Le monde arabe, sur le plan interne, sombre dans la dépendance des hydrocarbures et, sur le plan externe, de la technologie occidentale. La crise économique est mondiale et démontre qu´il n´y a pas de civilisation des temps modernes. Le libéralisme sauvage fait des ravages. Même aux USA, temple du capitalisme, les débats d´idées s´enveniment. "Je n´incrimine certes pas le sénateur McCain pour ces problèmes, mais j´incrimine la philosophie économique à laquelle il souscrit", a récemment déclaré Barak Obama. De son côté, même un conseiller économique du candidat républicain, s´est réjoui que l´argent public n´ait pas été utilisé pour sauver une banque privée, à l´inverse dit-il de " la philosophie économique de Barack Obama ", qui, selon lui, consiste à " augmenter les impôts et concentrer le pouvoir à Washington". Un autre économiste américain, démocrate celui-ci, signale, sur le site d´un hebdomadaire, que les candidats font attention à ce qu´ils disent, pour ne pas risquer d´être rendus responsables d´une " mauvaise réaction des marchés ". Comme si l´oracle et le devenir du monde dépendaient du seul marché. La machine folle du système mondial est lancée à vive allure. La question est la capacité de décider précise-ton: "Il est 3 heures du matin à Wall Street " (...) L´un ou l´autre des candidats proposera-t-il une explication de ce qui se passe et un plan pour y remédier?". Le monde arabe, à mille lieux des visions prospectives sur le plan interne, sombre dans la dépendance des hydrocarbures et sur le plan externe, de la technologie occidentale. Apparemment, aucune stratégie, ni réaction aux mille problèmes économiques et sociaux qui ruinent leur société. La fuite en avant sera très chèrement payée. S'enrichir est permis Certains cyniques prétendent que le capitalisme ne peut pas être moral, ni contre la morale. Il serait tout simplement amoral. L´économie et la morale relèveraient, au sens éthique, de deux ordres différents. Ce qui, évidemment, est un contresens. L´économie doit prendre en compte les valeurs humaines et morales, même si, s´enrichir est permis et " gagner de l´argent " légitime. Essayer de marier les deux ensembles relève, selon ces idéologues, du "barbarisme". Mais même pour ceux qui ne croient pas aux valeurs morales prônées par la spiritualité et au besoin profond de justice sociale, il serait fort utile pour eux de revenir à une réflexion qui permette à l´humanité de sortir de la marchandisation du monde. Quels repères peut-on trouver sur l´économie dans les textes des religions en vue d´éviter le culte du veau d´or, l´écrasement de l´humain, la corruption, le gain facile, l´illicite, les injustices, les faillites et la mauvaise redistribution des richesses? Dans la tradition des chrétiens sociaux, considérée comme généreuse, ou celle des textes du Vatican, par exemple, le profit est vu comme un atout du capitalisme, reconnu "comme un bon indicateur du fonctionnement de l´entreprise". Souvent, c´est le sens de la charité, de l´entraide et de la solidarité qui prédominent, non pas une vision économique spécifique. Au moment où nous traversons une crise financière et économique mondiale qui ruine les prétentions de l´ordre dominant et balaie tant de théories et prévisions, il n´est pas illusoire de rappeler des principes du Coran. L´argent doit circuler sans être source d´argent, il doit être productif, se purifier par la Zakat, ne pas s´utiliser comme spéculation. Si les banquiers occidentaux, comme le remarquent des spécialistes, " avides de rentabilité sur fonds propres ", avaient respecté un tant soit peu ces principes coraniques, la crise n´aurait pas eu lieu. Certains s´imaginent la finance islamique comme une pratique fermée et utopique. Pourtant, l´interdiction de la "ribaa", mérite d´être étudiée, d´autant qu´elle ne s´oppose pas à la logique entrepreneuriale et qu´elle est liée à un sens précis, celui de renforcer la cohésion sociale, de valoriser l´effort et d´honorer la vie. La loi musulmane ne transige pas sur un principe sacré: l´argent ne doit pas produire de l´argent, seul le travail doit en être la source. La traduction de cet engagement est simple: tout crédit doit avoir en face un actif bien identifié. L´argent ne peut être utilisé que pour financer l´économie réelle, pour répondre à des besoins précis. Ni spéculation, ni superflu. Il n´y a pas de hasard si les banques qui prohibent la "ribaa" sortent plutôt indemnes de la crise des endettements immobiliers et du subprime, car elles ne les pratiquent pas. Le respect de ce principe du Coran est bénéfique dans la relation que les individus, les groupes et les entreprises entretiennent avec l´argent. Les personnes morales n´ont pas le droit de s´endetter au-delà de leur capitalisation, qu´elle soit boursière ou non. Les personnes physiques ne peuvent non plus de facto subir de surendettement. Ce sont des règles de prudence, garde-fous. Que ceux qui interprètent la religion comme idéologie se détrompent et encore