Il a été tant écrit, à tort et à travers, sur notre histoire que toute publication devient suspecte de trahison pour le commun des Algériens. Qu'elle vienne de l'étranger - où, dit-on, il y a de sérieux spécialistes de l'histoire de l'Algérie et, plus fort encore, d'éminents laborantins sortis de quelque petite Sorbonne se faisant analystes de la Révolution algérienne - ou que cette publication se fabrique chez nous, le problème demeure le même. À défaut de sincérité, de passion de dire la vérité, l'Algérie, pour beaucoup, reste au fond de son lit de malade sur lequel certains historiens l'ont clouée. Mais rien n'empêche qu'un Algérien, fou amoureux de son pays, tout comme Afroun Mahrez dans son livre Mémoires d'outre-tombe (*), comprenne parfaitement son droit d'exprimer son sentiment. Afroun déclare: «Ni historien, ni écrivain, auteur de circonstances, je suis venu à l'écriture parce que j'ai mal quand l'Algérie est malade, par la nécessité aussi de l'histoire et par la bêtise et la cupidité humaines.» L'ouvrage est à la mesure de la pleine conviction et de la claire audace de l'auteur qui est officier de l'Armée Nationale Populaire à la retraite et qui se déclare fidèle et reconnaissant à son pays. De l'Algérie, il a tout reçu: son éducation, sa formation, son instruction, son amour pour la justice, pour la culture, pour la paix et la liberté. Ce n'est pas forcément le militaire qui parle et qui agit; c'est l'enfant, parmi les enfants du pays historique, qui appelle à l'engagement l'Algérien «pour assurer la responsabilité, s'impliquer et perpétuer l'héritage». Aujourd'hui, le peuple instruit n'est pas l'indigène qui, honteux de sa misère et de son ignorance et n'en pouvant mais, ressemble à l'image que l'histoire coloniale lui a donné de lui-même. L'énorme travail de recherche, de raclage, de dépoussiérage, de remise à l'endroit des faits dénaturés plombés au mensonge et à la vilenie, est maintenant écrit - sans prétendre à l'exhaustivité -, entre nos mains, en deux tomes (558 pages et 600 pages), sous le titre général Mémoires d'Outre-tombe. Cela tire l'oeil, - Quoi! Chateaubriand serait-il de retour chez nous? Non, pas du tout, car je fais l'hypothèse que Afroun Mahrez n'a pas l'orgueil ni l'ambition de l'illustre écrivain français du xixe. Au contraire de cet auteur préromantique - surnommé «l'enchanteur» par ses contemporains -, il a, dirais-je, seulement publié de son vivant un témoignage qui se veut plus véridique qu'une oeuvre d'art. Au sujet du choix de ce titre, Afroun Mahrez a cette réponse personnelle: «Mémoires d'outre-tombe m'a paru le titre approprié pour exprimer cette tranche douloureuse de l'histoire profonde, sensible et complexe de la nation algérienne. En effet, le passé et la terre d'Algérie sont parsemés de cimetières de martyrs. Les fellahs algériens, souvent, en retournant le sol de leurs champs, mettent au jour des sépultures anonymes de moudjahidines tombés au champ d'honneur qui ont été enterrés à la hâte par leurs compagnons. Combien de fois aussi, des entreprises, qui creusent les fondations de leurs chantiers mettent aussi au jour des fosses communes d'Algériens lâchement assassinés en représailles, pendant la guerre de libération, lors d'exécutions sommaires. Ces épreuves macabres ravivent des souvenirs douloureux que l'on veut nous faire oublier au nom du passé! Alors que le passé remonte encore plus loin que le 1er Novembre 1954, quand les généraux et les colonels rescapés de la Grande Armée sont, en 1830, venus assouvir l'amertume de la défaite de Russie, la Bérézina et Waterloo, pour acquérir la gloire en Algérie en enfumant des villages innocents et sans armes, en violant et en assassinant. Ce sont toutes les mémoires de ces Algériens, de 1830 jusqu'à 1962, qui nous interpellent pour les rappeler à la mémoire de leurs bourreaux...» Le Tome 1 des Mémoires d'outre-tombe d'Algérie porte un sous-titre: Chroniques d'une tragédie annoncée. Sur 558 pages, l'auteur développe cette idée comme une hantise: l'expédition française et la colonisation de l'Algérie. Le livre, sans haine et sans rancoeur, abonde en preuves et en réflexions judicieuses et vraisemblables qui, en dépit de certaines imprécisions (à cause des difficultés d'accès aux archives) et que le lecteur saura bien relever, émerveillent tous ceux dont la conscience brûle de mettre en lumière l'existence, quitte à trop l'embellir, de leur Terre Maternelle. L'ouvrage est conçu en dix chapitres d'inégales longueurs selon l'intérêt et l'abondance de l'objet abordé; cela va de la «Genèse des événements» aux «Véritables raisons françaises de la prise d'Alger» et de l'installation de «La nuit coloniale» à la politique de réactivation des croisades. Pour ceux qui comprennent, les croisades continuent, sous d'autres formes. Par parenthèse, nous constatons que lors des campagnes pour la présidence des Etats-Unis, le candidat John Mc Caïn, pour se faire valoir aux yeux de ses électeurs, n'hésite pas à affirmer que Barack Obama est «arabe» - est-ce pour le féliciter ou le blâmer? En attendant de présenter prochainement le tome 2 de Mémoires d'outre-tombe, on peut dire que Afroun Mahrez tente de restaurer l'image de l'Algérien combatif de tous les temps et de réveiller par des documents, des souvenirs, des rappels de mémoire collective, la conscience patriotique endormie au fond des coeurs. Ce volumineux travail, simple, direct, coloré de vie et de passion, ressemble à une chiquenaude utile, intelligente et courageuse pour rétablir, mais au vrai pour «établir», le droit de connaître la vérité sur l'histoire de notre pays et de renouveler le mode d'inspiration et de recherche des historiens algériens. Ce sont, jusque-là, pour la plupart, des oeuvres de seconde valeur que l'actualité et quelquefois la publicité urgente et démagogique, d'ici et d'ailleurs, ont propulsées au rang de chefs-d'oeuvre. Mais il est encore vrai que c'est souvent le cas dans d'autres domaines des sciences humaines. (*) MEMOIRES D'OUTRE-TOMBE (TOME 1) Chroniques d'une tragédie annoncée de Afroun Mahrez Editions Houma, Alger, 2007, 558 pages.