Discret mais efficace, ce jeune faiseur d'images représente une des valeurs de demain, et qu'il convient de soutenir. Réalisateur d'abord du court métrage N'rouhou, Mounès Khammar s'est révélé, avec les années, un touche-à-tout, dans le domaine cinématographique. Réalisateur et producteur par la suite, il aidera aussi, grâce à sa boîte Saphina Film à la fabrication en Algérie du film La Trahison de Philippe Faucon avant de s'atteler à produire des courts métrages, dont Houriya de Mohamed Yargui qui lui a valu plusieurs prix et Peurs virtuelles de Khaled Benaïssa, actuellement présent en complétion officielle au Festival Vues d'Afrique qui se déroule au Canada. Il nous parle ici de son point de vue en tant qu'un des acteurs de la nouvelle génération de faiseurs d'images en Algérie, sur l'état du 7e art algérien et, notamment de la moisson de «Alger, capitale de la culture arabe», et préconise des solutions pour son avancement. Eclairé, ce jeune garçon mérite en effet que les anciens l'écoutent pour faire avancer les choses, ne serait-ce que pour être informé de ce qui se fait ailleurs, non pas pour plaire aux autres, mais pour répondre tout simplement aux normes et exigences internationales que le public algérien a compris depuis longtemps. Ecoutons-le s'exprimer... L'Expression: Tout d'abord, félicitations pour Houriya, une nouvelle consécration, un mot là-dessus? Mounès Khammar: Je suis très heureux, ce film est le fruit du travail technique et artistique effectué par une grande équipe, du scénario final jusqu'aux derniers jours du montage. Je tiens à rendre hommage aussi au rôle important de l'association Project'heur et de l'association Chrysalide qui ont encadré Mohamed Yargui dans l'écriture du scénario avant qu'on entame la réalisation du projet; cette réussite est le fruit de tous ces facteurs réunis, mais surtout celui d'un soutien conséquent du ministère de la Culture, grâce auquel on a pu réunir toutes ces conditions. Lors de vos remerciements, vous avez relevé le caractère «professionnel» de votre démarche dans la production de ce film, preuve s'il en est, que le court métrage n'est pas une affaire d'amateurs...Qu'en pensez-vous? Exactement, nous avons rassemblé les mêmes conditions que nous avons réunies lors du tournage du long métrage La Trahison de Philipe Faucon en 2005, une équipe de professionnels et un matériel HD de pointe. La seule différence du point de vue logistique, était la durée du tournage, seulement deux semaines. Le court métrage est devenu depuis très longtemps une forme cinématographique à part entière, reconnue et remarquée dans les plus grands festivals au monde, le court est devenu le labo où les grandes industries du cinéma explorent des horizons artistiques nouveaux, ainsi que le monde de la publicité. En plus, de par sa «courte durée», il nécessite beaucoup d'imagination et de talent pour raconter et développer une histoire qui doit vous attacher en peu de temps, c'est pour ça que beaucoup de grands réalisateurs de renom ont fait un passage par le court ces dernières années: Youssef Chahine, Sean Penn, Ken Loach, Claude Lelouche, Idrissa Ouedraogo, Rachid Bouchareb, et plein d'autres. Plus la durée du film est courte, plus la performance artistique du cinéaste est grande. Le court métrage est «la nouvelle» du cinéma. Quelle évaluation faites-vous de ce panorama du cinéma? Ça fait plaisir de voir qu'autant de films ont été produits chez nous, malgré le fait que j'émet des réserves pour la qualité de certains projets, ce que je note est que cette année 2007 a été l'occasion de créer une réelle dynamique cinématographique «commune». Ma génération est venue au cinéma principalement sur les tournages des films algériens et étrangers de ces dix dernières années. Cette année a été pour moi la première occasion de travailler directement avec le ministère de la Culture, ça était une belle expérience, j'espère qu'on a été à la hauteur. Que pensez-vous de l'état actuel du 7e art en Algérie? Je ne peux isoler le cinéma en Algérie de son contexte social et économique. Notre pays vit une période de reprise dans tous les domaines, une reprise après des années difficiles qui nous ont affectés, donc je ne crois pas qu'on puisse faire un vrai constat dans une étape de transition, on ne pourra parler réellement du 7e art en Algérie que lorsqu' un réseau de salles de cinéma sera actif. Il n'empêche que je crois toujours que la jeune génération n'est pas encore assez représentée. Etes-vous confiant en son avenir? Etre confiant dans l'avenir c'est être confiant dans son propre travail, mais ma confiance sera plus grande si l'Etat algérien met le paquet dans sa jeunesse, dans cette époque de mondialisation au même titre que les autres. On représente notre pays l'Algérie, et plus précisément