«Aux tournants les plus décisifs de son histoire, ce n'est pas une pénurie qui met en danger l'existence d'une société quelconque mais une carence de ses idées». Malek Bennnabi (L'oeuvre des Orientalistes). A peine la Seconde Guerre mondiale était terminée, que la guerre froide éclatait. Les relations interétatiques allaient s'articuler autour de ses principaux protagonistes, les Etats-Unis et l'Union soviétique. L'invention du concept de tiers-monde par Alfred Sauvy eut le mérite de rappeler l'existence d'une zone immense de la planète pour laquelle la question primordiale n'était pas sur quel camp s'aligner, mais quelle serait, à son égard, l'attitude des Etats-Unis et de l'Union soviétique. En 1945, la moitié de l'Asie, la presque totalité de l'Afrique ainsi que des Caraïbes et de l'Océanie demeuraient des colonies. Sans parler des pays «semi-colonisés». Pour ce vaste monde sous tutelle, où la pauvreté surpassait - et de loin - celle des pays «industrialisés», la priorité allait à la «libération nationale». En les englobant dans une même expression, «tiers-monde», on soulignait à la fois les caractéristiques communes propres à tous ces pays, mais aussi le fait qu'ils n'étaient pas nécessairement impliqués dans la guerre froide. Au début, ni Washington ni Moscou n'accordèrent la moindre attention au tiers-monde et à ses revendications. Les Etats-Unis considéraient la question coloniale comme absolument secondaire, et s'en remettaient pour la résoudre au bon vouloir des puissances coloniales. Lesquelles n'imaginaient quasiment pas que leurs possessions outre-mer puissent accéder rapidement à l'indépendance. Quant à l'Urss, elle se méfiait de tout mouvement national, même sous égide communiste, dès lors que des troupes soviétiques n'étaient pas déployées dans le pays concerné. Ainsi, jusqu'au milieu des années 50, pour les deux Grands, «le neutralisme (était) immoral», selon la formule de John Foster Dulles. Mais cette attitude devint vite intenable: la réalité du tiers-monde s'imposait. C'est en avril 1955, que la conférence de Bandung a lieu. Cette conférence consiste en un rassemblement des délégués de vingt-neuf pays d'Asie et d'Afrique dans la ville de Bandung en Indonésie. La conférence s'ouvre le 18 avril pour parler -afro-asiatique-. Celle-ci est une rencontre géopolitique fondée sur l'appartenance à une aire géographique, à une période historique de colonisation, à une situation économique. La conférence est tenue sous l'initiative de cinq hommes politiques : (indien), Nu (Birman), Kofilawala (ceylanais), Mohamed Ali (pakistanais), et Sukarno (indonésien). Les cinq décident de convoquer une conférence des pays asiatiques, auxquels s'adjoignent quelques pays africains indépendants à cette date. A ce titre, l'Algérie en guerre fut représentée par une délégation. Cependant, en affrontant ouvertement l'impérialisme et le colonialisme, Bandung est devenu le symbole de l'unité dans la lutte pour l'indépendance nationale. Il suffit de signaler qu'en 1955, l'année de la Conférence de Bandung, seuls quatre Etats africains étaient membres de l'ONU. Les antécédents de la Conférence de Bandung se trouvent dans le dénommé Pansha Shila, les cinq principes de la coexistence pacifique qui avaient été proclamés par Chou En-Lai et J. Nehru le 28 juin 1954. Ces principes sont: 1- Respect mutuel de l'intégrité territoriale et de la souveraineté. 2- Non-agression. 3- Non-intervention dans les affaires intérieures des autres Etats. 4- Egalité et avantages mutuels. 5- Coexistence pacifique. (1). Durant la conférence, l'unanimité se fait contre le colonialisme qui règne encore en Afrique du Nord et en Afrique noire, et contre le racisme qui sévit en Afrique australe. On réclame une coopération mondiale de lutte contre la pauvreté et le sous-développement. On élabore les règles qui doivent régir les relations entre les Etats : la non-agression, le respect mutuel des souverainetés, la non-ingérence dans les affaires intérieures, la réciprocité des avantages dans les contrats et la coexistence pacifique. La conférence de Bandung a démontré que l'ère des grands, qui dirigent tout, s'achève. «L'esprit de Bandung» crée un souffle nouveau dans les relations internationales : pour la première fois, une grande conférence a lieu sans la présence des Etats-Unis, de l'URSS ou des pays européens. Les pays du tiers-monde affirment leur volonté d'obtenir une voix indépendante pour tout ce qui concerne les affaires internationales sans être alignés sur les Etats-Unis