Après les détergents et les produits-vaisselle, les stratèges du marketing accaparent le livre comme produit à promouvoir. Michel Houellebecq, auteur à scandales, profite de la vague et se fait ériger au rang d'auteur culte du début du XXIe siècle. Le 2 septembre devait sortir en France le livre qui a décidément fait le plus parler de lui, «Plateforme». L'auteur n'est autre que le plus provocateur des écrivains français; celui qui s'est imposé, depuis son roman Les particules élémentaires, paru aux éditions Flammarion en 1998, comme le maître de la pensée littéraire. D'un talent certain à exacerber les plus profondes angoisses de l'homme moderne (frustrations sexuelles, monotonie du quotidien, robotisation de l'homme...), M.Houellebecq n'hésite pas à aller jusqu'au bout de ses divagations littéraires tout en traînant avec lui des lecteurs acquis et prêts à le défendre. C'est Raphaël Sorin, directeur littéraire des éditions Flammarion, qui le découvre et le met sur les rails. M.Houellebecq n'avait fait, jusque-là, que de petites apparitions, appréciables au demeurant selon ceux qui l'ont lu, dans de petites maisons d'éditions. Mais Sorin sait pertinemment qu'il a devant lui une véritable bombe. Un «original», sa cigarette entre le majeur et l'annulaire M.Houellebecq a des allures de garçon infréquentable, un original qui tient sa cigarette entre le majeur et l'annulaire, talentueux écrivain et apparemment prêt à tout pour faire parler de lui. Sorin lui concocte la parfaite recette pour son roman et choisit, pour sa part, de faire dans la difficulté: lancer son poulain en pleine rentrée littéraire. En fin connaisseur des rouages de la vie médiatique, il n'omet pas de définir les cibles de sa campagne de popularisation de l'oeuvre: Les Inrockuptibles, magazine pour les très branchés de la planète livre et Lire, plus classique. Le premier mettait en couverture Les particules élémentaires et son auteur avec la prometteuse mention: «Danger, explosif» A la recherche du phénomène de la rentrée les autres médias ne manquent pas de suivre. M.Houellebecq est même l'invité de Nulle Part Ailleurs de Guillaume Durand sur Canal+. L'auteur y apparaît comme ses personnages: quelconque, timide, il parle décousu et semble gêné. Résultat, l'éditeur lui-même n'en revient pas: plus de 25.000 exemplaires vendus. Pourquoi s'arrêter là? Un tour chez le gourou du livre, Bernard Pivot, lui fera le plus grand bien, mais cette fois ça sera dans une présentation plus sage. Le but est de «draguer» les ménagères de plus de 50 ans. Houellebecq est déguisé en gendre idéal et se fait sanctifier lors de cette émission, par Philippe Sollers surnommé le pape de la provoc'. Mais c'est sans doute le coup du Goncourt qui le rendra encore plus sympathique. Recalé, il ne manque pas d'être repêché par ses lecteurs. On lui excusera ses écarts de langage quand il parlera de celui qui lui rafla les honneurs, Paul Constant, et on lui achètera son livre. Flammarion est aux anges: 350.000 exemplaires vendus, 25 traductions. L'enfant terrible de la nouvelle littérature aux consonances fatalistes et âprement satiriques à l'endroit de la culture du politiquement correct ressurgit avec fracas en s'attaquant de front à l'Islam. Une interview savamment accordée avant la sortie du livre au magazine Lire, des propos scandaleux qui ne manqueront pas de provoquer une levée de boucliers et le tour est joué. La sortie du livre s'apparente plus à celle d'un film sur les écrans, le but étant de faire le maximum de bruit. Une ignorance totale du fait religieux Dans l'interview qu'il a accordée au magazine Lire, il commente longuement les thèmes de son nouveau roman, et il n'y va pas avec le dos de la cuillère: «La religion la plus con, c'est quand même l'Islam... Quand on lit le Coran, on est effondré... effondré». Soheib Bencheikh, grand mufti de Marseille, a eu l'intelligence de relever, sans tomber dans le piège de la polémique et ce que cela implique comme jeu de ping-pong stérile, à quel point les propos de Houellebecq sont révélateurs de l'ignorance des Français du fait religieux: «Il a le droit de penser ce qu'il veut, même si ces propos sont révélateurs d'une ignorance. A cet égard, il est le fils de son siècle. Alors que la France est forte de 4 millions de musulmans, on assiste à une ignorance totale du fait religieux en générale et islamique en particulier. Le danger est que cela n'engendre davantage de rejet». Pour certains comme Mohsen Ismaël, chercheur au centre d'études sur l'Orient contemporain, l'auteur est plus à la recherche d'une fetwa, comme celle dont a été frappé Salman Rushdi il y à douze ans, pour se faire une renommée. Pour sa défense, d'autres expliquent que le livre n'est que le reflet des tares de toute une société. Selon le romancier Marc Weitz «il exprime la mentalité de la France majoritaire mieux que personne», l'islam n'étant perçu que comme le générateur de génocides et de conflits meurtriers, un message lourdement entretenu par les médias. Il faut savoir que la force de l'auteur est que, quelque part, il dit tout haut ce que beaucoup de gens ont du mal à chuchoter eu égard aux innombrables barrières qui balisent la vie publique. «Sa stratégie consiste à ne pas se positionner comme l'intellectuel de service mais comme celui qui, jouant de l'ambiguïté, renvoie chaque lecteur à ses propres interrogations», disait de lui un critique littéraire; ce qui lui permet de tirer son épingle du jeu en se désengageant des propos de ses personnages. C'est d'ailleurs sur cet argument que tableront l'auteur et sa maison d'édition au cas où les poursuites judiciaires, dont les menacent plusieurs parties, aboutissent. Le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubekeur, après avoir conseillé à Houellebecq d'aller consulter un psychiatre, envisage très sérieusement de saisir les tribunaux nationaux et internationaux pour provocation à la haine et apologie du meurtre. Ce qui est certain, c'est que cette polémique permettra à Plateforme d'enregistrer les meilleures ventes. Le débat dans le milieu littéraire est, lui, plus axé sur le problème de la provocation comme outil de promotion commercial d'une oeuvre littéraire. Houellebecq s'est, depuis ses débuts, distingué par cette tendance à traiter les thèmes à polémique en les agrémentant d'un discours cru ce qui lui a valu d'ailleurs un bon nombre de visites aux tribunaux. Un désagrément dont il peut très bien s'accommoder vu les gains qu'il réalise.