L'Assemblée nationale française examine, depuis le 29 avril dernier, une nouvelle loi sur les archives. Ce texte amendé par le Sénat en janvier dernier, vise à durcir l'accès aux archives publiques et notamment aux dossiers de l'administration et de la police. Ainsi, les champs de recherche des historiens se trouveront considérablement amoindris, et l'accès aux sources de l'histoire menacé par le verrouillage de certaines informations essentielles à la compréhension de faits historiques. Ce projet de loi qui n'a pas manqué de provoquer un raz-de-marée de protestations chez les chercheurs et les historiens, prévoit l'allongement du délai de communication et de l'ouverture et réouverture des dossiers. Avançant l'argument de la durée de vie et la protection de la vie privée, les sénateurs ont, dans un amendement, rallongé les délais de communication des documents, qui devraient passer de 25 à 50 et 100 ans pour ceux qui pourraient porter atteinte à la sécurité et l'intégrité de la vie privée et 60 à 120 ou 150 ans pour les pièces mettant en cause la sûreté de l'Etat, les affaires judiciaires et les éléments patrimoniaux. Fixer les délais à ces barres-là, «conduirait inévitablement à la fermeture de nombreux dossiers ouverts depuis plus de 15 ans, dont ceux de la Seconde Guerre mondiale, Vichy, ou encore les dossiers de la Guerre d'Algérie», s'indignent nombre d'historiens et de chercheurs français. Initialement, ce texte de loi, modifiant une législation adoptée en 1979, visait à faciliter l'accès du public «aux sources de l'histoire», puisqu'il supprimait totalement le délai de 30 ans imposé jusque-là. Cependant, début janvier, les sénateurs ont voté plusieurs amendements qui modifiaient la teneur du projet de la loi sur les archives, et ont, au lieu de raccourcir les délais de communication des documents, les ont, en revanche, rallongé, de même qu'ils ont proposé de voter la création d'une catégorie d'archives «incommunicables», concernant la fabrication, l'utilisation et la localisation des armes de destruction massive, ainsi que la protection des agents spéciaux et de renseignements. «Créer des archives non communicables constitue une absurdité», s'indigne l'historienne Annette Wieviorka, directrice de recherche au Cnrs, «A quoi bon conserver des documents s'il est impossible d'y accéder ?», ajoute-t-elle. Pour Benjamin Stora, historien spécialiste de l'Algérie, les sénateurs ont cherché, par le biais de cette loi, à «protéger les territoires brûlants de l'histoire contemporaine» et à empêcher l'accès aux documents des périodes sensibles comme Vichy et la Guerre d'Algérie. Les archives sont le matériel de base de l'historien, et durcir leur accès ne fera qu'entraver leur travail et leur devoir de mémoire. «On nous parle sans cesse de devoir de mémoire, mais faut-il encore nous donner les moyens», dit Jean-Marc Berlière, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Bourgogne. Ce dernier redoute que les administrations qui transmettent leurs documents aux services d'archives décident, lorsque les délais de communication n'ont pas été atteints, des dérogations accordées aux chercheurs et surtout qu'elles ne se fassent qu'aux compte-gouttes. Pour Gilles Morin, président de l'Association des usagers des archives nationales, «sans les archives, on ne peut recourir qu'à des articles de presse, et des témoignages oraux», et de ce fait, ajoute-t-il «on laisse le champ libre aux fantasmes et à l'action des manipulateurs».