l'Algérie d'aujourd'hui, que malheureusement, beaucoup résument à des faits d'actualité. Le soutien de l'Etat est la garantie d'une bonne qualité du projet et surtout de sa souveraineté artistique et politique, sans pour autant exclure la dimension internationale qui caractérise tous les films réalisés aujourd'hui. Il faut rappeler qu'aucun pays au monde ne soutient «entièrement» une production cinématographique, mais son aide est la locomotive pour la suite. D'autre part, il ne faut pas oublier que le public algérien, en majorité jeune, a besoin d'un cinéma fait par des cinéastes de sa génération, de son époque, et je pense que les grands noms du cinéma algérien de par leur expérience et leur influence en Algérie et ailleurs, devraient davantage parrainer cette nouvelle génération, qui est active au sein du milieu professionnel depuis plusieurs années déjà. C'est autant une question d'avenir qu'une question d'image de marque pour notre cinéma national. Moi je crois très fermement au retour du label algérien, mais si on ne se met pas tous à installer un cinéma local de plusieurs générations, qu'il soit «d'auteur» ou «commercial», si on ne prend pas la peine de réhabiliter des salles, nous allons vite nous faire effacer chez nous par les films américains ou orientaux, comme c'est déjà le cas dans beaucoup de pays. Que préconisez-vous pour faire avancer le 7e art en Algérie? Pour ce faire, il faut s'ouvrir davantage sur l'autre et explorer des axes nouveaux dans le monde, être offensif en production de films et mettre de côté tous les discours négatifs, tous les «c'est pas possible». On a une place à récupérer, du moins au premier plan sur la scène arabe et africaine, il faut maintenant faire des films et surtout devenir plus exigeant pour la qualité. L'Algérie a une grande histoire avec le cinéma et beaucoup de personnes à l'étranger accordent une attention particulière à tout ce qui sort de chez nous, je ne dis pas qu'il faut forcement gagner des prix, mais être sélectionné dans des compétitions officielles est un minimum. Pour tous les films, qu'ils soient longs ou courts, c'est le parcours dans les festivals qui juge de la qualité du travail fourni; il faut aussi combattre l'impunité de la médiocrité, si je parle autant de l'étranger c'est pour la simple raison que «l'international» est chez nous depuis longtemps, et que faire des films au standard international n'est pas un luxe ou pour plaire ou autres, mais tout simplement pour être à la hauteur de l'exigence du spectateur algérien d'abord, qui, en restant chez lui, est submergé de films venant de toute part. La concurrence avec les autres nous est imposée ici, et elle ne sera que plus dure, c'est pour ça que participer à tous les festivals est un bon moyen de se mesurer, d'apprendre et de s'améliorer pour avancer. Le Fdatic va être revu à la hausse, pensez-vous que c'est suffisant? Tout le monde était très heureux d'écouter Mme la ministre l'annoncer. Personnellement, je joins ma voix à elle pour dire que rien n'est beaucoup pour la culture, et je crois qu'on doit tout mettre dedans, que le secteur de la culture et de l'éducation doivent être prioritaire, pas que chez nous, mais dans le monde arabe. Même si cette hausse est une bonne nouvelle, il reste beaucoup à faire, le cinéma est notre image envers nous-mêmes et envers les autres, il ne s'agit pas seulement de faire des films pour des salles, mais d'installer une industrie qui pour ses besoins va mobiliser toutes les autres formes d'expression artistique, sans parler de l'impact social et économique. Malgré l'importance des deux, nombreux sont ceux qui limitent la culture au «divertissement», c'est une grave erreur, le vrai pétrole d'un pays est l'humain, c'est notre matière grise qui nous fera prendre de l'avance sur les autres, pas notre matière noire. Quels sont vos projets? Premièrement, je suis très heureux de vous annoncer qu' actuellement, notre dernière production Peurs virtuelles, le premier film du réalisateur et comédien Khaled Benaïssa, représente l'Algérie en compétition officielle au Festival Vues d'Afrique, qui se déroule depuis le 15 avril au Canada, sinon j'ai un projet de réalisation d'un troisième court métrage en préparation et un autre projet de long métrage qui est en écriture en ce moment. Mon intérêt premier a toujours été la réalisation, mais un passage par la production dans le long et court métrages a été très formateur, bien que je me suis toujours impliqué artistiquement dans les projets que je fais; l'époque chez nous est telle qu'il est important de pouvoir être polyvalent sans se disperser, et dans le passé, ça a été un excellent moyen d'apprendre, en l'absence chez nous d'école de cinéma, quoiqu'on ne finit jamais vraiment d'apprendre dans ce beau métier.