plus ceux qui l´instrumentalisent, car les précieux préceptes coraniques sont essentiellement des repères, non pas des recettes. C´est à la société tout entière de s´instruire et d´assumer ses responsabilités sur la manière de produire des richesses et de se développer sans perdre de vue ce qui est licite ou illicite, moral ou immoral. La responsabilité de chaque génération est entière. Fuite en avant, autoritarisme et sous-culture L´économie fait partie de la vie, elle touche à la stabilité du pays, à l´équili-bre des relations sociales et constitue l´instrument du développement. Le suivisme, l´aliénation à des modèles et intérêts étrangers deshumanisants, qui liquident les liens sociaux, produisent de la violence et accentuent notre vulnérabilité, doivent être neutralisés. Il s´agit de relancer l´économie, de se défendre pour une cause et non point simplement contre telle ou telle situation, comme l´inflation. Dans quels secteurs investir, comment gérer nos capitaux et distribuer les richesses? De ces questions, dépend l´avenir. Le nationalisme, sans populisme, a pour but de rétablir l´échelle des valeurs, de mobiliser les masses, et de faire que les fruits des sacrifices bénéficient au plus grand nombre et aux générations futures. Aujourd´hui, les gens se sentent abandonnés. Le protectionnisme est un acte patriote. Il s´agit de protéger le pouvoir d´achat du citoyen, de protéger l´entreprise nationale, tout en oeuvrant pour diversifier le partenariat et l´incitation des investissements directs étrangers. Comment affronter l´économie mondiale? En évitant l´imitation aveugle, en ne confondant pas la fin et les moyens, en mettant l´accent sur le capital humain et des principes éthiques de base. Nombre de peuples s´interrogent sur comment améliorer l´environnement et les conditions de vie, la lutte contre l´exclusion et pour la dignité sociale. Quel progrès social dans un monde dominé par le marché? Comment préserver les classes moyennes et les services publics dans une économie de marché? Comment changer l´image négative du monde arabe vue de l´étranger? Comment faire se rejoindre l´économique, le social, la compétitivité et l´éthique au sein de l´économie? Le début de réponse peut se trouver dans un mot clef: bonne gouvernance. Cela signifie démocratie, participation, décentralisation, transparence, formation des élites, priorité à l´éducation, à la science et au savoir. La triste réalité montre que nous en sommes loin. Fuite en avant, autoritarisme et sous-culture semblent s´abattre comme une malédiction. D´où que les citoyens sont en état larvé de désobéissance et aggravent par là leur situation. Le politique détermine l´économique, même si l´interactivité, politique-économie-culture est reconnue. La politique est l´élément-clef car les décisions finales se situent à ce niveau, par delà les luttes d´influence et les jeux d´intérêts. Dans le monde, la finance dérèglementée détruit les sociétés. Silencieusement, au quotidien, quand les spéculateurs revendent des actions, vendent les entreprises ou exploitent les salariés, pour en extraire davantage de rentabilité, au Nord comme au Sud. Dans les crises comme celle d´aujourd´hui, se révèlent les excès de la cupidité spéculative et leur contrecoup sur l´activité et l´emploi. Chômage, précarisation, accroissement des inégalités. Jamais le monde n´a été aussi inégalitaire. Le cours de la finance mondiale contemporaine n´est qu´une longue suite de crises: depuis 1929, 1973, 1987, 1990, crise immobilière aux Etats-Unis, en Europe et au Japon; 1994, 1997 et 1998, crise financière internationale, notamment en Asie, et enfin 2008, crises immobilière et bancaire et crise financière globale. Pourquoi une telle répétition? Certes, il est logique que la faillite fasse partie du jeu économique, mais des spécialistes considèrent que la cause réside dans le fait que la démocratie a reculé, que la loi du plus fort domine, que les entraves à la circulation des capitaux financers ont été abolies. Parce que l´instabilité est intrinsèque au recul du droit, à la déréglementation et au modèle du libéralisme sauvage, les appels à la "transparence" et à la "moralisation" ne pourront pas changer fondamentalement la situation, sans une rupture dans la méthode de travail et un programme cohérent de relance de l´économie, le tout sur la base de compétences aguerries à la gestion de la chose publique et privée. Cela suppose une ouverture du champ politique et un retour de l´autorité de l´Etat qui sanctionne en positif et négatif. En attendant, malgré certains progrès ou îlots de richesses, des citoyens du monde arabe fouillent dans les poubelles, s´entassent dans les bidonvilles, pratiquent la religion-refuge, dans l´ignorance et la lassitude. Les fossés s´élargissent, la régression se généralise et le ressentiment grandit, surtout en sachant que les richesses, possibilités et potentialités existent. (*) Philosophe, professeur en relations internationales. www.mustapha-cherif.net