«Nous devons procéder à une révolution de nos modes de pensée et d´action, une révolution de nos modes de vie. Nous devons le faire maintenant. Demain, il sera trop tard.» Discours de Jacques Chirac, le 9 juin 2008. A l´occasion de la Journée mondiale de l´alimentation aujourd´hui, les organisations spécialisées insistent sur l´extrême nécessité d´investir massivement dans l´agriculture vivrière. Jacques Diouf, le directeur général de la FAO, annonçait mi-septembre les nouveaux chiffres sur la faim dans le monde. Ce sont aujourd´hui 923 à 925 millions de personnes qui souffriraient de la faim. Jacques Diouf accuse alors les dirigeants de la planète d´avoir ignoré les avertissements lancés par l´agence onusienne sur cette crise alimentaire. Selon la FAO, "l´investissement dans l´agriculture entre 1980 et 2006 a chuté de 17 à 3% alors que, dans le même temps, la population mondiale a cru de 78,9 millions chaque année."(1) Alors qu´en août, le Programme alimentaire mondial avait annoncé la mise en oeuvre d´un programme d´aide pour lutter contre la crise alimentaire de 142 millions d´euros dans 16 pays parmi les plus touchés, la FAO estime que l´aide alimentaire internationale est tombée en 2008 à son niveau le plus bas depuis 40 ans. Chaque jour, 25 000 personnes meurent de faim. Nous sommes loin des objectifs euphoriques. Les Objectifs de développement pour le millénaire établis par les Nations-unies, (2000): "Réduire de moitié, d´ici à 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim." "Atteindre l´objectif de développement pour le millénaire visant à réduire, d´ici à 2015, la proportion de la population qui souffre de la faim. Les individus ont droit, en matière de santé et de bien-être, à un niveau de vie suffisant pour eux-mêmes et leurs familles, y compris une alimentation adéquate, atteint notamment en améliorant la sécurité alimentaire et la lutte contre la faim et en associant ces efforts à des mesures visant à éradiquer la pauvreté..." Huit ans après ces envolées généreuses, la crise alimentaire mondiale touche désormais près d´un milliard de personnes, affirme l´association humanitaire Oxfam, appelant les pays à combattre la pauvreté avec la même détermination mise à résoudre la crise financière. "En raison de la hausse rapide des denrées alimentaires, 119 millions de personnes supplémentaires souffrent de la faim. Au niveau mondial, ce nombre est désormais de 967 millions", "La hausse des prix alimentaires signifie que les gens mangent moins et moins bien, que les enfants ne peuvent plus être scolarisés et que les agriculteurs doivent émigrer pour vivre dans des quartiers pauvres"(2) La crise financière et les solutions Quelles sont les causes et les conséquences? "L´escalade des prix de l´énergie et de l´alimentation, le manque d´eau et le changement climatique pourraient provoquer un regain d´instabilité et de violences dans le monde au cours de la prochaine décennie. Selon un rapport de l´Onu, publié mardi 5 août, l´escalade des prix de l´énergie et de l´alimentation, le manque d´eau et le changement climatique pourraient provoquer un regain d´instabilité et de violences dans le monde au cours de la prochaine décennie. Cependant, le rapport 2008 du Millennium Project, un centre de recherche international, précise que "les avancées des sciences, des technologies, de l´éducation, de l´économie et de la gestion semblent permettre au monde de fonctionner mieux qu´aujourd´hui".(3) " 15 défis mondiaux on été dénombrés de l´eau et l´énergie, jusqu´au crime organisé, en passant par l´éthique, à aborder en priorité. Il note que la moitié du monde est vulnérable à une instabilité sociale et aux violences en raison des prix de l´énergie et de l´alimentation, des gouvernements défaillants, de la pénurie en eau, du changement climatique, de la diminution des réserves en énergie et en nourriture, de la désertification et de l´augmentation des déplacements de personnes. D´ici mi-2008, il a dénombré 14 conflits (avec au moins un millier de morts) donc cinq en Afrique, quatre en Asie, deux en Amérique, deux au Proche-Orient et un contre "l´extrémisme mondial". " Les prix de l´alimentation de base ont doublé dans le monde", relève le rapport. "Les prix des céréales, par exemple, le blé et le riz, ont augmenté de 129% depuis 2006. Avec près de 3 milliards de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour, un conflit social mondial à long terme semble inévitable en l´absence de politiques plus sérieuses sur l´alimentation, de progrès scientifiques notables et de changements alimentaires", prévient-il. Le rapport souligne que 700 millions de personnes souffrent aujourd´hui d´une pénurie d´eau, soit moins de 1.000 m3 d´eau par personne et par an. Ce chiffre pourrait passer à 3 milliards de personnes d´ici 2025 en raison de la croissance mondiale, du changement climatique