Depuis toujours, la notion de racisme existe: ce n'est pas une idée nouvelle, ni une dérive propre à une région ou culture. Une bataille sans fin est engagée au niveau international au sujet de la définition du racisme. L'enjeu est majeur, archi-politique. La tenue de la conférence de suivi de l'ONU contre le racisme, Durban II, prévue cette année 2009 est sujette à débats. Les Etats-Unis, Israël et le Canada vont peut-être boycotter la conférence. Devant les difficultés, l'Afrique du Sud, pays à la riche tradition de lutte contre le racisme, risque de renoncer à recevoir la conférence. Les observateurs et les groupes des Etats arabes et africains de l'ONU constatent l'absence de consensus. Genève, New-York, Paris et Vienne sont envisagés par certains pour prendre peut-être le relais. Des mouvements opposés aux revendications des pays du Sud espérant ainsi pouvoir peser sur l'organisation. En 2001, la majorité des Etats membres de l'ONU avaient tenté à Durban de réaffirmer que «le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale». Une telle résolution avait été votée en 1975 par l'Assemblée générale, mais elle avait été abrogée en 1991 pour encourager l'évolution de l'éphémère processus de Madrid. En 2001, à la première conférence de Durban I, après neuf jours de débats houleux et de surenchères, la conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance s'est achevée sur une déclaration finale et un plan d'action contre le racisme, obtenus à l'arraché, mais après le retrait des délégations américaine et israélienne pour protester contre la mise en cause d'Israël. Le Forum des ONG, parallèlement à la conférence, s'était terminé sur une déclaration contenant des passages controversés qualifiant Israël «d'Etat raciste» et l'accusant «d'actes de génocide», et dénoncés ensuite par plusieurs ONG, notamment Amnesty International, Human Rights Watch et la Fédération internationale des droits de l'homme. Cinq thèmes-clés composaient l'ordre du jour: 1. Sources, causes, formes et manifestations contemporaines du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée 2. Les victimes du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée. 3. Mesures en matière de prévention, d'éducation et de protection visant à éliminer, aux échelons national, régional et international, le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. 4. Recours utiles, voies de droit, réparation, mesures d'indemnisation 5. Stratégies visant à instaurer l'égalité intégrale et effective, notamment la coopération internationale et le renforcement des mécanismes mis en place par l'Organisation des Nations unies et autres mécanismes internationaux pour lutter contre le racisme. Droits des uns et des autres Deux sujets ont focalisé les débats de la conférence: le conflit israélo-palestinien et la question de l'esclavage et un thème anti-consensuel, inépuisable et polémique celui des indemnisations. Ainsi, la déclaration finale en forme de compromis fragile approuvée par les 161 pays représentés, mentionne la préoccupation des délégués sur «le sort du peuple palestinien vivant sous occupation étrangère» mais ne condamne pas Israël, à qui elle reconnaît «le droit à la sécurité» dans la région. L'esclavage et la traite, autre thème conflictuel de la conférence, sont qualifiés de «crime contre l'humanité», sans que la déclaration appelle à des excuses ou à des réparations financières. Aujourd'hui, après être apparu en relation avec la liberté d'expression et la religion, le thème de la discrimination sur la base de la religion semble faire son chemin dans l'agenda de l'éventuelle prochaine conférence de l'ONU sur le racisme. C'est celui qui a dominé une partie des discussions de la session du Conseil des droits de l'homme en ce printemps 2008. Les représentants de pays musulmans, à juste titre, ont introduit le thème de l'islamophobie, en relation avec la libre expression, la religion, et le racisme. Des pays occidentaux ont répliqué que la liberté d'expression ne devait pas être menacée par la diffamation des religions, qui est, soi-disant, prise en compte dans les législations