le lecteur qu'il n'y a là aucune drôlerie, seul un regard franc de l'auteur couvrant «la plus grosse tranche de [sa] vie». Fatiha Nouar précise, en effet: «Un vécu d'événements provoqués par mes propres actes ou imposés par la force du Destin, un bout de chemin marquant durant lequel j'ai fait à la fois l'apprentissage de mère, de maîtresse de maison et de responsable d'établissement scolaire.» Elle nous fait entrer dans le vif du sujet, sans tergiverser. C'est une «petite» leçon de vie -la sienne-, qu'elle nous met sous les yeux. C'est l'institutrice qu'elle fut, c'est la pédagogue qui a minutieusement charpenté sa «fiche de préparation», qui fait revivre son passé, ou plutôt son histoire, et nous serions alors ses élèves attentifs. Elle a été, apprend-on, «élève de Mouloud Féraoun et de Salah Ould Aoudia, elle a consacré quarante ans de sa vie à l'éducation de "son public adoré" en tant qu'institutrice, conseillère pédagogique et directrice d'école.» Elle a voulu, fidèle aux principes pédagogiques, sans doute, inspirés d'Alain, l'auteur des Propos sur l'éducation, «tirer le meilleur fruit d'une expérience mémorable». En d'autres termes, elle rapporte ce qu'elle a observé à travers les idées qu'elle a eues tout au long de sa carrière pour exprimer son opinion avec liberté et conviction, et c'est pour moi, la première marque de son style alerte, mesuré, «travaillé». On comprend bien l'importance pour elle de faire cette honnête déclaration qui vaut confidence; «J'ai mis toute mon âme, tout mon coeur et tous les moyens dont je disposais pour procurer à ce petit monde qui m'entourait ce qu'il attendait de moi. Ce parcours de quarante-cinq ans n'était pas un long fleuve tranquille, et n'a pas toujours été pour moi une partie de plaisir.» Voici donc les repères de cet itinéraire qui commence dans la famille paisible et tendre et par des études à Cherchell, se poursuit à Ténès puis à Alger...«La phase de l'adolescence à celle d'épouse et maîtresse de maison» s'ouvre soudain sur la réalité d'un monde en proie à la souffrance du fait colonial et qui veut s'en débarrasser coûte que coûte. Le récit met en scène des personnages dans leur vécu et aborde des chapitres aussi bouleversants que lourds de sens: La guerre de Libération, Les centres sociaux; L'indépendance; L'école Ibn-Rachik; L'école fondamentale; Terrorisme et violence; Violences et destructions; Campagne électorale et élection présidentielle; Le départ à la retraite; Concorde civile; L'an 2000...C'est «une histoire à travers l'histoire» que nous propose Fatiha Nouar...Quant à la longue, la très longue dédicace, au début du livre, est-elle nécessaire? Elle émousse quelque peu le fil ardent de l'intention d'écrire et délave l'ornement littéraire de l'ensemble. Cependant, «la rédaction» de cette institutrice, cultivée et éclairée, est attachante: fond et forme. (*) MÈRE ET EDUCATRICE de Fatiha Nouar Editions Alpha, Alger, 2007, 104 pages.