et sur l'URSS. Ecoutons ce que disait J. Nehru l'un des dirigeants les plus écoutés: «Il y a aujourd'hui un autre esprit en Asie. L'Asie n'est plus passive. Il n'y a plus d'Asie soumise, elle est vivante, dynamique (...). Nous sommes résolus à n'être d'aucune façon dominés par aucun pays, par aucun continent. Nous ne sommes pas des «beni oui-oui» qui disent «oui» à tel ou tel pays. Nous sommes des grands pays du monde et voulons vivre libres sans recevoir d'ordre de personne. Nous attachons de l'importance à l'amitié des grandes puissances, mais, à l'avenir, nous ne coopérerons avec elles que sur un pied d'égalité. C'est pourquoi nous élevons notre voix contre l'hégémonie et le colonialisme dont beaucoup d'entre nous ont souffert pendant longtemps. Et c'est pourquoi nous devons veiller à ce qu'aucune autre forme de domination ne nous menace. Nous voulons être amis avec l'Ouest, avec l'Est, avec tout le monde. Le seul chemin qui mène droit au coeur et à l'âme de l'Asie est celui de la tolérance, de l'amitié et de la coopération.»(2). Dans le communiqué final de la conférence de Bandung, le 24 avril 1955, il est stipulé, notamment, «la conférence, après avoir discuté le problème des peuples dépendants, du colonialisme et des conséquences de la soumission des peuples à la domination et à l'exploitation étrangères est d'accord : pour déclarer que le colonialisme sous toutes ses formes est un mal auquel il doit être rapidement mis fin, pour affirmer que la soumission des peuples au joug étranger, à l'exploitation étrangère, constitue une violation des droits fondamentaux de l'homme, est contraire à Charte des Nations unies et est un obstacle à la consolidation de la paix mondiale». A Bandung, on a lié la paix à la liberté des peuples, à leur indépendance et à leur souveraineté. On n'y a pas pris parti en faveur du socialisme ou du capitalisme, pressentant que le principe d'autodétermination des peuples incluait le droit de chaque nation à définir librement son système politique et social, un aspect qui a été nettement exprimé en 1961 par les pays non-alignés. Inspirée par Bandung, la première Conférence de l'Organisation de solidarité des peuples d'Asie et d'Afrique a eu lieu en janvier 1958 au Caire. Ce «premier pas» allait déboucher sur la participation de Cuba, en 1961, au niveau du gouvernement, à la Conférence des Pays non-alignés de Belgrade. Plus tard ce fut la tenue à La Havane, en 1966, de la Tricontinentale.. 50 ans après Bandung: quel en est le bilan? Le mouvement tiers-mondiste allait avoir le vent en poupe tout au long des années 60. Les pays afro-asiatiques nouaient des liens avec l'Amérique latine sous l'étiquette de pays «non-alignés», ou de Tricontinentale après le succès de la révolution cubaine de Fidel Castro. Dès 1960, les nations du tiers-monde disposaient, à l'Assemblée générale des Nations unies, d'une majorité leur permettant d'imposer une série de déclarations légitimant les aspirations anticoloniales. C'est ainsi qu'elles firent de la décennie 70 celle du développement. Apogée de ces efforts, la décision collective des pays de l'Organisation des pays producteurs de pétrole (Opep), en 1973, d'augmenter le prix du pétrole provoquait la panique en Occident. Le monde dit «développé» deviendrait-il dépendant des pays pétroliers?(4). «Vingt-sept ans plus tard, écrit Immanuel Welleirstein, en pleine mondialisation néolibérale, on se frotte les yeux en se demandant comment la roue a pu tourner à ce point. Le dirigisme économique est passé de mode. L'esprit de Bandung a disparu. Pourquoi et comment ce retournement s'est-il produit? Tout commence en 1968, révolution mondiale au double sens du terme. Elle déferla en effet sur les trois mondes - Occident, pays dits socialistes et tiers-monde. Toutes les insurrections reprirent deux thématiques du «système-monde». Première thématique : géopolitique. Les révolutionnaires de 68 condamnaient l'hégémonie américaine et ses manifestations les plus funestes, comme la guerre du Vietnam. En même temps, ils dénonçaient la «collusion soviétique» avec cette hégémonie. D'où le slogan chinois des «deux superpuissances». Mais il y avait une deuxième thématique: la période 1945-1968 avait vu, presque partout, se réaliser un rêve centenaire - celui des mouvements des trois sensibilités (communiste, social-démocrate et de libération nationale) - d'arriver enfin aux commandes de l'Etat. De plus, c'était en Europe les «trente glorieuses». Les pays occidentaux étaient des Etats-providence, avec