civile et internationale. La question de la discrimination sur base religieuse, ont-ils ajouté, est couverte par le mandat actuel du Conseil sur la liberté de religion. Loin de se décourager, les délégués des pays musulmans et amis ont abordé le sujet dans le débat sur l'agenda de la conférence sur le racisme. Ils insistent pour dire que suite à la fin de la guerre froide et aux événements du 11 septembre 2001, la définition du racisme doit être revue pour inclure la xénophobie, le profilage racial et la discrimination religieuse. Dans son rapport annuel, l'expert des Nations unies sur le racisme a souligné «que le processus de révision de Durban devait être l'occasion d'une expression politique ferme de la part de la communauté internationale pour prendre la mesure de ces phénomènes». Le rapporteur a attiré l'attention sur «la gravité de la diffamation des religions, de l'antisémitisme et de la christianophobie et plus particulièrement de l'islamophobie». Cela a été perçu par des observateurs comme une tentative d'obtenir un plus grand soutien pour inclure la discrimination des religions dans la définition du racisme. Alors que l'augmentation alarmante des cas d'incitation à la haine raciale et religieuse, en particulier contre les musulmans est éclatante, certains ne veulent pas le reconnaître. Des puissances occidentales, alors que le racisme est une notion large, pour tenter de diviser les nations du Sud, considèrent qu'à trop insister sur la discrimination religieuse, on risque de détourner l'attention du coeur même du racisme. Le thème de la discrimination religieuse est un des aspects les plus aigus du racisme contemporain, il ne peut que figurer à l'ordre du jour de la conférence. Craignant de se retrouver encore une fois au banc des accusés, et rejetant les excès, bien réels, de certains régimes du Sud bien mal placés pour se présenter en juges, des puissances occidentales considèrent abusivement que cela risque de dégénérer en expression d'intolérance et d'anti-sémitisme. D'autres idéologues et courants xénophobes qui pratiquent l'islamophobie à ciel ouvert, en distillant les amalgames, affirment des contrevérités du genre: «contrairement à l'expression "racisme antimusulmans", qui vise bien le racisme envers des individus, le mot "islamophobie" désigne la phobie envers l'Islam au risque de disqualifier toute parole critique envers la religion ou l'intégrisme comme étant une forme de racisme.» Pourtant, la logique de ceux qui luttent pour dénoncer l'islamophobie se veut la même que celle qui dénonce tout aussi légitimement l'antisémitisme. Il faut bien arriver à un consensus mondial autour de l'universalité des droits des peuples et de l'homme, sortir des deux poids, deux mesures et tenir à distance les extrémistes de tous bords. C'est quoi le racisme? Le racisme est une théorie qui s'érige en doctrine monstrueuse. Le racisme est le fait de croire en la supériorité d'un groupe humain, et partant, de sa culture et religion. Défini comme une «race», ou une «civilisation» ce groupe serait supérieur à tous les autres, perçus comme des «barbares». Alors que souvent le barbare est celui qui croit à la barbarie. Le «racisme» est la haine d'un de ces groupes humains. Dans le langage courant, le terme «racisme» se rapporte le plus souvent à la xénophobie qui en est la manifestation la plus évidente. Depuis toujours, la notion de racisme existe: ce n'est pas une idée nouvelle, ni une dérive propre à une région ou culture. En effet, les Egyptiens antiques s'opposaient à ceux qui ne parlaient pas leur langue. Les Romains, eux, se sentaient supérieurs à leurs voisins, leur but était de les soumettre et d'envahir leurs territoires. Les Grecs appelaient barbares tous les étrangers et avaient un système sectaire de classes. Les Chinois anciens pratiquaient l'intolérance et s'interrogeaient sur le degré d'intelligence des navigateurs qui atteignaient leurs territoires. Des pouvoirs islamiques, en contradiction avec le Coran et la sunna, ont, d'antan, pratiqué parfois des formes d'esclavage. Au XVIe siècle, les Espagnols, les Portugais, les Hollandais, les