L'expression: La jeunesse est une composante de la société qui a des problèmes multiformes, c'est pourquoi dans votre conférence de presse de mardi dernier vous évoquiez l'intersectorialité. Concrètement cela va se passer comment sur le terrain? Hachemi Djiar: Effectivement, le dossier est très complexe. Il a des ramifications nombreuses et des implications multiples à la fois économiques, culturelles et sociales. C'est-à-dire tout ce qui a trait à l'être humain en général et au jeune en particulier. La prise en charge devra se faire par un diagnostic, une analyse, et un mode opératoire. Cela veut dire que ce n'est pas seulement un dossier sectoriel mais un dossier de société. Celui de la société algérienne. Chacun sait que la société algérienne est composée majoritairement de la jeunesse. Face à ce problème, qu'est-ce qui a été fait par le passé et qu'est-ce qu'il y a lieu de faire maintenant? Il faut distinguer trois phases. La première est celle qui va de l'Indépendance à l'année 1998.Période au cours de laquelle l'Etat a entrepris des réalisations au profit de la jeunesse dans différents domaines. Personne ne peut nier les réalisations telle que la généralisation de l'enseignement par exemple. Si l'Etat n'avait pas fourni les efforts nécessaires, peu d'entre nous auraient eu accès à l'école, l'Etat a donc construit des écoles. Il a également construit des hôpitaux. Il a instauré la médecine gratuite. Il a construit des stades. Des universités, des centres de formation professionnelle, des établissements pour la jeunesse, des centres de protection maternelle et infantile, etc. Aucune personne ne peut dire, objectivement, que l'Etat algérien s'est désintéressé, à quelque moment que ce soit, de sa jeunesse. Monsieur le Ministre, si vous permettez, tout ce que vous venez de dire de cette phase est vrai, sauf que le développement a créé de nouveaux besoins que les jeunes n'ont pas eus. Je cite, par exemple, le logement, les loisirs... Il ne faut pas oublier, non plus, les différentes crises traversées par le pays. La première étant due à la colonisation. En 1962, le pays était exsangue. Nous étions jeunes et on s'en souvient. Pour les jeunes d'aujourd'hui, c'est plutôt vague. Ils ne s'imaginent pas que l'Algérie est partie de rien en 1962. A l'époque donc, il fallait dégager des priorités et le choix qui a été fait est un choix très judicieux puisque il s'agissait d'investir dans les ressources humaines. L'Algérie indépendante a ouvert l'Ecole et l'Université à tous les enfants du peuple. Evidemment, que tout ne pouvait pas être fait. Ajoutons à cela qu'entre 1962 et 1998, la démographie a galopé. Si elle avait été plus stable, tout aurait été plus facile. La croissance démographique dans notre pays durant les années 60, 70 et 80 était l'une des plus élevées au monde. Donc, forcément, cela ne pouvait déboucher que sur une crise du logement. Il faut ajouter à cela la crise financière du milieu des années 80 qui a affaibli l'Etat. Les besoins sociaux étant devenus très importants ont conduit à la crise que notre pays a vécue entre 88 et 90, avec toutes ses conséquences dont la tragédie nationale. Tout ceci fait partie de notre histoire et cela, quels que soient nos convictions personnelles ou notre courant politique. Ce sont des faits que les historiens citeront de manière objective. Ensuite, est survenue la tragédie nationale dans les années 90 qui a balayé tous les efforts consentis depuis 1962. En 1999, lorsque le Président Abdelaziz Bouteflika a été élu, il a hérité de tout l'effort de développement qui a été entrepris depuis l'Indépendance, telles les infrastructures, les écoles...mais en même temps, il a hérité aussi des retombées de la tragédie nationale. Il fallait donc trouver des solutions. La plus importante d'entre ces solutions est la paix. Sans elle, rien n'est possible. Cependant, la paix a un prix. On ne peut contenter les uns sans mécontenter les autres. Le Président a eu le courage de prendre le taureau par les cornes pour dire que c'est là un choix stratégique et que nous n'avons pas d'autre choix que la réconciliation nationale et la concorde civile. Et donc il y a eu des processus de redressement et de reconstruction qui ont été amorcés, au cours desquels la jeunesse est restée prioritaire, puisque depuis 1999 à ce jour, il a été fait pour la jeunesse, il faut le souligner, beaucoup plus que ce qui a été fait au cours des 36 ans qui ont suivi l'Indépendance. Ce sont là des statistiques que tout le monde peut consulter. Dans quels secteurs précisément? Dans le secteur de l'éducation nationale, par exemple, en 1962 il y avait 46 lycées, aujourd'hui on a 1600 