et de l´augmentation de la demande en eau. Le rapport prévient aussi que le monde aura besoin de deux fois plus de nourriture d´ici à 2013, ce qui nécessitera plus d´eau, de terre et d´engrais. Il précise en outre, que ces dernières années, sur le changement climatique, le sud du continent pourrait perdre 30% de sa culture de maïs d´ici 2030". (3) Autre son de cloche en forme de satisfecit; la Banque mondiale a publié, le 1er août 2008: "Le monde en développement est plus pauvre que ce que nous pensions, cependant il n´enregistre pas moins de succès dans sa lutte contre la pauvreté" Il faut savoir décrypter la sémantique de la Banque: il y a davantage de pauvres mais la pauvreté est combattue avec succès! En effet, si on exclut la Chine, les chiffres deviennent respectivement 804 millions et, 25 ans plus tard, 773 millions! C´est donc grâce à la Chine que cette baisse de moitié a pu être enregistrée.Le chiffre de 1981 est de 2740 millions en 1981 pour s´élever à 3140 millions en 2005 pour l´ensemble des PVD. Soit près de 58% de l´humanité. (4) Pour pouvoir comprendre les fondements de la dynamique de la crise financière, écoutons ce qu´en pense Susan Georges Susan George, politologue, présidente d´honneur d´Attac France avec se lucidité coutumière: "Panique à bord! Péril en la demeure! Feu au lac! La situation est-elle devenue suffisamment dramatique pour qu´enfin les dirigeants européens prêtent l´oreille à ceux qui dénoncent depuis de longues années l´économie-casino, le tout-marché et l´empire de la finance déchaînée? Ceux qui ont gobé l´idéologie, affirmé comme Mme Thatcher qu´il n´y avait "pas d´alternative", ou cru pouvoir "humaniser" le néolibéralisme en sont pour leurs frais. Ecouteront-ils à présent? "(5) La crise vient de l´explosion du crédit, surtout aux Etats-Unis, de "l´effet de levier" permettant la création de 40 dollars et plus pour chaque dollar "réel". Elle résulte des "innovations" des banques, débarrassées de toute entrave. Leur métier? Mélanger toutes sortes de dettes, en faire des saucissons, les trancher et vendre les tranches à d´autres avec l´aide des agences de notation accordant des labels AAA de complaisance. Se lançant dans le jeu de la patate chaude, les banques croyaient se dégager de tout risque. Elles ont si bien manoeuvré qu´à présent, nul ne sait qui doit quoi à qui, combien valent les tranches pourries de saucissons-dettes, ni combien la banque voisine a réellement en caisse. Du coup, personne ne veut prêter à quiconque, d´où le gel du crédit, ce sang vital au système circulatoire financier. Ce ne sont pas hélas les 700 milliards de dollars de M.Paulson qui vont changer la donne. La solution est ailleurs. D´abord imposer des règles que tout le monde ou presque préconise à présent: pas d´opérations bancaires hors bilan, ratios de crédit strictement imposés, fermeture des marchés de ces produits dérivés dont on se passait parfaitement il y a dix ans. (...) La crise de la pauvreté et des inégalités s´aggrave avec l´augmentation des prix de l´énergie et des aliments (..) Souvenons-nous du New Deal du président Franklin Roosevelt et de la conversion de l´économie américaine à une économie de guerre dans les années 1930-1940. C´est d´un effort de cette envergure dont nous avons besoin. Il faudrait réduire rapidement nos émissions de gaz à effet de serre d´au moins 90%. Impossible? Pas du tout, à partir du moment où la conversion à une économie verte est adoptée comme grande cause nationale et européenne. (...) Un pot de yaourt ne voyagerait plus 7000 kilomètres avant de rencontrer le consommateur - et il serait emballé plus économiquement. (...) Quant au Sud, la dette publique que le G8 promet d´annuler depuis dix ans le serait enfin, contre l´obligation de participer à l´effort écologique. Les élites africaines qui depuis trente-cinq ans ont fait s´envoler plus de 400 milliards de dollars vers les paradis fiscaux, seraient surveillées et leurs avoirs illégaux saisis au profit de leurs peuples. Ce scénario serait politiquement gagnant, les responsables politiques ayant le courage de proposer un tel programme aux citoyens et de l´imposer aux industries financières, se feraient élire.(5) Pour Yves Cochet. ancien ministre: "Le marché financier, en d´autres termes le volume des échanges de papier virtuel, est plus de vingt fois supérieur aux échanges de l´économie réelle. La richesse réellement existante n´est plus suffisante, comme jadis, pour servir de gage à la dette financière. Un seuil a été dépassé: le seuil de liaison entre le capitalisme, fondé sur le crédit, et les ressources naturelles, qui sont la base de toute richesse réelle." La catastrophe actuelle n´est pas une crise financière, économique, écologique, politique, sociale ou culturelle. Elle est tout cela à la fois et simultanément, ce en quoi elle est totalement inédite...De toute façon, que vous le reconnaissiez ou non, que vous le vouliez ou non, la récession est là! (..) Toutes nos actions devraient être guidées par la volonté de faire décroître l´empreinte écologique des pays de l´OCDE. John Stuart Mill disait: "Aux grands maux, les petits remèdes n´apportent pas de petits soulagements, ils n´apportent rien."