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AMINA BELOUIZDAD. Première speakerine de la TV algérienne
Figure d'antan « La télé a beaucoup changé »
Publié dans El Watan le 12 - 08 - 2004

« à cœur vaillant, rien d'impossible ». Vingt-huit octobre 1962. 18h. Principal studio de la Télévision algérienne.
L'ambiance est fébrile et le moment solennel. Une jeune femme, bien dans sa peau, va annoncer à l'antenne la naissance de la jeune République algérienne démocratique et populaire. Instants d'intenses émotions parmi la poignée de techniciens algériens qui ont su continuer à faire marcher la « maison » qui va relever, désormais, de la seule souveraineté algérienne. « C'étaient des moments forts, qu'on ne peut décrire », se souvient Amina Belouizdad à qui, échut l'honneur d'annoncer l'historique nouvelle. Elle avait derrière elle, quelques mois de télévision qui l'ont aidée à surmonter la peur. Elle a mis à contributiion son expérience, acquise à l'ORTF qu'elle intégra en 1958. Son baptême de feu, elle s'en rappelle parfaitement. « J'avoue que j'ai commencé à travailler par nécessité. J'avais 3 enfants. Mon mari était fonctionnaire. Mes enfants grandissaient, leurs besoins aussi. Il fallait donc se mettre au boulot pour aider ma famille. Je n'avais aucune formation. J'étais une mère de famille dont l'ancrage traditionnel est connu, où les femmes ne travaillent pas, encore moins dans un milieu artistique comme la télévision. Cela a défrayé la chronique dans le cercle familial mais j'avais de mon côté, mon époux qui était d'accord et mon frère aîné. J'ai donc, commencé à exercer. A l'époque, l'ORTF demandait une télespeakrine bilingue. Je me suis présentée. On m'a fait subir des tests qui ont duré trois mois d'affilée. Je venais tous les jours avec un programme préparé, comme si je devais passer à l'antenne. J'étais maquillée, coiffée et je présentais le programme en étant filmée. Le film m'était projeté ensuite, pour corriger mes défauts. Je n'avais aucune formation. Je ne savais même pas en quoi consistait ce travail. Je n'avais même pas de téléviseur à la maison. » Et notre enfant de la télé de poursuivre. « J'avais la chance d'être bilingue. J'ai fait l'école française et parallèlement vu que je venais d'un milieu arabisant, mes parents tenaient absolumenet à ce que je fréquente les medersa libres. Tous les week end j'allais apprendre le Coran, et quelques notions de grammaire. Cela a été une base et petit à petit, je me suis formée avec l'aide de personnes que j'ai rencontrées à la télévision, et qui m'ont bien accueillie. D'ailleurs, je les en remercie vivement, je peux citer Si Abdelkader El Haouari, Si Ahmed Tadlaoui, Si Athmane Amer, El Hachemi Chérif, aussi qui était script à l'époque. Sid Ali Baba Amar, Nacerdine El Acimi... C'est grâce à eux, que j'ai pu accomplir ce travail très correctement ».
« LES ANCIENS M'ONT BEAUCOUP APPRIS »
Après l'indépendance, Amina s'imposa comme l'animatrice vedette, bien qu'elle refute ce qualificatif. Disons qu'elle était sans rivale et forcément toute l'attention était braquée sur elle. Elle préfère qu'on l'affuble du qualificatif de « personnage familier » dès lors qu'elle pénètre les foyers chaque soir. « C'était un plaisir pour moi. On m'avait appris à être disctète, correcte dans ma manière de m'habiller, d'être simple. J'ai subi une excellente formation à l'ORTF. J'ai eu cette chance, que n'ont pas les animatrices actuelles, car les gens qui les ont formées, ne leur ont pas inculqué toutes les qualités que j'ai citées. » Figure emblématique du petit ecran, Amina s'identifia à la petite lucarne a telle enseigne qu'elle y mit tout son cœur, toute son énergie. D'autres, la remplacèrent lorsqu'elle fut contrainte au départ. Le regard de la spécialiste sur celles qui lui ont succédé, est sans équivoque. « Il y en a beaucoup, après moi, dont certaines n'y ont pas fait de vieux os. Il y a des filles, qui sortaient fraîches émoulues de l'université et qui pensaient que leur diplôme, suffisait pour faire de la télévision. Il fallait aussi avoir une excellente culture générale, ce que j'ai acquis au fil de ma carrière. J'étais obligée, car je n'avais aucune formation ni artistique, ni télévisuelle. » Quant au retrait pur et simple des speakerines à travers pratiquement toutes les télés du monde, Amina le juge inapproprié. « Je pense que la speakerine est un trait d'union entre ce qui est passé et ce qui va venir. Elle est là pour attirer l'attention du téléspectateur afin de l'amener à s'intéresser à la suite du programme. Là, on passe d'une émission à une autre, sans aucune transition. Je ne trouve pas cela agréable. » Comme elle l'a signalée, la force d'Amina réside dans sa capacité de maîtriser les deux langues arabe et français. Il lui arrivait souvent de passer de l'une à l'autre, sans encombres avec un accent particulier qui plaisait. « Le jour où on nous a dit, le français, c'est fini, j'étais fin prête à présenter dans la langue nationale avec la même finesse et la même facilité. »
Elle souhaitait faire autre chose