lycées. Dans le secteur de la formation professionnelle, celui de l'enseignement supérieur, dans celui du logement dont, on peut dire, aujourd'hui, que la crise est maîtrisée, pas à 100%, mais elle est beaucoup moins aiguë. Aujourd'hui, tout Algérien peut espérer avoir un logement. L'espoir est là. Le programme du million de logements en cours de réalisation est palpable, et j'en passe. Dans le domaine du sport, autre exemple, il y a un effort colossal qui est fait depuis 2000, en termes financiers, en termes d'infrastructure. Donc sur le plan quantitatif, depuis l'Indépendance à ce jour, et surtout pour le souligner, depuis 1999. L'Etat algérien a fait beaucoup de choses au cours de la présente décennie, et j'insiste sur cela parce que le pays était en ruine et les efforts qui ont été déployés durant ces années on été exceptionnels. On ne peut pas les nier. Aujourd'hui, vous avez l'électricité dans tous les foyers, de l'eau aussi, des piscines publiques, des stades et même de très beaux complexes qu'on trouve partout et pas seulement dans les grandes villes. Nous avons une jeunesse extraordinaire, je suis très admiratif et très optimiste par les qualités de nos jeunes que j'ai rencontrés lors de mes multiples déplacements à l'intérieur du pays. Notre jeunesse ce n'est pas seulement de la délinquance, la violence ou les harragas. Ces phénomènes existent bien sûr et il faut les traiter. Mais leur nombre n'est pas représentatif de l'ensemble de la jeunesse algérienne. Les jeunes Algériens ne sont pas tous des drogués, toute la jeunesse algérienne n'est pas harraga. Les harragas sont peut-être 3 ou 4000, qu'il ne faut pas négliger, mais il ne faut pas dire non plus que c'est ça la jeunesse algérienne, globalement la jeunesse algérienne est saine. J'insiste pour le dire, notre jeunesse est saine. L'Algérie a capitalisé une expérience très intéressante, elle a réalisé beaucoup sur le plan quantitatif. Aujourd'hui le problème qui se pose pour nous, c'est comment s'occuper de l'aspect qualitatif, et comment mieux rentabiliser tout ce qui a été fait pour essayer de faire plus de qualité. C'est cela la problématique de ce dossier jeunesse. Comment résoudre cette problématique? Il faut d'abord promouvoir l'intersectorialité. Cela veut dire que dans le passé, le champ de l'activité sociale était divisé. C'est une approche fragmentée. Il nous faut quelquefois retourner à nos traditions. Quand on construisait les maisons, on avait recours à la touiza. En termes simples, nous devons faire une touiza nationale en faveur de la jeunesse. Tous les acteurs institutionnels, les acteurs gouvernementaux et les acteurs de la société civile, y compris la presse, quelle que soit notre couleur politique ou notre sensibilité, tous doivent se donner la main. Ce qui est à promouvoir, c'est la touiza nationale pour la jeunesse. Mais M. le Ministre, quel est le moyen incitatif, parce que, en théorie c'est bien, mais les institutions, pour qu'il y ait cette intersectorialité au moins au niveau institutionnel, il faut qu'il y ait des mécanismes. Par exemple, il y a les Conseils interministériels, c'est ponctuel, mais là c'est une politique pour la jeunesse qui suppose une constante? C'est cela justement le but du dossier qui a été présenté au Conseil du gouvernement. Ce dossier se divise en trois parties. Il faut d'abord poser le cadre méthodologique, trouver la méthode, comment faire, comment procéder. Il faut trouver le cadre normatif, ensuite le cadre opérationnel et ensuite comment agir. Le cadre méthodologique est déjà tracé. C'est-à-dire que chaque secteur affiche, de manière explicite, la dimension jeunesse dans sa stratégie. D'une manière ou d'une autre, chaque secteur, dans ses prérogatives, a certainement quelque chose qui concerne la jeunesse et qu'il doit mettre en valeur; il doit désigner un responsable qui s'en occupera et qui va suivre et évaluer les dossiers. La dimension jeunesse doit être affichée clairement dans les différents secteurs concernés. Cela pour les acteurs gouvernementaux. Concernant les acteurs de la société civile, les associations, il faut qu'elles participent, aussi bien a l'élaboration qu'à la mise en oeuvre de cette politique et puis, vous avez les autres acteurs dont la famille, etc. Pour résoudre ce premier problème, il y a eu trois rapports qui ont été élaborés. Un rapport initial qui a été examiné et fait l'objet d'un débat lors de la rencontre gouvernement-walis décidée par le Président de la République. Après ce premier rapport, il fallait associer les jeunes, même s'ils étaient représentés lors de cette rencontre. Il fallait les associer. J'ai organisé 6 rencontres régionales