Youcef Dris est l'auteur d'une biographie sur El Hachemi Guerrouabi, dont on commémore le deuxième anniversaire de la disparition. Il est également romancier, poète et nouvelliste. Originaire de la Haute-Ville de Tizi Ouzou, il vit à Oran depuis dix ans où il continue l'écriture avec une rare passion. Dans cet entretien, il parle de Guerrouabi dont il est le neveu, mais aussi des raisons qui le poussent à écrire L'Expression: Votre dernier livre est une biographie du géant du chaâbi, El Hachemi Guerrouabi. Comment est née l'idée d'écrire ce livre? Youcef Dris: En réalité, ce n'est qu'un survol de la vie et l'oeuvre de cet artiste à l'immense talent, car pour une biographie du maître, il faudrait bien plus qu'un livre d'une centaine de pages. Dans notre famille, le châabi et les Dris, c'est fusionnel. Ecrire sur Guerrouabi qui n'est pas un étranger pour moi, était chose aisée. et habituelle, puisque j'ai eu à évoquer le génie de cet auteur compositeur interprète qui a si bien sublimé le genre, en différentes occasions par des écrits dans la presse, et ce, depuis les années 70. J'ai tenu à lui rendre hommage de son vivant en lui suggérant en 2004 de lui consacrer un livre. Bien qu'il ait toujours refusé que l'on parle de lui dans les médias, par humilité, il a acquiescé. Guerrouabi était-il d'accord pour sa publication? L'idée ne lui avait pas déplu, et lorsque quelques jours plus tard, je lui ai montré le manuscrit que j'avais préparé, il a donné son assentiment après avoir apporté, sur le support même, quelques corrections de sa main, sur quelques détails de sa vie. C'est dire que je garde précieusement chez moi ce manuscrit. Je tiens à préciser que je lui avais fait la promesse de céder mes droits d'auteur à une association caritative, et l'idée l'avait ravi. Avait-il exprimé des réserves après la lecture du livre? Après lecture du manuscrit, il a adhéré à l'idée sans réserve, et le manuscrit qu'il avait corrigé en est la preuve. Il m'a même remis quelques photos inédites pour illustrer le livre. Vous êtes auteur d'un roman qui a eu un immense succès. Ce succès a-t-il une relation avec le fait que la trame de ce livre est une histoire vraie? Vous faites allusion aux Amants de Padovani. Je pense que ce livre, tiré d'une histoire vraie, a eu le mérite de replonger le lecteur dans le contexte des années coloniales où l'indigène n'avait que peu de considération. Et que dire alors d'un autochtone qui a osé braver tous les tabous pour séduire une européenne, la fille de ses maîtres, ces gens qui avaient tous les droits sur les indigènes, même celui de vie et de mort. Je crois que c'est cet amour «révolté» qui sonne comme une victoire sur l'oppresseur qui plaît au lecteur et qui a fait le succès de ce roman. Vous avez publié des nouvelles et des recueils de poésie. Vous vous apprêtez à publier un essai sur l'histoire. N'êtes-vous pas tenté de vous «stabiliser» dans un style donné? Je ne crois pas au conventionnel. J'écris au gré de mon inspiration et à mon rythme. Je peux partir d'une situation vécue, d'un événement ou tout autre fait du quotidien. Que ce soit une joie, une douleur, un souvenir marquant, tout peut m'inspirer, et tout peut devenir un motif d'écriture qui permettra à mes personnages de surfer sur la vague de la vie ou sur la houle de la mal-vie pour trouver un port d'attache ou un îlot salvateur. Ma sensibilité et mon enfance heureuse m'ont aussi mené vers le monde innocent de l'enfance, ce qui m'a inspiré aussi de nombreux contes pour enfants que j'ai publié à plusieurs occasions. Etre écrivain, est-ce suffisant pour ne pas s'ennuyer? En réalité, l'écriture pour moi, au début surtout, était un exutoire. J'avais passé quelques moments dans la tourmente d'une santé précaire, et la douleur, tant physique que morale était présente dans mon quotidien. C'est pour oublier mon mal et pour évacuer cette souffrance que je me suis mis à écrire. Et j'y avais pris goût par la suite, après que ma santé se fût améliorée. Aujourd'hui, en plus de l'écriture de livres et de quelques articles dans la presse, et surtout de la lecture, je n'ai pas le temps de m'ennuyer, et j'ai des journées bien remplies. Il m'arrive aussi de militer dans des associations culturelles et caritatives pour être utile et utiliser sainement mon temps libre. Alors, l'ennui, je ne connais pas. Que pensez-vous de ce qui se publie en Algérie ces dernières années? Je pense que l'Algérie d'aujourd'hui a fait de gros efforts en matière de publication de livres, tant en qualité qu'en volume. Il y a quelques années, les auteurs algériens étaient obligés de s'exiler pour se faire publier, et n'avaient accès à l'édition que quelques privilégiés, pas tous de grandes plumes, dont les ouvrages jaunissaient à longueur d'année sur les étagères de l'unique maison d'édition algérienne. Aujourd'hui, nos auteurs peuvent publier leurs ouvrages partout, et les meilleurs d'entre eux sont reconnus au-delà de nos frontières, avec des distinctions à la hauteur de leur talent, chose impensable il y a quelques années seulement. Vous écrivez par plaisir ou pour ne pas souffrir? Au début, certes, j'écrivais pour évacuer mes maux et mes problèmes. Aujourd'hui, je le fais par passion, et par amour de cet art. Ma satisfaction est d'être lu et commenté. Ma grande joie a été de savoir qu'un de mes livres a fait l'objet d'une soutenance par une étudiante de l'université d'Oran. Et qui, grâce à son travail, a obtenu les félicitations du jury. N'est-ce pas une joie supplémentaire qui vous incite à continuer?