des partis de «gauche» légitimes et «alternance» au pouvoir. Quant aux mouvements de libération nationale, ils avaient triomphé dans le tiers-monde. En accédant au pouvoir étatique, ils s'étaient engagés à transformer le monde. Or, en 1968, les peuples libérés pouvaient dresser un bilan tragique : le changement annoncé par leurs dirigeants n'était nulle part au rendez-vous. C'est ainsi qu'on s'engagea sur le chemin de la désillusion. En 1978, Jacques Julliard lançait, dans les colonnes du Nouvel Observateur, une polémique sous le titre «Le tiers monde et la gauche», dénonçant des régimes soit corrompus, injustes, policiers et souvent sanglants, soit chaotiques, tyranniques et non moins sanguinaires. Sa conclusion : «Le droit des peuples est devenu le principal instrument d'étranglement des droits de l'homme.» Pour Jacques Julliard, le «tiers-mondisme» serait un «ersatz d'une eschatologie socialiste aujourd'hui ruinée».(4). Lorsque tombèrent le mur de Berlin et, avec lui, les régimes communistes, la discussion sur le «tiers-mondisme» était close. Seuls comptaient désormais les «droits de l'homme» et, du même coup, le «devoir d'ingérence». S'ensuivit toute une décennie d'«ingérence», du Golfe aux Balkans en passant par l'Afrique, avec les «brillants» résultats que l'on sait ! Mieux encore, c'était aussi l'époque du fameux brûlot sur le choc des civilisations de Samuel Huntington. Le monde occidental s'inventait un nouvel adversaire après la chute de l'Urss, de plus, la fin du siècle et du millénaire aidant, la peur du millénaire et les prophéties millénaristes convergèrent pour désigner le nouveau coupable: l'Islam. D'autant que fleurit une autre religion: le moneythéïsme sous-tendu par la mondialisation. Cette économie aussi nouvelle que merveilleuse, qui fait grimper les actions des possédants mais laisse crever tous ceux qu'on n'admet pas à bord, tout en leur expliquant que c'est de leur faute. Des exclus qui font d'ailleurs penser à ce qu'on appelait autrefois le tiers-Etat... Où en sommes-nous vraiment? L'économie-monde capitaliste semble à son apogée: elle entre donc en crise. En fait, c'est le système-monde qui se désagrège. Au cours de cette évolution, le tiers-monde a perdu son unité et son influence politiques. Mais il a aussi subi un net déclin économique. Il survit à la lisière du système-monde, plus polarisé que jamais, où les écarts de revenus et de conditions de vie ont atteint un niveau inégalé dans l'histoire de l'humanité. Les «Etats» qui ont remplacé le pouvoir colonial rendent possible la constitution de quasi-monopoles, seules sources de profits significatifs. Ils contribuent aussi - en les réprimant ou en les achetant - à dompter les «classes dangereuses». Ils insufflent aux masses une patience relative, au besoin mâtinée de versets religieux. «Les choses iront sûrement mieux, sinon dans l'immédiat, du moins pour nos enfants et nos petits-enfants. Un monde plus prospère, plus égalitaire s'annonce....»(4). Malgré des réformes nombreuses et nécessaires, les régimes post-révolutionnaires ont échoué à réduire de manière significative les écarts de revenus. Cet échec historique a abouti à une immense désaffection à l'égard des mouvements contestataires. Et lorsqu'ils bénéficient encore de quelque soutien, c'est en tant que pis-aller face à des mouvements plus à droite, et non comme porteurs d'un nouveau projet de société. D'où un désinvestissement massif à l'égard des structures étatiques. Cette poussée mondiale d'anti-étatisme entraîne deux conséquences immédiates. D'abord, les peurs sociales se multiplient, incitant les individus à reprendre à l'Etat son rôle de garant de leur sécurité. Seconde conséquence : un Etat en perte de légitimité ne peut plus dompter les «classes dangereuses», et donc remplir sa fonction de garantie des quasi-monopoles dont les capitalistes ont besoin.(4). Voilà pourquoi, on peut affirmer que l'économie-monde capitaliste est désormais entrée dans une crise grave, qui pourrait s'étendre sur un demi-siècle. Joseph Schumpeter a dit, il y a longtemps, que l'effondrement du capitalisme serait dû, non à ses échecs, mais à ses succès. La nouvelle période d'expansion qui s'ouvre à l'économie-monde exacerbera les conditions qui ont poussé le capitalisme vers sa crise. Le concept de tiers-monde faisait sens dans la politique des années 60. Marginalisé dans les années 80, il est complètement mort dans les années 90. Mais la réalité à laquelle il renvoyait demeure, de façon plus manifeste encore maintenant qu'hier. Le cadre éphémère dans lequel il fut forgé - la guerre froide - a disparu. Mais le cadre nouveau qui l'a remplacé a clarifié les vraies questions : l'incroyable polarisation de l'économie-monde capitaliste et sa crise structurelle, qui nous placent, l'une et l'autre, devant des choix historiques.