Français, ont instauré le racisme colonial. Ils comparaient les autochtones américains ou africains à des animaux ou une sous-humanité. Ils les spolièrent, les obligèrent à les servir, en les violentant. La colonisation européenne a pratiqué des génocides et des massacres, en niant la dignité et l'identité des peuples. En 1865, l'esclavage fut aboli aux Etats-Unis. Mais dès 1875, naissent dans plusieurs Etats américains des lois imposant la séparation, selon les races, prônant la discrimination, interdisant les mariages mixtes. Dès le XIXe siècle, apparaissent des mouvements extrémistes violents comme le Ku Klux Klan. Plus encore, l'Europe a accouché d'un système raciste durant la Seconde Guerre mondiale, le fascisme, le nazisme, qui a pratiqué l'innommable dont les juifs ont été les principales victimes. Aujourd'hui, il y a une concurrence des mémoires et de la victimisation, qu'il faut apaiser. On constate l'exploitation de ces situations. Il y a lieu de se tourner vers l'avenir, sortir des ressentiments sans fin et oeuvrer pour que la condition de «colonisabité» ne se renouvelle plus. Car si rien ne peut vraiment réparer l'histoire, ce qui doit être tenu en vue, c'est le fait que les peuples meurtris exigent une reconnaissance de leur malheur, non pas pour se venger, ou en tirer un bénéfice, ou par subjectivité, mais afin de s'assurer que cela ne se renouvellera pas. D'autant que les politiques sages n'ont jamais confondu entre régimes et peuples. Personne ne peut nier qu'après la Seconde Guerre mondiale, par delà l'hétérogénéité des contextes, un certain nombre de pays du Sud a particulièrement souffert d'agressions, de massacres et de privations. Hier, comme l'Algérie avec un million et demi de martyrs après 132 ans de colonisation de peuplement, la Palestine, depuis 60 ans jusqu'à ce jour, et l'Irak depuis 5 ans, avec plus d'un million de victimes en sont des exemples majeurs. Comment des puissances occidentales, dont il est prétendu, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et plus encore après la fin de la guerre froide, qu'elles sont les symboles de la liberté et du droit, pratiquent ou soutiennent le racisme, les discriminations et laissent faire ou commettent les pires crimes de guerre? D'un autre côté, certains s'interrogent: Comment est-ce que des sociétés musulmanes, censées être le lieu de la communauté du juste milieu enfantent-elles dans certaines conditions le fanatisme et l'extrémisme? Même si rien ne peut justifier les dérives, la réponse: la question est plus liée aux contradictions de notre époque, aux manipulations et à la politique politicienne qu'a la religion. Les musulmans furent et sont toujours, dans leur immense majorité, au moins, aussi tolérants que les humanistes, les juifs ouverts et les chrétiens ouverts. On trouve l'amour de Dieu et de son prochain non seulement dans la Bible, mais aussi dans le Coran, comme commandement central. L'hospitalité et le respect de la différence sont parmi les marques des sociétés musulmanes de manière générale, même si, selon les circonstances, des contradictions, des crispations et des difficultés sont observables, cela n'est pas coranique. La politique de l'Occident par rapport au monde musulman se caractérise par une ignorance des faits les plus simples. La nécessité du moment s'appelle l'art de diriger l'Etat et contribuer au rapprochement entre les peuples, et non pas celui de s'inventer des ennemis et de mener des campagnes de revanche ou de guerres. En décembre 2007, l'Assemblée générale des Nations unies a agréé un budget de 4,17 milliards de dollars pour 2008-2009, votant à 142 contre 2, Etats-Unis et Israël, le budget pour deux ans. Ils ont voté contre ce budget, selon certains observateurs, parce qu'il prévoit des fonds pour la suite de la conférence sur le racisme. Sujet devenu un enjeu des relations internationales. Le dialogue et la négociation, sans surenchère ni excès, sont à même de faciliter un consensus. Le respect de l'autre et le vivre ensemble sont incontournables. Mais il n'y a pas de paix sans justice. (*) Professeur des Universités Site www.mustapha-cherif.net