dans différentes wilayas. J'ai organisé des débats avec les jeunes sur la problématique juvénile. On a ouvert un débat à la fin duquel des recommandations ont été faites. Des dossiers ont été ouverts. La deuxième démarche est la démarche opérationnelle. Il s'agissait d'identifier l'ensemble des préoccupations des jeunes et les traduire en objectifs. Dans le domaine de l'emploi, du logement, des activités culturelles, des activités de jeunesse, de la santé, des problèmes de la violence. Tout un inventaire qui va servir de réservoir à tous les opérateurs pour puiser ce qui les concerne dans leur domaine de compétence, Le troisième volet, c'est comment agir. C'est le plan d'action. Nous avons ainsi élaboré notre plan d'action avec les lignes directrices, les axes stratégiques et les actions concrètes qu'il faut mener sur une période quinquennale. C'est-à-dire que nous sommes dans une démarche d'une consolidation de l'acquis, parce qu'il y a des acquis dans le pays qu'on ne peut pas nier. On ne doit pas déprécier ce qu'a fait notre pays pour sa jeunesse. Il est vrai qu'il y a des insuffisances. Cela, personne ne le nie. Et s'il n'y avait pas d'insuffisances le président de la République n'aurait jamais décidé d'ouvrir ce dossier. Le but de tout cela est de prendre tout ce qui est positif de l'expérience passée et le renforcer, corriger tout ce qui peut paraître négatif parce qu'aucune entreprise humaine n'est parfaite. Ensuite, on entre dans une deuxième phase qui est celle de comment consolider l'acquis. Pour cela, deux choses: il faut poursuivre l'aspect quantitatif et continuer à construire des infrastructures, des stades, des piscines, des établissements de jeunes, etc. et aller en parallèle vers le qualitatif. On est dans une démarche de qualité en agissant sur le mode opératoire et parmi les vecteurs de la qualité il y a l'intersectorialité. Pour conclure, dans cette intersectorialité, il y a 3 aspects: En premier lieu, ce que doit faire chaque ministère séparément dans son domaine en direction de la jeunesse. Deuxièmement, ce que doivent faire les collectivités locales dans le domaine des compétences pour la jeunesse, et ce qu'on doit tous faire ensemble dans un cadre gouvernemental. C'est-à-dire comment relier les actions menées séparément par les uns et les autres dans une stratégie globale et cohérente. Par exemple, on veut relancer le sport scolaire, qui va s'en occuper? Nous le ferons ensemble. Le ministère de l'Education a un certain nombre de moyens qu'il va mettre à la disposition de ce projet et ce qu'il n'a pas, c'est le ministère de la Jeunesse et des Sports qui va le compléter, comme donner l'encadrement, ou fournir les infrastructures comme les stades... Mais qui en sera le chef d'orchestre? Pour mettre en musique tout cela, on a proposé de mettre en place une structure interministérielle permanente pour garantir la cohérence au niveau du comité interministériel chargé du suivi. Au niveau du ministère de la Jeunesse et des Sports, il va y avoir un comité permanent représentant les différents ministères pour préparer et suivre les dossiers de la Commission interministérielle. Au niveau des collectivités locales, il va y avoir un comité, sous la présidence du gouvernement. Voilà l'ensemble du dispositif. C'est là que commence le travail le plus dur. C'est un processus qu'on lance et qui ne peut donner ses résultats qu'au bout de quelques mois, voire de quelques années. C'est un processus qu'il faut mettre en place et ancrer dans les esprits par un travail d'équipe pour améliorer ce qui existe. Pour conclure, énormément de choses ont été faites depuis l'Indépendance, et cela ne s'arrêtera pas. Aujourd'hui, il faut, en plus, agir sur la qualité pour faire avancer les choses. Les problèmes de la jeunesse, au-delà de toutes les infrastructures, matériels et moyens financiers, comportent un aspect moral qu'on appelle communément «la mal-vie». Je veux parler des loisirs. En ce moment, la jeunesse n'est pas gâtée de ce côté-là. A la place, elle souffre de l'oisiveté. Il y a le loisir et les loisirs. Le loisir c'est du temps libre. Tout le monde a un temps libre qu'il doit meubler à sa manière; certains préfèrent dormir, d'autres faire du sport, de la marche, lire, voyager. Quant aux loisirs, c'est organisé, comme les activité culturelles ou les activités féminine, dans les Maisons de jeunes. Donc, pour les loisirs, il faut effectivement développer des programmes. Et cela fait partie des préoccupations et de l'aspect qualitatif inscrits dans notre démarche. On veut promouvoir le loisir sain, comme des voyages organisés, pour faire découvrir aux jeunes Algériens leur pays.