(4). En somme, les mouvements antisystémiques étaient parvenus au pouvoir de l'Etat. Le problème fut l'incapacité de ces mouvements à réaliser effectivement la seconde étape, c'est-à-dire transformer le monde. Là est l'explication essentielle de la révolution mondiale de 1968. Dans chacune des trois zones du système mondial, pays après pays, eurent lieu des soulèvements de divers types. «Le monde continue d'être profondément injuste, dans le système-monde et à l'intérieur de nos pays»; nos systèmes politiques ne sont pas vraiment démocratiques; il existe une caste privilégiée (une nomenklatura) à l'intérieur de nos régimes. Après 1968, le problème pour les forces mondiales antisystémiques fut de trouver comment faire face à leur propre reconstruction. Il y eut trois tentatives principales pour formuler une stratégie distincte de celle de la «vieille gauche» qui a fini par être considérée, comme une stratégie vouée à l'échec ou dépassée. Ce furent les multiples maoïsmes, la «nouvelle gauche» et les mouvements de droits de l'homme. Vers la fin du vingtième siècle, il existait un éventail de différents mouvements à travers le monde et aucun d'entre eux ne paraissait avoir la capacité d'impact attendue. Ceci est l'arrière-plan de ce que la presse mondiale appellera plus tard le «mouvement antiglobalisation» et que l'on connaît aujourd'hui (dans des langues autres que l'anglais) sous le terme de mouvement altermondialiste. Quand a-t-il commencé? Cela est difficile à indiquer. Il y a trois moments symboliques de ce mouvement et tous se déroulèrent en Amérique: la révolte des zapatistes au Chiapas en 1994, les protestations d'activistes contre la rencontre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle en 1999 et le premier Forum social mondial à Porto Alegre en 2001. La révolution zapatiste a délibérément commencé le premier jour de mise en vigueur du Traité de libre-échange d'Amérique du Nord (l'Alena) le premier janvier 1994. Les zapatistes ont fait leur apparition en tant que bras militaire et organisé des peuples indigènes du Chiapas, continuant une lutte de 500 ans pour la terre et l'autonomie. La protestation à Seattle eut lieu cinq ans plus tard, durant ce que l'on considérait devoir être une réunion décisive pour l'OMC, nouveau bras séculier de la mondialisation. Elle eut pour caractéristique marquante le fait que la manifestation s'est présentée comme un affrontement direct avec la globalisation néolibérale et les institutions chargées de la mise en place de ce qui s'appelle (depuis au moins une décennie) le Consensus de Washington. De plus, la manifestation a atteint son objectif central, en dépit de tous les obstacles. Elle a perturbé efficacement la réunion de l'OMC et celle-ci n'a pu atteindre ses objectifs. Des activités similaires lors de réunions mondiales ailleurs dans le monde suivirent l'événement de Seattle. Ce fut à ce moment que les altermondialistes changèrent leurs priorités et établirent le Forum social mondial comme une réponse au Forum économique mondial de Davos. La première réunion du FSM eut lieu dans la ville brésilienne de Porto Alegre en 2001. Le FSM s'est réuni deux autres fois à Porto Alegre (en 2002 et 2003) et à Mumbai (Inde) en 2004. Les besoins des pays en développement Pourtant, il faut signaler les dérives constatées dans certaines prises de position des mouvements altermondialistes. A titre d'exemple, le mouvement «Attac» a été effectivement l'un des premiers à prôner une mondialisation à visage humain, il reste que son discours est plus dirigé vers les «consommateurs» européens ou occidentaux que vers les pays du «tiers-monde» qui se débattent dans d'autres problèmes qui sont naturellement «résolus au Nord». De plus, on ne peut comprendre que ce mouvement se permette un jugement de valeur quand il parle du voile comme obstacle de l'émancipation des musulmanes. La participation de Tariq Ramadan, à l'un des forums des altermondialistes, ne saurait constituer une caution d'une «référence» de l'Islam. En définitive, nonobstant cela, on peut considérer qu'à certains égards et compte tenu des remarques précédentes que «le F.S.M pourrait, peut-être, constituer une alternative au désordre