Aller au plus profond des choses, est l'essence même du métier de journaliste. On reproche trop souvent à la presse de braquer ses projecteurs sur l'exceptionnel, l'anormal, voire le marginal, et de laisser exprès dans l'ombre tout ce qui est sain et qui donnerait de la vie une image plus optimiste. De là à accuser la presse, ou les moyens d'information, de fabriquer, sinon de provoquer les mauvaises nouvelles, il n'y a qu'un entrefilet. L'ennui, c'est que le proverbe «pas de nouvelles, bonnes nouvelles» peut aisément se retourner comme un gant pour meubler l'actualité. On peut être tenté de monter des informations, somme toute banales, qui de là au conditionnement, au bourrage de crâne, à l'anesthésie du peuple, il n' y a qu'un éditorial. Et puis, il n'y a de bonnes nouvelles qui sont finalement mauvaises. Alors, il faut décidément encourager la formation d'anticorps, car il vaut mieux un lecteur qui réagit qu'un citoyen flegmatique. Ce qui nous touche le plus, ce sont toujours l'événement, l'insolite, l'extraordinaire. Les petits villages ignorés auparavant ne se mettent à exister que lorsqu'il s'y produit un massacre. C'est comme pour les trains, ils ne se mettent à exister que lorsqu'ils déraillent ; les avions n'accèdent à l'actualité que lorsqu'ils sont détournés; la voiture n'a pour unique destin que d'écraser les piétons. Tant de morts, tant de blessés, tout au long de l'année, et tant mieux ou tant pis, c'est selon, pour l'information si les chiffres ne cessent d'augmenter. Il faut qu'il y ait derrière l'événement un scandale, un danger, comme si la vie ne devait se révéler qu'à travers le spectaculaire, comme si le parlé, le significatif était toujours anormal. Cataclysmes naturels, bouleversements historiques, conflits sociaux, scandales politiques. Dans notre excès à mesurer l'historique, le révélateur, ne laissons-nous pas de côté l'essentiel? Le scandale n'est pas seulement le grisou de Genzet, c'est le travail au noir des enfants qui mendient, les gens qui se suicident faute d'emploi. Les malaises sociaux ne sont pas uniquement préoccupants en période électorale, ils sont intolérables tout le temps. Les inondations, les immeubles qui s'écroulent, le licenciement, ça c'est horrible! Mais où est le scandale? Un journal ne nous a-t-il pas dit: «Soyez-en rassurés, vous voyez bien que la vie existe, avec ses hauts et ses bas, vous voyez bien qu'il se passe des choses?» Les journaux parlent de tout sauf du quotidien. Les journaux ennuient, n'apportent rien. Ce qu'ils racontent ne concerne personne, n'interroge et ne répond pas davantage aux questions que se pose, ou voudrait se poser, le commun des mortels. Ce qui se passe vraiment, ce qui se vit, le reste où est-il? Interroger l'habituel? Mais justement, nous y sommes habitués. Nous ne l'interrogeons pas ni lui d'ailleurs; nous le vivons sans y penser, comme s'il n'était porteur d'aucune information. Ce n'est même pas du conditionnement, c'est de l'anesthésie. Nous dormons notre vie d'un sommeil sans rêves. Mais où est notre vie? Où est notre espace? Posons-nous des questions. Faisons l'inventaire de nos poches, interrogeons-nous sur la provenance, l'usage et le devenir de chacun des objets. Il importe peu que ces questions soient fragmentaires. Il importe beaucoup plus qu'elles soient triviales et futiles. C'est autant d'autres au travers desquelles nous devons vraiment tenter de capter notre vérité.