Le procès de Hadj Bettou aura, finalement, duré moins d'une semaine pour aboutir à sa prévisible libération. Pour les plus rompus aux intrigues politiques, il s'agit là d'un véritable coup de force de la mafia politico-financière pour libérer «un pion du Sud». Pour d'autres, aux visions moins apocalyptiques, il ne peut s'agir que de la juste libération d'un homme turbulent, certes, «pirate sur les bords», mais qui a fait son commerce en se référant «aux strictes lois tribales du Sud». Mais le fait est là : jugé pour plusieurs affaires, voilà Hadj Bettou libre... libéré, lavé, et avec, en prime, les excuses de la République! A l'issue de quatre jours de procès, le tribunal de Annaba a prononcé un verdict en sa faveur. L'absence des témoins clés, les contradictions des éléments à charge, l'absence du Drag de Tam, élément clé du procès, ont allégé à souhait le dossier de Hadj Bettou. Celui-ci peut, désormais, regagner son domicile. Son arrestation avait sonné comme une «fin de règne des intouchables» et marqué dans les esprits la belle offensive entreprise par feu Boudiaf, avant d'être stoppée net. Pourtant, toute cette parodie de procès ne correspond pas à l'ampleur des informations ayant accompagné l'arrestation quasi spectaculaire de Hadj Bettou. Faisons un bond de dix ans en arrière. Le 3 juin 1992, deux compagnies d'intervention spéciale de la gendarmerie débarquent en pleine nuit à Tamanrasset, en avion C130. Mission : arrêter un homme et contrôler ses entrepôts. Cet homme, 38 ans à l'époque, s'appelle Mohamed Berthous, marié, six enfants, plus connu à l'époque de son arrestation sous le nom de Hadj Bettou, ou, encore, de Bettou Seddik. Sa notoriété de grand contrebandier devant l'Eternel était déjà établie. Officiellement, il se livrait à des «transactions commerciales», nom générique à toutes sortes de commerces: légal, illégal, contrebande, troc, d'armes, de bétail, etc. Ayoub, le frère de Hadj Bettou, est en prison, au Niger, où il a été arrêté pour trafic d'armes, en mars 1992. Le Niger, le Mali et les vastes tribus turbulentes des Touaregs et des Azawads de la couronne sud de l'Algérie constituent le champ d'action de Hadj Bettou. Lorsque les dizaines d'officiers et de subalternes de la gendarmerie ouvrent ses entrepôts, la trouvaille est jugée maigre, par rapport aux renseignements collectés auparavant. Mais, quand même, il y a là 330 tonnes de sucre, 400 tonnes de pâtes alimentaires, 125 tonnes de thé vert, 75 tonnes d'arachides, 20 tonnes d'épices, 4.500 boîtes de tomates, 20.000 bougies, 80 radiocassettes, 6 téléviseurs, des pièces d'identité falsifiées, de l'argent liquide: 20 millions de dinars algériens et quelques dizaines de milliers de francs. Jugé six mois plus tard, il écope de huit mois de prison ferme. Quand il est arrêté, il ne reste à celui qui a ordonné l'arrestation des grands contrebandiers et l'établissement d'un fichier sur les milliardaires, même ceux domiciliés à l'étranger, que 25 jours à vivre... En fait, Boudiaf avait fait de sa guerre contre la mafia politico-financière son credo, son épreuve du feu. C'est dans ce contexte-là que Bettou a été arrêté. Comme allaient être arrêtés les autres Hadj Bettou (au moins une dizaine du même standing) qui contrôlaient le grand Sud à la faveur des particularités tribales, ethniques et sociales de la région, et qui, souvent, réduisent à néant toute balise juridique et légale. 6.653km de frontières séparent l'Algérie du Maroc, du Mali, du Niger, de la Libye et de la Tunisie. La seule wilaya de Tamanrasset est aussi grande que la France, mais surveillée par un nombre de postes frontaliers quasi-dérisoires, et avec des moyens qui ne se sont renforcés que depuis quatre ou cinq ans. Hadj Bettou a été arrêté dans un contexte politique précis et, aujourd'hui, il est libéré en réponse à des impératifs politiques et sécuritaires précis. Qui l'avaient couvert, et qui aujourd'hui le lâchent? A quoi a servi son arrestation et à quoi servira sa libération? Il représente qui et quoi? Qui sont ses protecteurs et par quelle grâce est-il aujourd'hui M.Propre? C'est de la sorte qu'on peut apprécier, dans une certaine mesure, le marchandage, puis le lâchage dont a été l'objet Hadj Bettou. Aujourd'hui encore, sa libération soulève des interrogations à longueur de ligne. Certains pensent, qu'une fois libre, il pourrait servir à inciter sa grande famille et ses divers alliés à faire en sorte que les élections se déroulent dans de bonnes conditions au Sud. Mais le fond de la chose est, estiment d'autres, plus important que cette simple échéance électorale, et tourne autour d'une question aussi capitale que la stabilité dans la région de Tam, vaste monde hétéroclite à surveiller comme le lait sur le feu.