planétaire et pourrait à juste titre, être le Bandung du XXIe siècle. Il faudra pour cela qu'il aille à la rencontre des «damnés de la terre». Ce dont les peuples ont besoin aujourd'hui comme hier, fût-ce dans des conditions structurelles nouvelles (en relation avec la révolution informatique et génétique et ses effets transformateurs des formes du travail et des relations sociales), ce sont des projets sociétaires (« nationaux et/ou régionaux») articulés les uns aux autres dans des structures de mondialisation régulées et négociées (assurant une relative complémentarité entre eux), permettant simultanément des avancées parallèles dans trois directions: Le progrès social : celui-ci exige que les progrès de l'économie soient nécessairement accompagnés de progrès sociaux bénéficiant à tous par la garantie de l'emploi et de l'intégration sociale, la réduction des inégalités, etc. «La démocratisation de la société dans toutes les dimensions de sa réalité», entendue comme un processus sans fin. La démocratisation exige l'extension de l'aire de sa pratique aux champs de la gestion économique et sociale, et non sa restriction au seul champ de la gestion politique de la société. «L'affirmation du caractère nécessairement autocentré des projets sociétaires» de développement économique et social, et, partant, la construction de formes de la mondialisation offrant cette possibilité. Etant entendu que le caractère autocentré incontournable du développement n'exclut ni l'ouverture (à condition que celle-ci demeure maîtrisée) ni donc la participation à la «mondialisation» («l'interdépendance»).(5). «L'alternative» - que nous définissons écrit Samir Amin, par des avancées dans ces trois directions - exige que celles-ci progressent en parallèle. Le projet sociétaire abusivement qualifié de «libéral» (et son expression extrême dite «néo-libéral») est fondé sur le sacrifice du progrès social aux exigences unilatérales de la rentabilité financière (à court terme de surcroît) des segments dominants du capital (le capital transnationalisé des 500 ou 5 000 firmes géantes transnationales). A travers cette soumission unilatérale des travailleurs, des êtres humains, des nations, à la logique exclusive dite du « marché », s'exprime sans doute «l'utopie permanente» du capital. En fait, à travers cette soumission, progrès social et démocratie sont vidés de toute réalité.(5). Au plan mondial, cette soumission ne peut que reproduire et approfondir les inégalités entre nations et régions, fût-ce bien entendu dans des structures reconstruites en fonction des exigences du capital parvenu à un stade qualitativement nouveau de son développement. Entendant par là que les «monopoles» ne se réduisent plus à l'exclusivité de l'industrie comme cela était le cas dans un passé désormais révolu, mais dans celle d'autres formes du contrôle économique, social et politique: le contrôle des technologies, renforcé par les législations abusives concernant la propriété industrielle et intellectuelle, celle de l'accès aux ressources naturelles de toute la planète, la capacité d'influencer, voire de moduler, les opinions par les moyens du contrôle de l'information, la centralisation extrême des moyens d'intervention financière, l'exclusivité des armements de destruction massive, etc. Economie et politique, «marché» et pouvoir d'Etat, y compris militaire, sont aujourd'hui, comme toujours, inséparables, en dépit du discours idéologique dominant qui s'emploie à le nier. Comment donc, face à cette unité mise en oeuvre par les stratégies du capital des oligopoles transnationalisés et des pouvoirs politiques à son service, construire des contre-stratégies des peuples qui, au-delà de la «résistance», peuvent faire avancer l'alternative définie ici? Tel est le véritable défi.(5). (*) E. N. polytechnique (à suivre) 1. Pedro Azze Besil Granma international : 50 ans après la première Conférence de Bandung La Havane. 6 Avril 2005 http://granmai.cubaweb.com/frances/index.html (2). Discours de clôture de Nehru à la conférence de Bandung le 24 avril 1955 (traduction R. Frank), in J. Nehru, Speeches, New Delhi, 1949-1961. (3 Jacques Juilliard : Le tiers-monde et la gauche, Seuil, Paris, 1979. (4). Immanuel Wallerstein : De Bandung à Seattle «C'était quoi, le tiers-monde ? » Le Monde Diplomatique Août 2000 (5). Samir Amin : L'alternative au monde néo-libéral mondialisé et militarisé. L'impérialisme aujourd'hui et l'offensive hégémonique des Etats-Unis. www.alternatives.ca/auteur18, 22 novemvre 2002.