En revisitant notre époque, Michel Houellebecq organise l'orgasme: si le Nord veut du sexe réel, qu'il l'achète au Sud! Son troisième roman «Plateforme» est une réussite annoncée. Comme un fonds de commerce, il fait sien l'esprit de provocation. Après le choc et les remous soulevés en 1998 par les Particules élémentaires, où on l'avait traité de néonazi, de pornographe et d'affreux réac', le voici qui récidive avec Plateforme, roman psychosociologique à scandale dans lequel il aborde la misère affective et sexuelle de l'Occident, qui tarifait l'amour avec ceux qui n'ont rien d'autre à vendre. L'auteur adore provoquer. Quand il le fait par le biais de ses personnages, cela peut passer pour un constat sociologique. Mais quand il profère des insanités au cours d'une interview, fût-elle arrosée, c'est bien son opinion qui est en jeu. Dans le mensuel du mois dernier, Lire, Houellebecq déclare: «La religion la plus con, c'est quand même l'Islam.» Or, dans Plateforme, l'assassin du père est une brute arabe, ce sont les islamistes qui attaquent le club de vacances-bordel et le héros a, dès lors, envie de tuer le plus de musulmans possible. La posture qui consiste à prendre le contre-pied du politiquement correct atteint ici un point critique: les musulmans de France s'indignent et portent plainte. Le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubekeur, souligne que «des propos incitant à la haine raciale et religieuse sont passibles des tribunaux». Ce remue-ménage n'est pas très bon pour l'image, mais excellent pour les ventes! Michel Houellebecq est l'image même du malaise qui trouble quand on le lit. On découvrira par la suite que la fiction se nourrit de la biographie. Dans Plateforme, Houellebecq a créé le stéréotype de la misère sexuelle du mâle occidental. Au-delà de la dérision, il entretient l'illusion de l'amour rédempteur avec les femmes guérisseuses. Dans ses romans, ça finit mal en général. Il en est de même dans son dernier livre. Quand la frustration engendrée par le libéralisme économique et la concurrence sans frein, atteint un niveau très élevé, les pulsions sadiques et masochistes débordent: le roman raconte l'enfance d'un «serial killer» en puissance! L'auteur a réussi à évacuer son mal-être dans la fiction et à devenir une forme de gourou en théorisant sa souffrance. Michel Houellebecq est alors secrétaire à l'Assemblée nationale française. Un sentiment d'échec Ce relatif équilibre succède à une longue galère: solitude, difficultés professionnelles, chômage, alcoolisme, dépressions, séjours en milieu psychiatrique. Son enfance éclaire, si on peut dire, ce sentiment d'échec, accentué par la séparation de ses parents après sa naissance à la Réunion en 1958 et l'abandonnent (à sa grand-mère, morte en 1978) pour vivre selon les critères littéraires hérités des hippies. Il règlera ses comptes avec ses figures parentales. Avec sa mère, dans les Particules élémentaires, sous les traits d'une salope d'un monstrueux égoïsme, emblème des errances de 68. Avec son père, figure de la démission et de la lâcheté dans Plateforme. Plateforme qui se présente comme un roman d'amour sur le tourisme sexuel, établit à nouveau le constat de l'aliénation des Occidentaux. Le héros, un quadragénaire, prénommé Michel, qui marine dans une dépression latente, obscur et insignifiant fonctionnaire au ministère de la Culture, a longtemps souffert de l'atrophie du désir engendrée par les rapports désastreux entre les hommes et les femmes. Il a bien essayé le peep-show, les cassettes pornos, la branlette et l'abstinence mais rien de cela n'est très épanouissant. Une sublimation de la frustration sexuelle L'histoire époustouflante de Plateforme se déroule sous les Tropiques à mille lieux du microcosme parisien. Bien que Cuba le tente par son «exotisme politique», l'auteur s'inscrit pour un voyage «cool» à la veille du réveillon de l'an 2000 et choisit la Thaïlande. Le périple offre des «découvertes» naturelles et culturelles et lui fait prendre conscience de l'immense potentiel d'une «situation d'échange idéale» entre ceux qui possèdent de l'argent et ceux qui ont à vendre une sexualité «intacte». Plus évolué, plus sûr et plus intégré dans la société que le héros de L'extension du domaine de la lutte (1994)..., il est capable de sublimer sa frustration sexuelle dans l'alcool sans agresser les autres plus que verbalement. Par un de ces miracles dont Houellebecq gratifie ses personnages, il rencontre l'amour au terme d'un calamiteux voyage en Thaïlande, grâce à Valérie, probablement la seule Occidentale qui ait gardé le sens du don et du plaisir. Mais elle mourra et il retournera à son anomie. Houellebecq excelle dans l'évocation de ces vies grises, condamnées d'avance. Ceux qui ont aimé le radicalisme désespéré d'Extension... et l'ambition philosophique des Particules élémentaires retrouveront, dans Plateforme, les qualités et les défauts de l'auteur qui pense que le roman, «isomorphe à l'homme, devrait normalement pouvoir tout en contenir». Poète, pamphlétaire dans ses réflexions, amorphe dans un coffret consacré à l'île de Lanzarote (Espagne), Michel Houellebecq est tout cela. Voyageur, il s'est récemment posé sur l'île de Bère en Irlande, sans doute pour mieux développer son imagination et ses fantasmes, car l'Irlande est le pays d'intrigues par excellence, mais aussi de poètes et d'écrivains bien inspirés des merveilles de ce pays! Plateforme n'a pas les visées scientistes et métaphysiques du précédent livre qui prédisait la fin de l'humanité sexuée. Son titre est un mystère, même s'il est vrai que le relief de son écriture est peu accidenté! Houellebecq pratique un style bref dont la sobriété souligne efficacement le cynisme du propos. Plateforme est surtout un document révélateur de l'époque (la nôtre forcément), celle qui ouvre à l'industrie du voyage à l'échelle mondiale des perspectives économiques quasi illimitées. Ce qui n'échappe pas au héros narrateur du dernier Houellebecq. La réorganisation de l'industrie touristique occupe la plus grande partie du livre. Impolitiquement correct, Houellebecq s'attaque au tourisme sexuel, même s'il fait l'impasse dans son roman sur le sida, le proxénétisme et la pédophilie dans son utopie économiste pansexuelle. Mais c'est vraiment s'exciter beaucoup sur les enjeux de ce livre que de l'encenser de toutes ces vapeurs de soufre. Plateforme, utopie burlesque, constat cynique, peinture réaliste des rapports Nord-Sud? Le guide du routard victime des sarcasmes de l'auteur, prend le livre au sérieux et lui offre la publicité supplémentaire d'une attaque en justice. Houellebecq décrit ses auteurs comme «des connards d'humanités protestants ( ...) dont les sales gueules s'étalent complaisamment en quatrième couverture» et en faisant preuve de «pudibonderie» en la matière. Poussant la polémique plus loin, en prenant plaisir à envenimer le débat, Houellebecq affirma au magazine Lire sa haine des monothéistes, surtout l'islam, car au moins «les juifs ont un sacré talent littéraire» et les catholiques gardent «un aspect polythéiste»! Mais, plus que la tête, en vrac, des routards et des touristes sexuels, c'est celle de l'Islam que Houellebecq se paie ouvertement sans aucun rapport avec la Thaïlande et ses attraits, il parsème tout le roman de flèches à l'encontre de la foi islamique, moqueur quand il souhaite un «Bonne nuit... les Taliban, bonne nuit... faites de beaux rêves», déchaîné quand il ne cesse d'opposer moeurs occidentales et loi islamique. Dans ce beau roman d'amour, on trouve tour à tour, la solitude, la haine de la filiation, la satire de l'industrie des loisirs, la sexualité rédemptrice et la visée sociologique. En somme, un livre à lire donc avant le couvre-feu des Américains. Dans Plateforme, Houellebecq avoue son aversion pour les Musulmans, parce que sa mère s'est convertie à l'Islam. Au-delà de la provocation littéraire, il est tout à sa haine des Arabes. Plateforme 370 p, 400 FF, Ed. Flammarion 2001. Extension du domaine de la lutte, (1994). Ed. Maurice Nadeau Particules élémentaires 1998. Ed. Flammarion