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Pourquoi dialoguer?
LES IMPASSES DE NOTRE TEMPS
Publié dans L'Expression le 04 - 09 - 2008

Malgré les prodigieux progrès scientifiques et nombre d'acquis politiques, l'Occident vit une crise existentielle et n'est pas quitte avec son passé.
Le monde continue de ne pas vraiment dialoguer, alors qu'il s'enfonce dans la crise politique, économique et la quasi-paralysie des institutions internationales. Le conflit en Géorgie et l'installation de batteries de missiles défensifs américains en Pologne montrent que la guerre froide n'est pas totalement terminée. La politique du deux poids, deux mesures s'amplifie. Les Palestiniens et les Irakiens continuent de vivre l'enfer sous l'occupation. Les relations entre les peuples du Nord et du Sud sont marquées par la méfiance. La loi du plus fort, les injustices, le chômage, l'eau, l'immigration, l'éducation, la santé et l'instrumentalisation des religions constituent des questions qui vont s'amplifier et nourrir la mondialisation de l'insécurité. Le refus du droit à l'égalité et à la différence, le retour de la haine de l'autre risquent d'annoncer de nouvelles guerres. Un parfum de confrontation entre les civilisations est suscité en contradiction avec l'histoire.
Des médias engagés et des institutions humanistes et religieuses en Europe s'inquiètent de l'apparition de nouvelles formes de «fascisme» dans la politique de pays comme l'Italie en direction des migrants. Du Pakistan à la Mauritanie, les mouvements religieux politico-extrémistes, escroquerie à grande échelle, enfoncent les pays islamiques dans le sous-développement. La violence aveugle frappe toujours, dans notre pays et ailleurs. Les peuples restent opposés à l'intégrisme et les potentialités existent, mais d'un côté, un climat inadmissible de lassitude, de mutisme perdure et d'un autre côté, un travail de sape de faux dévots empêche la société civile de se mettre en mouvement. Dans ce climat de crise, des facteurs d'espérance existent.
Les citoyens ne sont pas dupes. Le contentieux au Liban a commencé à se dénouer, malgré les difficultés. Le judicieux et ambitieux projet de l'Union pour la Méditerranée est né en suscitant des espoirs, même mitigés. L'immense majorité des gens dans le monde aspire à la paix. Au niveau international, des rencontres multiples sont organisées sur le dialogue culturel et interreligieux et les défis communs. De plus en plus de personnes se rendent compte que le sionisme c'est l'anti-judaïsme, que les marchands du temple c'est l'anti-Evangile et que l'islamisme c'est l'anti-Islam.
Deux risques pointent à l'horizon du monde musulman: le premier, dans le contexte de la faiblesse démocratique, est celui de l'instrumentalisation idéologique de la religion qui ruine le vrai Islam et toute possibilité de progrès et le deuxième est celui de l'islamophobie produite par des extrémistes en Occident, sectaires et autres adeptes de l'hégémonie du libéralisme sauvage et du prosélytisme évangéliste.
Aux USA, la religion est au coeur du débat électoral. Le religieux est remis en avant, alors que ce sont les problèmes politiques qui interfèrent. Les deux candidats rivaux à la présidentielle, John McCain et Barack Obama, ont eu un premier débat non officiel, à la mi-août, dans une église géante, vingt-deux mille places, du comté d'Orange, en Californie, réputé le plus conservateur des Etats-Unis. Ils répondaient à l'invitation d'un pasteur de ce temple évangélique, considéré comme «l'homme d'Eglise le plus influent et le plus réputé des Etats-Unis». L'évangéliste, qui allie business et spectacle, leur a posé les mêmes questions, comme dans un débat présidentiel classique. Elles portaient sur la morale, la religion et les menaces de notre temps, le climat étant celui du néoconservatisme. Certains veulent imposer une nouvelle guerre de religions. Il est urgent d'appeler à la vigilance et d'empêcher les logiques folles qui stigmatisent les musulmans. Alors que la crédibilité de la première puissance mondiale est vitale pour la stabilité du monde, l'administration Bush en pratiquant l'unilatéralisme, en refusant de reconsidérer sa position est responsable de l'escalade de la violence. Le peuple américain reste attaché à la paix et à la démocratie, l'électorat voit la fin de la guerre en Irak comme l'enjeu numéro un, en politique étrangère. Cependant, la peur, mauvaise conseillère, la méconnaissance et les manipulations continuent à déformer la réalité en ce qui concerne l'Islam, figure du dissident. L'islamophobie est entretenue par les groupes rétrogrades qui n'ont plus rien de musulman et l'archaïsme de certains régimes islamiques.
Des puissances étrangères en profitent et s'inventent un nouvel ennemi, cela est contre-productif, affaiblit leur défense et déstabilise le monde. Des puissances étrangères créent des abcès de fixation, des sujets et des zones de conflits pour étendre leur hégémonie. De ce fait, l'extrémisme politico-religieux et le terrorisme des faibles est le produit de cette politique inique, qui de surcroît a été soutenu par des «régimes islamiques». Pour faire reculer l'islamophobie, permettre aux musulmans de sortir de la situation de «colonisabilité», de se développer et retrouver une nouvelle civilisation, il faut faire reculer l'obscurantisme interne et travailler à responsabiliser le citoyen et non point à le mépriser.
Le «choc des civilisations» est-il une réalité?