Puis, la doyenne de nos speakerines a appris à cohabiter avec de nouvelles têtes, auxquelles elle transmettait ses connaissances, sans parcimonie jusqu'au jour où elle a commencé à se lasser de cette profession. Elle souhaitait faire autre chose. « La production ce n'est pas donné à tout le monde d'en faire. Ce n'est pas un robinet qu'on ouvre pour que les œuvres commencent à couler à flots. Il y a des gens qui produisent et qui ne savent pas présenter leur produit. Il y a en revanche d'autres qui sont faits pour présenter les produits des autres. Je n'avais peut-être pas de dispositions pour la production. J'avais souhaité rester, mais il y a un directeur qui a décidé qu'il fallait changer de speakerines. Cela a été fait comme ça brutalement, sans aucune considération pour notre passé. Nous n'avons même pas été invitées à une collation d'adieu. On m'a carrément signifié que je devais quitter l'antenne, le jour même où je devais passer. Imaginez le choc ». Amina a accusé le coup. Mais avec philosophie, elle n'en a pas fait un drame, même si la douleur est profonde. Ne dit-on pas que les grandes douleurs sont muettes. « Le procédé était inélégant », dit-elle avec regret, sinon elle était soulagée. « C'est comme quelque chose que vous aimez beaucoup, et que vous n'avez pas le courage de quitter. Et il y a des gens qui prennent des décisions pour vous. En quelque sorte cela vous soulage. On m'a mutée à la radio où j'étais accueillie par le directeur de l'époque, que je remercie infiniment, en l'occurrence M. Aldelkader Nour. Il m'avait dit textuellement à l'époque. « Madame, je ne peux pas obliger une personne comme vous à faire n'importe quoi. Choisissez où vous voulez aller et avec qui vous voulez travailler. Juste à ce moment-là la porte s'ouvre et Faouzi, alors chef de département de la production et de la programmation en langue arabe, fait son apparition. J'avais d'excellentes relations avec Faouzi alors, j'ai dit que j'aimerais travailler avec lui et c'est parti comme ça pour une autre aventure. J'ai gravi les échelons pour devenir, à mon tour, chef de département. C'est à ce titre que je suis à la retraite. » Amina ne regrette nullement son passage à la radio où, dit-elle, elle a appris beaucoup de choses, dans une excellente ambiance, entourée d'amis. Cela a été une excellente expérience, avoue-t-elle. Quant à la télé qui l'a fait connaître du grand public, Amina persiste à dire sans rancune aucune que « c'est une école, où vous avez la possibilité de gagner votre vie, tout en évoluant, en vous cultivant. » Lorsqu'on évoque, la télévision actuelle, elle marque sa déception : « Après l'indépendance, les moyens étaient limités. Malgré cela, on a fait d'excellentes choses. Regardez le feuilleton de Dar S'bitar, Les vacances de l'inspecteur Tahar, qui restent des classiques en noir et blanc. Actuellement, les moyens sont immenses. Je ne sais pas ce qui se passe, je ne sais pas pourquoi la télévision stagne. C'est vraiment dommage, car on pourrait faire énormément de choses ». « A notre époque, on apprenait les textes par cœur, la veille du passage, en se regardant dans une glace. Aussi, face à la caméra, et en direct, il nous arrivait rarement de flancher. Aujourd'hui, les choses ont évolué. Même avec le téléprompteur, certaines présentatrices bafouillent... C'est vous dire ». Son expérience à elle, par exemple, n'a jamais été mise à l'épreuve. Elle aurait pu faire une reconversion intéressante vu ses compétences et son talent. Il n'en a rien été. Pourquoi ? « On ne me l'a pas demandé, tranche-t-elle. On n'a pas fait appel à moi et puis j'ai mon amour-propre. Je ne vais pas moi, quémander un quelconque service. On m'aurait demandé de former des speakerines, je l'aurais fait avec beaucoup de plaisir. Comme on ne m'a pas sollicitée, je suis restée tranquille dans mon coin où je me trouvais très bien ». Cela ne l'empêche pas d'être une référence en la matière, et de tenir toujours son rôle, dans l'imaginaire populaire.
« C'est quand même agréable de voir que les gens se souviennent encore de vous »
Malgré son éclipse, il lui arrive souvent d'être reconnue dans la rue. « C'est quand même agréable de voir que les gens se souviennent encore de vous. Cela me fait énormément plaisir de voir qu'on ne m'a pas oubliée. J'ai toujours été accueillie partout avec joie. Cela fait chaud au cœur ». Djamel, son fils aîné, a-t-il bien supporté les absences de sa mère prisonnière d'un métier passionnant mais contraignant. « Globalement, on n'a pas eu à trop se plaindre. La notoriété de ma mère n'a pas déteint sur notre vie. Ma mère est très dirigiste. Quand elle a pris sa retraite, on avait déjà grandi. C'est à nous de prendre la relève et de nous occuper d'elle. C'est ce qu'on fait. » Amina intervient pour dire qu'« elle a la chance d'avoir trois fils qui lui ont donné beaucoup de satisfactions, brillants dans leurs études depuis le lycée El Mokrani. Leur réussite est la mienne et je suis très fière de le dire ». Dernièrement, elle a été honorée par l'Association 3e millénaire présidée par Sid Ali Bensalem qu'elle félicite pour tous les efforts fournis, de même qu'elle adresse un message fort à Khalida Toumi, la première ministre à faire un geste envers tous les anciens qu'elle a sortis de l'ombre et de l'oubli. Le dernier mot ? On le laisse à notre ami Sid Ali Hattabi, ancien journaliste qui a longtemps côtoyé Amina à la télévision. Pour lui, il n'y a pas de doute : « C'est la diva de la télé algérienne, dame de culture, de bonne famille, elle a su briser les méchants tabous de l'époque, en portant haut l'image de la télévision. Sincèrement, depuis, personne n'a pu la remplacer. » Comme bel hommage, on ne peut dire mieux...


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