(6) Immanuel Wallerstein, chercheur au département de sociologie de l´université de Yale, fait une analyse plus fine en faisant appel au cycle de Kondratiev: "Ce moment du cycle conjoncturel coïncide avec, et par conséquent aggrave, une période de transition entre deux systèmes de longue durée. Je pense en effet que nous sommes entrés depuis trente ans dans la phase terminale du système capitaliste.(..) Ce qui différencie fondamentalement cette phase de la succession ininterrompue des cycles conjoncturels antérieurs, c´est que le capitalisme ne parvient plus à "faire système", au sens où l´entend le physicien et chimiste Ilya Prigogine quand un système, biologique, chimique ou social, dévie trop et trop souvent de sa situation de stabilité, il ne parvient plus à retrouver l´équilibre, et l´on assiste alors à une bifurcation. (...) Eh bien, nous sommes en crise. Le capitalisme touche à sa fin".(7) Pour sa part, le Premier ministre britannique Gordon Brown a appelé les dirigeants mondiaux à s´engager dans son nouveau plan pour une restructuration majeure de l´ordre financier mondial. Il propose d´introduire un mécanisme à l´échelle mondiale qui permettrait de superviser les institutions financières internationales et de venir à bout du shadow banking et des pratiques douteuses des grandes entreprises. Dans le sillage, le président français s´est entretenu samedi 18 octobre 2008 avec le président Bush pour un nouveau Bretton Woods.(8) Des règles à géométrie variable Dans quel monde nous vivons quand on s´aperçoit que toutes les règles du capitalisme sont à géométrie variable. Pendant longtemps, il était interdit aux pays en développement de prononcer le mot nationalisation au nom de la dictature du marché. Adam Smith et sa "main invisible." veillent à la régulation. Ainsi et comme l´écrit Amladou Fall du journal Les Afriques: "Interdits d´intervention par la Banque mondiale et le FMI, les pays de l´UMOA ont dû se résoudre, il y a 25 ans, à laisser le quart des banques tomber en faillite. Face aux risques sur les banques occidentales, le FMI prône aujourd´hui l´intervention des Etats. Leur plus grand espoir repose sur le plan Paulson. Nationalisations? Cette carte est, en théorie, l´hérésie suprême dans les pays de la libre entreprise. Le gendarme de l´orthodoxie financière à l´échelle du monde, le Fonds monétaire international, conforte les dirigeants américains actuels dans leur choix interventionniste."(9) Dans quel monde sommes-nous quand l´annonce d´un milliard de personnes en détresse alimentaire n´émeut personne. Oxfam s´est dit choquée par l´incapacité des grandes institutions mondiales à coordonner leurs efforts pour résoudre le problème, comme elles viennent de le faire pour tenter de sortir de la crise financière. Lors d´une réunion d´urgence des principaux pays contributeurs à Rome cette année, une aide de 12,3 milliards de dollars avait été promise. Pour l´instant, seul un milliard a été effectivement distribué. Depuis le début de la crise financière, plus de 2 000 milliards de dollars ont été promis, soit sous forme de garanties publiques, soit sous forme de recapitalisation. "Il est choquant que la communauté internationale ne parvienne pas à s´organiser pour répondre de manière adéquate à la crise alimentaire et énergétique", a conclu Stocking. Luke Bakerde de l´ONG Oxfam. Dans le même temps, la publicité pour 400 milliards de dollars aux Etats-Unis et le lobby des armuriers gèrent un pactole 1200 milliards de dollars. Non, le modèle du monde occidental s´est définitivement déconsidéré par cette course effrénée vers l´abîme du pouvoir de l´argent, au besoin en tuant d´une façon ou d´une autre ceux qui s´opposent à cette volonté débridée de puissance qui sera à n'en point douter une victoire à la Pyrrhus. 1.La faim dans le monde progresse: 16/10/08 www.enviro.2b.com 2.http://www.contre-feux.com/actualite/12361-la-crise-alimentaire-touche-pres-dun-milliard-de-personnes.html 3.Le monde face à un regain de violences. Nations unies Report NouvelObs.com 06.08.2008 4.http://web.worldbank.org/external/p.. 5.Susan George: Des nouvelles règles pour sortir d´un système toxiqu. Le Monde 17.10.08. 6.Intervention d´Yves Cochet à la tribune de l´Assemblée Nationale, 14 octobre 2008. 7. Immanuel Wallerstein: " Le capitalisme touche à sa fin " site contre-info. 11 10 2008 8.Gordon Brown appelle à un nouveau Bretton Woods. Euractiv 15 octobre 2008. 9.A. Fall: L´Occident s´autorise ce qu´il avait interdit dans l´UMOA. Les Afriques 16. 10, 2008.