c'est le soir, lors des gardes de nuit, que les «tares» du secteur sanitaire algérien sont davantage mises à nu. Le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Saïd Barkat, soutenait qu'il est «anormal qu'à partir de 16h, nos hôpitaux ressemblent à des cimetières, tout comme il est anormal qu'au moment où des malades sont présents, les cadres des hôpitaux sont absents», remettant entièrement en cause le système actuel de consultation. Les malades se plaignent, trop souvent, de l'accueil défaillant, surtout aux urgences. Les infirmiers, aides-soignants et médecins sont mécontents de leurs salaires jugés insuffisants, des équipements médiocres, des règlements tatillons. De tous les services publics, l'hôpital est le sinistré. A chacun sa mésaventure. Un tel pour un banal accident se retrouve aux urgences. En guise de premiers soins, il se voit tourner les pouces en attendant que l'interne de garde daigne s'occuper de lui. De l'autre coté de la barrière, le scénario est presque le même. Le docteur A.B a décidé de tout abandonner pour le privé. «J'ai démissionné sans plaisir, explique-t-il, mais parce que j'ai la certitude que le système est bloqué. Je ne pouvais plus continuer à m'épuiser pour rien». un autre médecin, aujourd'hui médecin -conseil à la sécurité sociale, n'est guère plus optimiste. «L'hôpital public est incapable de faire face à la concurrence. Il n'accueillera plus que les moins nantis, incapables de se payer les services d'un praticien privé.» Pour se convaincre de la véracité de telles affirmations, une virée s'impose dans les services d'urgences. Diagnostic: la santé en Algérie est dans le coma. Dans le langage courant, les urgences sont l'unité d'un hôpital, chargée de recevoir les malades et les personnes blessées nécessitant une prise en charge immédiate. Dans la pratique «algérienne» c'est tout à fait autre chose. Et pour cause, «l'urgence» en Algérie devient une banale consultation se traduisant par des heures d'attente avant que les préposés daignent prendre en considération la requête désespérée du patient. Tout le personnel médical étant impliqué dans cette débandade à ciel ouvert. C'est souvent contre eux que les gens retournent leurs griefs suite à leur admission, ou celle de leurs proches dans ce service «en péril». Cependant, sont-ils vraiment responsables de cet état de fait?. En effet, cette question, qui se pose à chaque fois, trouve très vite sa réponse, lorsqu'on arrive à un service d'urgence comme celui de l'Hôpital central d'Alger à savoir Mustapha-Bacha jouissant d'une notoriété sans limite, et que l'on constate l'état des lieux, le faisant ressembler à un hôpital de guerre ou une unité de soins désenclavée. L'incrimination du personnel soignant semble alors injuste. Et c'est le soir, lors des gardes de nuit, que les «tares» du secteur sanitaire algérien sont davantage mises à nu. Médecins en nombre réduit, matériel insuffisant et délabré, «c'est un vrai malheur» auquel font face les patients transférés dans cette unité de soins. Parcourant cette dernière, on ne peut voir que quelques salles munies pour tout matériel, d'un bureau et d'un lit d'auscultation pour chaque unité. Les plus «luxueuses» abritent des armoires à pharmacie et des poubelles pour les patients qui ne peuvent se retenir de vider leur estomac. Ces derniers se retrouvent parfois «entassés» dans une salle d'attente, se plaignent avec le peu d'énergie qui leur reste de la lenteur dont font montre les médecins. Habib, un jeune homme croisé à l'entrée du service, visiblement désemparé, ne s'est pas fait prier pour dire ce qu'il pense de la prise en charge et des soins prodigués au sein de cette unité. «C'est désorganisé, et le nombre de médecins ne répond pas à la demande de prise en charge.» Ce jeune homme dont le père souffre d'une tumeur au cerveau lui provoquant des convulsions, a encore fait remarquer ce manque de moyens en pointant du doigt l'indisponibilité des ambulances. En effet, transférer un malade pour passer un scanner ou autre examen car, incapable de se déplacer seul dans un hôpital aussi vaste que Mustapha-Bacha, et dont chaque service est situé dans un département à lui seul, se révèle être digne des travaux d'Hercule. «Il n'y a pas d'ambulance pour transporter les malades d'un service à un autre, et même s'il y'en a il est difficile d'y avoir recours, j'ai dû porter mon père dans mes bras pour l'emmener à un autre service» a déclaré notre interlocuteur. Et ce n'est pas encore fini, ce jeune homme visiblement habitué du secteur hospitalier en raison de la maladie de son père, a accumulé les constatations «révoltantes», faisant même état d'«un cadavre abandonné au fond du couloir du service, recouvert d'un drap sur la civière des pompiers». Ces images ne sont pas spécifiques à ce seul service, mais s'étendent à tous les hôpitaux de la capitale, ou plutôt du pays. Autre centre hospitalier, cette fois-ci, celui de Beni Messous, où Meriem, une jeune adolescente de 18 ans admise aux urgences de ce dernier pour des douleurs abdominales aiguës, était effrayée et sans confiance quant à sa prise en charge. Entre deux spasmes abdominaux, la jeune fille nous confie qu'elle a plus peur de sa prise en charge dans ce centre que de son mal. Et pour cause, arrivée à ces urgences, les patients ainsi que les personnes qui les accompagnent, se sentent immédiatement perdus et désarmés. Certains médecins d'habitude reconnaissables par leurs blouses blanches, ont troqué leurs habits de travail pour ceux de tous les jours. Lorsque ce n'est pas les médecins qui sont en cause, ce sont les personnes venues de l'extérieur. En effet, après une brève visite dans les dédales de ce «grand bazar», c'est le moins qu'on puisse dire, on a pu constater que certains médecins, laissaient les personnes accompagnant les malades admis d'urgence, assister à l'auscultation sans pour autant respecter le secret professionnel. Alors comment ne pas se sentir en «insécurité». La soeur de Meriem, arrivée quelques minutes après son admission dans le service, a dû chercher sa soeur pendant une bonne demi-heure avant de la retrouver. L'agent d'accueil la balançant par ci et l'infirmer de garde par là, cette recherche fut pour elle un vrai parcours du combattant, puisqu'elle a dû frapper et ouvrir toutes les portes qui se présentaient à elle pour retrouver sa soeur. A peine a-t-elle repris son souffle, et soulagée d'avoir retrouvé la jeune malade, elle fut accueillie par la réaction blessante du médecin chargé de la salle, lorsque l'adolescente, souffrant et peinant à se retenir, dû vomir à même le sol. Le mère de la jeune fille visiblement gênée par cette réaction dû nettoyer elle-même le sol avec la serviette qu'elle utilisait pour rafraîchir sa fille et l'a jetée par la suite. Encore plus déroutant, aux urgences de l'hôpital de Bab El Oued, une vieille dame victime d'un malaise résultant d'une hyperglycémie, était étonnée de voir le médecin de garde demander à sa fille du parfum, non pas pour se parfumer ou encore enlever l'odeur nauséabonde qui rode dans la salle, mais pour lui désinfecter la peau avant de lui faire une injection. Ces scènes dignes d'une autre ère laissent le patient et le spectateur, interdits, et montrent que les choses sont loin de connaître leur terme, et rendent perplexe quant à la situation paradoxal que vit le secteur de la santé en Algérie.