Dans une démocratie digne de ce nom, un ministre tombe pour beaucoup moins que cela. Les drames des centres pénitentiaires algériens n'en finissent pas de défrayer la chronique. En dépit des visites effectuées dans ces centres par une délégation de la Croix-Rouge internationale et des promesses faites en vue d'améliorer le vécu des détenus, la situation y est encore affectée de précarité. Moins de deux mois après le drame de la prison de Chelghoum Laïd où 22 personnes avaient trouvé la mort, ainsi que celui de Mostaganem, un autre drame vient de se produire à Alger dans des circonstances quasi similaires. Si au mois de février dernier, c'est le directeur de la prison de Constantine qui servit de lampiste, cette fois-ci l'administration aura fort à faire pour expliquer les raisons qui ont conduit à l'incendie qui s'est déclaré dans une prison à Alger et comment prévenir de tels événements. Pour celui qui s'est déclaré hier, seule une instruction judiciaire a été ordonnée, qui débouchera forcément sur de vagues conclusions, mettant en avant la responsabilité pleine et entière de quelques détenus ainsi que celle des préposés à la surveillance et à la sécurité du site. Des lampistes, comme toujours, payeront pour un crime dans lequel ils n'ont pas grand-chose à voir. Elle ne prendra peut-être pas la peine de se pencher sur les résultats demeurés sans suite de la commission de réforme de la justice, ni même sur le trop maigre budget alloué aux prisons en Algérie. Une centaine de prisons parmi les 140 centres de détention que compte le pays sont vieilles de plus d'un siècle et tombent littéralement en ruine. Aucune politique visant à améliorer les conditions de détention, à réduire la promiscuité, à revoir à la hausse les conditions de sécurité, et même à accorder un peu plus de dignité aux détenus afin qu'ils ne recourent plus à ce genres d'actes terribles et désespérés. Pour la petite histoire, il conviendrait de rappeler que la première démission d'un ministre dans l'histoire de l'Algérie, était celle d'un ministre de la Justice. C'est l'actuel chef de gouvernement, Ali Benflis, qui avait quitté l'équipe menée à l'époque par Sid-Ahmed Ghozali en signe de tonitruante protestation contre l'absence d'indépendance de la justice. Ouyahia, déjà mis à mal par la fronde au sein de son parti à quelques encablures des législatives, aura à gérer cette autre crise qui, il faut le croire, ne laissera pas de l'affaiblir plus encore en une phase aussi cruciale de sa carrière politique et institutionnelle. Cela est d'autant plus vrai que ces affaires ne peuvent être dissociées de la grève de la faim, qui menace de se terminer mal, des détenus en Kabylie, résolus à ne pas s'arrêter tant qu'ils ne seront pas libérés et que leur statut de détenus d'opinion ne leur sera pas reconnu. Cherchant, coûte que coûte, à endiguer cette grave crise, Ouyahia a accordé, en urgence, un entretien à la Chaîne I dans lequel il a appelé les familles des détenus à sensibiliser leurs enfants contre le phénomène du suicide. Pas un mot, cependant, ne sera soulevé par rapport aux raisons qui poussent de plus en plus de prisonniers à recourir à cette méthode de délivrance ultime... Pour diminuer de sa responsabilité, Ouyahia a ajouté qu'à la suite du drame de Constantine, des mesures d'urgence avaient été prises telles que l'interdiction des allumettes et des briquets, le changement des literies, la mise en place de matériels de lutte contre les incendies et même la construction de nouveaux centres de détention afin de réduire la promiscuité, source de la plupart de ces maux... Il faut croire que toutes ces mesures ont été insuffisantes, à moins que l'incident de Serkadji n'ait été plus ou moins provoqué et ne soit, en quelque sorte, lié aux émeutes qui se déroulent en parallèle un peu partout dans le pays.