Alors que le progrès se limite principalement à la technologie, les débats sur l'avenir de l'humanité, le recul du droit et le besoin de discernement et de responsabilité restent faibles. La crise est interne et externe et triple, de la modernité, du droit et du savoir. Malgré les prodigieux progrès scientifiques et nombre d'acquis politiques, l'Occident vit une crise existentielle et n'est pas quitte avec son passé. Le pape et nombre de dignitaires religieux critiquent le matérialisme, le nihilisme et le relativisme, qui s'opposent aux principes spirituels et humanistes. Les écologistes s'inquiètent de la dégradation de la nature. Les progressistes constatent la remise en cause des bienfaits de la justice sociale. Comparativement, malgré toutes nos insuffisances, faiblesses et retards, aggravées par des dérives irrationnelles, le monde musulman préserve des valeurs et une forme d'humanité et de sociabilité, rares dans le monde. Cependant, nos bases commencent à êtres perturbées, en particulier à cause de comportements fermés et négatifs qui déforment notre belle religion. Cela donne de l'eau au moulin aux islamophobes. Il est urgent de comprendre comment nos partenaires occidentaux perçoivent la question de la religion, afin, de notre côté, de corriger les préjugés des autres et nos propres contradictions.
Le «choc des civilisations» se demandent des Occidentaux n'est-il pas une réalité? Malgré, au Nord, une indifférence religieuse, les religions restent des thèmes de questionnement. Critiquées par l'intelligentsia moderniste comme étant sources d'arriération et dénigrées par les médias, les religions sont paradoxalement consultées face aux défis du «vivre ensemble». L'opinion publique occidentale se méfie des religions et en même temps y reste curieuse. La plupart continue à se dire «chrétiens» de culture, ou «juif» par tradition, car à leur yeux une religion ne se réduit pas à des questions d'appartenance, de convictions et de rites. Elle est aussi affaire de mémoire et de transmission de valeurs. Mémoires, solidarités et éthiques nourrissent le lien de la religion avec la société, même si la foi a peu d'impact. Les Américains restent plus attachés aux vertus morales que les Européens. Mais nous assistons à une folklorisation de la religion, mêlée au marché et autres marchands du temple.
Aujourd'hui en Europe, rares sont ceux qui se demandent si les religions sont une menace ou un espoir pour le monde? La réponse pour la majorité va de soi, elle est négative, la religion est vue plutôt comme menace. Des esprits inquiets, et moins tranchés, se disent: quelles réponses les religions donnent-elles aux questions complexes actuelles de nos sociétés? Ils s'interrogent sur les causes de l'extrémisme, la prolifération des sectes et jusqu'où va l'instrumentalisation, dont les religions sont victimes. Compte tenu du contexte de la sécularité qui est un principe sacro-saint, perçu comme la condition du progrès, avec la liberté d'expression et les droits de l'homme, ils s'interrogent comment l'acte de foi peut -il s'articuler avec la rationalité? Le christianisme a contribué à désenchanter le monde occidental, à marginaliser la religion, à liquider le modèle des sociétés classiques et à propulser le modernisme, en séparant le temporel et le spirituel, sur la base de principes comme «Rendez à César ce qui appartient à César...» et «Mon royaume n'est pas de ce monde». En suscitant un mouvement de rejet de toute forme de relation entre le religieux et le politique, à cause des dérives de la chrétienté et parallèlement à cause de la sacralisation de l'idée d'autonomie de l'individu. Tout comme aujourd'hui, les actes de violence aveugle et l'obscurantisme de groupes politico-religieux, voire de certains régimes, qui instrumentalisent la troisième religion monothéiste, produisent dans le monde un rejet de ce qui est religieux et musulman. Pourtant les concepts et les normes sur nombre de plans en Occident, sont imprégnés par la religion. La crise est paradoxale. D'un côté l'athéisme et le laïcisme dominent en Occident, d'un autre côté les religions sont comme trahies par des inauthentiques adeptes. La présence de citoyens musulmans en Occident, surtout après «la fin» de la guerre froide et le 11 septembre 2001, suscite des interrogations et des inquiétudes.
Sortir de l'isolement
En rive Sud, les réactions ne semblent pas être à la hauteur des enjeux. Face à la mondialité en crise et les échanges internationaux, notamment ceux liés au savoir et à la connaissance, cela devrait être une occasion historique pour pratiquer le tajdid, le renouveau, et exercer les facultés de la raison, s'arrimer au développement et rechercher comment traduire sur le terrain la notion de «juste milieu» et de «communauté médiane»? L'attachement au religieux ne doit pas se transformer en fonds de commerce, en position de repli réactionnaire. La question du dialogue est posée. Certains sont réticents, de crainte que le dialogue serve à justifier des systèmes de domination. Certes, il faut être vigilant, mais le dialogue a pour objectif de chercher à avancer ensemble et à construire un monde nouveau. Face aux incertitudes, il y a lieu de constituer des réseaux qui rassemblent des bonnes volontés, rendus invisibles, car l'industrie mondiale médiatique fabrique une sous-culture et des blocages et ne donne la parole qu'aux pyromanes. Le dialogue est nécessaire, à tous les niveaux, pour diminuer les incompréhensions et désamorcer les conflits. D'autant qu'il y a menace de régression généralisée.
Le sens de la critique impartiale et objective est en recul. Certains jouent sur l'ego et font même croire que l'Europe n'a pas à se critiquer, ni à «sangloter», mais revenir à l'européocentrisme, comme seul modèle valable. Comme d'autres au Sud refusent toutes formes d'interrogations et pratiquent la fuite en avant. Nous avons pourtant besoin les uns des autres. L'alerte doit être donnée pour ne pas succomber à la confrontation Islam-Occident, qui malgré des différences, est entretenue artificiellement et nourrie par de sordides calculs politiciens, la méconnaissance et le repli. Il faut communiquer, dialoguer, débattre, sinon la désinformation risque de fermer l'horizon du vivre ensemble. Avec des conséquences désastreuses pour tous. Un monde nouveau pointe à l'horizon, faisons en sorte qu'il réponde aux attentes des justes.
(*) Philosophe, professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net


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